11 Mars 2022
Unir deux génies majeurs et incontournables, le premier rattaché à la parole, le second à la musique dans un même programme est le pari fait par Charlotte Rampling et Sonia Wieder-Atherton.
Le programme Shakespeare / Bach est l’histoire d’une rencontre : entre les Sonnets de Shakespeare et les Suites pour violoncelle de Bach. Deux artistes parmi les plus grands qui ont traversé les siècles et continuent aujourd’hui d’être joués et de nourrir la création contemporaine. Ceux qui ont accompagné les générations passées et continuent de vivre dans notre existence quotidienne. Insurpassables, inoubliables, incomparables. Il est aussi l’histoire d’une autre rencontre, celle de la comédienne Charlotte Rampling et de la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton. Elles avaient déjà uni leurs talents avec Danses nocturnes, qui associait des suites pour violoncelle de Benjamin Britten et des textes de la poétesse Sylvia Plath. Elles associent ici Shakespeare et Bach dans un discours baroque amoureux où le plaisir de la langue anglaise s’associe à la grâce grave et infiniment mobile des Suites de l’Allemand Bach.
Shakespeare en ses Sonnets
Shakespeare est pour le théâtre l’auteur absolu. On connaît moins en revanche sa production poétique et les 152 poèmes que constituent ses Sonnets, publiés en 1609, auxquels s’ajoutent deux autres poèmes publiés en 1599 dans un recueil intitulé le Pèlerin passionné. Formés de trois quatrains suivis d’un distique final, les Sonnets, s’ils reprennent parfois certains des thèmes chers à l’auteur de théâtre, en particulier cette vision très aiguë d’un temps qui a quitté sa route et est livré au chaos, y développent des thèmes plus personnels tels que l’amour, le beau et la brièveté de la vie. La sélection de douze poèmes que propose le spectacle offre un panorama assez représentatif de ces poèmes, destinés pour la majorité à un homme, le mystérieux « W. H. ».
La beauté, l’amour et le temps
Louvoyant en permanence entre la métaphore et le sens premier, Shakespeare y aborde parfois des thèmes surprenants, tels ses premiers sonnets qui sont une curieuse invitation à la procréation afin que le Beau se survive et traverse l’usure du temps. Nombre d’entre eux sont consacrés à la célébration de l’amour de ce jeune homme et à celui que le poète dédie à sa maîtresse. Il pleurera à la fin l’infidélité de son amant avec celle-ci, jettera un regard critique sur sa propre luxure et stigmatisera les errances du monde. On y retrouve la saveur de la langue anglaise que Charlotte Rampling énonce à voix lente et claire en faisant entendre chaque intonation tandis que la traduction apparaît en surtitre. Comme dans le théâtre de Shakespeare, la Nature joue sa partition, elle exprime la beauté, est le reflet de l’âme et traduit sa mélancolie comme ses tourments. On décèle, dans ce parcours, un vibrant plaidoyer pour la poésie, capable de transcender le temps et d’assurer l’immortalité à ceux qu’il célèbre.
L’infinité diversité des Suites
À la polyphonie des Sonnets répond la polyphonie des Suites. Dans un espace limité à des taches de lumière centrées sur les interprètes (comédienne et violoncelliste) où apparaissent, en fond, un patchwork de portraits d’hommes et de femmes, littérateurs, poètes, parfois inconnus, que la lumière éclaire tour à tour, symboles d’une mémoire d’où émergent histoires et sons, « comme s’ils étaient adressés à ces visages ou si c’était eux qui nous les disaient », écrit Sonia Wieder-Atherton qui signe aussi la mise en scène, « le violoncelle, lui, à travers les Suites de Bach, fait réapparaître des pans de la mémoire et sculpte le temps. » Sur un rythme volontairement allongé presque languide, qui fait entendre chaque note et la mélodie qui les lie, se dévoile toute la complexité de cette musique où la pureté instrumentale a pour corollaires une précision et une richesse de la construction architecturale qui s’accompagnent de contrepoints et de mouvements de danse plus décoratifs, et où s’entendent les multiples voix qui pourraient être celles de l’orgue et forment comme une orchestration. Le violoncelle se fait voix humaine envoûtante, dans un paysage où jouent ombres et lumières, recueillement et vagabondage et où le silence est plein. Et on écoute dans le recueillement ces paroles d’outre-tombe qui disent de l’éternel humain.
Sonnets de Shakespeare traduits par André Markowicz et Françoise Morvan
S Mise en scène et violoncelle Sonia Wieder-Atherton S Voix Charlotte Rampling S Lumière Jean Kalman S Vidéo Quentin Balpe S Création sonore Alain Français S Création bande-son Sonia Wieder-Atherton et Alain Français S Accessoires Manon Iside S Régie générale lumière Héloïse Evano S Avec la voix de Marc Zeitline S Production Centre international de Création théâtrales / Théâtre des Bouffes du Nord. S En accord avec les Visiteurs du Soir S Avec le soutien à la résidence du Théâtre Antoine Watteau – Nogent-sur-Marne
Programme :
Sonnets de Shakespeare - Sonnets n.17/19/16/24/55/18/136/144/5/73/116/29.
Musiques
Bach - Suite N. 1 BWV 1007, Prélude ; Suite N.4 BWV 1010, Courante et Sarabande ; Suite N.5 BWV 1011, Allemande, Bourrées et Sarabande ; Suite N.6 BWV 1012, Prélude
Monteverdi - A voce sola (arrangement Sonia Wieder-Atherton) ; Hor Ch’el Ciel et la Terra (arrangement Sonia Wieder-Atherton)
Lotti - In una siepe ombrosa extrait
Wieder-Atherton - Chant de là-bas
Théâtre des Bouffes du Nord – 37 bis, boulevard de la Chapelle, 75010 Paris
Rés. 01 46 07 34 50 www.bouffesdunord.com
Du 8 au 11 mars 2022 à 20h30