11 Mars 2022
Ce distrayant seul en scène nous parle d’un temps où faire de la politique s’accompagnait d’une ambition pour le pays, d’un projet fort, mené contre vents et marées et où les idéaux pouvaient encore faire bouger le monde.
Un lustre – modeste – descend des cintres. Sur la scène, un fauteuil recouvert d’un plaid, une table avec au fond un réfrigérateur. Un homme entre. Monsieur Tout-le-monde. Il dispose une table pour deux. Ce soir il a invité à dîner un grand personnage de l’histoire : Winston Churchill. Il a mis six bouteilles de champagne au frais, prévu les cigares que le politicien affectionne. Mais celui-ci est mort depuis un demi-siècle et c’est avec son ombre, parfois avec des projections vidéo qui apparaissent sur un écran en forme de tableau noir au fond que dialogue l’homme qui vient d’entrer.
Du personnage quotidien au personnage historique
Lui, c’est Charles. Un personnage falot, un pas grand-chose, un déprimé. Sa femme l’a quitté, il fait de l’assistance téléphonique depuis son domicile pour des clients qui ont loué un véhicule. Justement ce soir-là, un homme qui a loué une voiture de sport est en panne près de Berchtesgaden. Coïncidence ? Il est près de la résidence d’Hitler alors que son invité imaginaire se rendit célèbre par le discours du 13 mai 1940 où il appelle à la résistance à tout prix contre l’Allemagne nazie par la formule demeurée célèbre : « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur. ». Le décor est planté. C’est en allers-retours entre la situation de Charles, son dialogue téléphonique avec son client dont la situation s’aggrave de plus en plus au fur et à mesure des « conseils » prodigués par Charles et son évocation des grands discours qui ponctuèrent la carrière de Winston Churchill que se construit le spectacle.
Entre cocasse et dépressifs
La situation pourrait être tragique, à tout le moins dramatique. Elle nous dépeint en effet un dépressif dont la solitude est telle qu’il doit s’inventer un partenaire imaginaire pour exister et qui se penche sur un autre dépressif, alcoolique de surcroît. Un pauvre type sans destin qui se glisse dans le costume d’un autre pour être quelqu’un, pour se sentir exister. Un raté qui, même professionnellement, ne parvient pas à remplir correctement la fonction qu’on lui a assignée et provoque, à distance, en dépit de sa bonne volonté ou justement à cause d’elle, des catastrophes en série qui conduisent à l’impasse. Mais son ratage est si magnifique qu’il en devient cocasse. Les voisins se plaignent du bruit, il provoque une inondation. Il a tout faux, le Charles – et d’ailleurs, pourquoi ce prénom ? en références au « grand » Charles ? Il nous fait rire mais il est attachant. Et surtout, à travers les discours de Churchill, il nous parle d’un autre monde. Celui où des hommes avaient une armature morale, des croyances qui les incitaient à se battre pour leurs convictions. Celui où se projeter dans le futur avait un sens. Peut-être est-ce cela qu’il faut retenir. Résister à la barbarie, quelque forme qu’elle prenne, c’est vivre.
Mon dîner avec Winston texte de Hervé Le Tellier
Mise en scène et interprétation Gilles Cohen
Collaboration artistique : François Berland. Assistanat à la mise en scène : Aurélie Delas. Décor : Jean Haas. Lumière : Jean Pascal Pracht. Vidéo : Olivier Roset. Costumes : Cidalia da Costa. Son : Stéphanie Gibert
Avec les voix de : Pierre Aussedat, Aurélie Delas
Création Théâtre du Rond-Point
Au Théâtre de l’Atelier – Place Charles Dullin – 75018 Paris
Du 6 au 30 avril 2022 à 21h, dim. à 15h
Rés. 01 46 06 49 24 www.theatre-atelier.com