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Arts-chipels.fr

L’Œil égaré. Victor Hugo, la tête dans les abîmes et les pieds dans les cieux.

L’Œil égaré. Victor Hugo, la tête dans les abîmes et les pieds dans les cieux.

Il est des « inachèvements » qui sont des réussites, tels ces fragments poétiques de Victor Hugo non publiés du vivant de l’auteur où le poète apostrophe Dieu et flirte avec les étoiles. Sébastien Depommier et Muriel Vernet en proposent une vision intense.

Sur un plan incliné et vitré, l’une de ces serres qu’on voit parfois dans les potagers, un homme, debout, nous tourne le dos. Lorsqu’il se retourne, il tient à bout de bras un récipient dont il verse le contenu sur sa tête. Ce n’est pas de l’eau mais une terre grasse et noire qui fait de son visage un portrait halluciné sorti de quelque peinture expressionniste. Dans la pénombre, éclairé par une lumière crépusculaire venue du bas qui accentue les traits, il entame une longue diatribe où explosent les images qui se heurtent. « Où sont les abîmes ? Où sont les escarpements ? » On reconnaît la puissance du Verbe, la grandiloquence, l’excès de celui qui a imaginé, avec Han d’Islande, un monstre qui boit le sang de ses victimes dans le crâne des morts. Lui, Victor Hugo.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Entre abîmes et étoiles

Tel le solitaire contemplant sous ses pieds la mer de nuages de Caspar David Friedrich, il vit, dit-il « dans une solitude splendide, perché sur un rocher », dans un monde où « le vent maltraite la mer ». Les phrases s’enflent telles des voiles gonflées par un noir désespoir qui fait confondre le haut et le bas, où la difformité a remplacé l’harmonie et le chaos l’ordre. Hugo apostrophe. Dieu, qui met des étoiles sous nos pieds, différentes de celles du ciel, mais les plonge dans un gouffre sans fond pour une nuit sans fin. Il s’érige en procureur, s’imagine justicier perquisitionnant les étoiles et passant les menottes à Dieu. Les textes sont noirs d’encre comme l’ombre qui « emplit la maison de ses souffles funèbres », comme l’azur où plane l’oiseau de solitude. Ils cognent, denses, opaques, violents.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Dans une fragile enveloppe humaine

Les mots cheminent entre veille et sommeil, rêve et cauchemar. Ils sont âpres, écartelés, vertigineux, en déséquilibre, comme le comédien qui, sur la fragile surface inclinée, danse et se roule dans le verbe hugolien. Dans son corps à corps avec le texte, c’est de terre que s’emplit Sébastien Dupommier. Il la malaxe, la triture, l’entasse, la répand, l’offre, s’y frotte et s’y ébroue, humain ivre des sphères, écartelé entre des contraires, qui « pleure dans le gouffre de Dieu ». La serre devient matrice, ventre protecteur tandis qu’Hugo, entre ciel et terre, s’interroge sur ce qui lui a été laissé. « Quel Moi ? » est-il quand les aiguilles sur le cadran tournent inéluctablement vers la mort et quand, tel une chauve-souris, Dieu a étendu ses ailes d’ombre sur le monde des vivants ?

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

La lumière au cœur des ténèbres

La colère parfois cède le pas. Car les visions sont là, et les rêves des « projectiles des étoiles ». Quelque part, au milieu des ténèbres, surgit une lueur. Prescience de l’écriture comme d’une langue céleste qui se parle « dans l’éblouissement » ? Mais aussi « Amour, solution suprême, dernier chiffre ». Cet Hugo-là, le plus souvent en prose – seuls quelques vers ponctuent la fin –, nous donne à entendre une autre musique de sa personnalité. Il nous fait voir la face d’un être tourmenté aux prises avec lui-même et avec ses croyances. Il laisse s’échapper la voix révoltée et sensible d’un homme qui cherche et qui se cherche, bien éloigné du tribun impérieux et du chef de file que l’on connaît. La conviction et la passion de Sébastien Dupommier nous entraînent à l’intérieur même de cette parole incandescente où les mots passent, tels des météores, dans le ciel de la poésie.

L’Œil égaré d’après des Fragments poétiques de Victor Hugo

S Conception Sébastien Depommier & Muriel Vernet S Texte Fragments poétiques de Victor Hugo, d'après l'adaptation réalisée par Madeleine Marion et Redjep Mitrovitsaet du recueil d'André Du Bouchet S Interprétation Sébastien Depommier S Collaboration artistique, mise en regard Muriel Vernet S Création lumière Julien Cialdella, Léo Vancutsem S Créateur Son Lucas Lelièvre S Régie Hadrien Marielle-Trehouart S Production Compagnie Choses Dites S Coproduction Le Liberté-Chateauvallon Scène Nationale  Collectif Lyncéus Auditorium d’Annecy-Seynod S Création dans le cadre du Lyncéus Festival 2018 S Avec le soutien du conseil régional de Bretagne, du conseil départemental des Côtes-d’Armor, de la Ville de Binic-Etables-sur-mer, du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, du conseil départemental de L’Isère et de la Ville de Meylan, la ville de Grenoble.

Au Lavoir Moderne Parisien – 35, rue Léon – 75018 Paris

Du 2 au 6 février 2022

Rés. 01 46 06 08 05 www.lavoirmoderneparisien.com

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