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Arts-chipels.fr

La Pierre. Le travail de la mémoire et les métamorphoses de l’Histoire.

© Jeremy Breut

© Jeremy Breut

À travers un groupe de personnages venus d’époques différentes, qui revendiquent leur lien à une même demeure, Marius von Mayenburg choisit de mettre au grand jour les distorsions qu’on fait subir à l’Histoire pour la faire entrer dans nos histoires personnelles mais aussi la place que nous occupons dans cette histoire. Grinçant mais salutaire…

Y a-t-il une seule Histoire, neutre, conceptuelle, inamovible, ou des manières de la raconter qui sont toutes des interprétations et dépendent du point de vue qu’on adopte, de l’angle sous lequel on regarde ? C’est le pivot de la pièce de Marius von Mayenburg, l’axe autour duquel tournent ces personnages qui convoquent l’Histoire dans une fable qui mêle passé et présent et les renvoie dos à dos pour susciter une réflexion sur ce qu’est la vérité « historique » et sur le rapport qu’elle entretient avec les individus qui en sont ou en ont été les protagonistes, fût-ce à leur corps défendant, et avec ceux dont elle constitue l’héritage.

© Jeremy Breut

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Des pierres de mémoire. Une maison au cœur de l’Histoire

En 1993, l’Allemagne est réunifiée. Une adolescente, sa mère et sa grand-mère se réinstallent dans la maison familiale, quelque part dans ce qui fut l’Allemagne de l’Est. Les gravats au sol disent l’abandon ou une maison qui a souffert au fil du temps. Ils suggèrent aussi la présence d’une mémoire en miettes, que la pièce va reconstruire. L’adolescente ne comprend pas les raisons de ce retour aux sources, la mère argue de l’importance du passé familial dans cette maison, la grand-mère est mutique sur ce qui s’y est passé. Les différents occupants de la maison apparaîtront tour à tour et interviendront par bribes, dans un désordre chronologique assumé, à mesure que la pièce avance au fil des trente-cinq courtes séquences qui la composent. Les événements qui ont marqué l’histoire de la maison croisent des étapes majeures de l’histoire de l’Allemagne avant que passé et présent ne se rejoignent et ne se mêlent. Lorsque la pièce s’achève, on aura reconstruit l’ensemble de la fresque.

© Jeremy Breut

© Jeremy Breut

Cinq étapes de l’histoire allemande, et leur correspondance « domestique »

De 1993, la pièce fait un bond en arrière jusqu’à 1935. Les lois raciales de Nuremberg viennent d’être édictées. Les juifs qui possèdent la maison « choisissent » l’exil et vendent la demeure à la famille qui reviendra s’y installer en 1993. En 1945, alors que la mère se cache sous la table et que les bombardements font rage, le père se targuera d’avoir « sauvé » des juifs lorsque les Russes entrent en Allemagne. En 1953, tandis que se durcit le Rideau de Fer qui isole le bloc soviétique du monde occidental et rendra impossible le passage entre les deux zones, la famille choisit de quitter la maison pour rejoindre l’Allemagne de l’Ouest. Dans les lieux qu’elle abandonne, une nouvelle famille s’installe. Chacun des occupants successifs revendique une forme de droit de propriété sur la maison et leurs logiques s’affrontent.

© Jeremy Breut

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Dans la ronde des points de vue

À travers cette valse des occupants se déconstruisent mythes familiaux et vérités historiques. Celui qui se présente comme un « héros » qui permet aux juifs de s’enfuir est aussi celui qui spolie une famille, acculée à la fuite, de ses biens en rachetant à bas prix leur maison. Quant aux occupants d’après 1953 qui profitent d’une réquisition d’un bien qu’ils ne possèdent pas, quelle est leur légitimité ? Marius von Mayenburg, avec beaucoup de malice et d’acuité, nous interroge sur notre attitude face à des réalités quelque peu gênantes, sur notre capacité à tordre le réel dans le sens qui nous convient pour préserver une cohésion familiale. Dans le même temps, il renvoie dos à dos toutes les versions de la fable pour poser la question de la responsabilité et de la participation des individus au cours de la grande Histoire. Ses personnages, ni bourreaux sanguinaires, ni monstres, sont des monsieur-tout-le-monde, des gens ordinaires qu’on croise dans la rue tous les jours, nous-mêmes peut-être. La mise en scène – un premier acte pour Blanche Rérolle – expose, de manière assez schématique, le débat. En montrant comment des comportements qui peuvent sembler anodins et dictés par les événements sont sujets à de multiples interprétations, la pièce révèle aussi comment ils participent, même dans leur « neutralité », à une vision politique de l’Histoire. Une leçon qui entre en résonnance avec des préoccupations d’aujourd’hui.

La Pierre. Texte de Marius von Mayenburg - Traduction Hélène Mauler & René Zahnd (L’Arche 2010)

S Mise en scène Blanche Rérolle S Assistanat à la mise en scène Clémentine Moser S Avec Anne Burger, Sophie Deforge, Christabel Desbordes, Garance Morel, Charlie Petit, Marc Stojanovic ou Hugo Tejero (en alternance) S Scénographie Clarisse Delile S Création sonore Arthur Frick S Création lumière Samy Azzabi S À partir de 12 ans S Durée 1h10 S Production Cie Le temps d’une halte S Partenaires et soutiens SPEDIDAM, Institut Goethe (Paris), École Claude Mathieu, MJC Créteil, Gare Au Théâtre, Le Relais de la Mémoire, ADEAF

Théâtre de Belleville - 16, Passage Piver - 75011 Paris
Du lundi 3 au lundi 31 janvier. Lundi et mardi à 21h15, dimanche à 17h

Réservation 01 48 06 72 34 www.theatredebelleville.com

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