Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Underground. Voyage dans les soubassements contradictoires du sentiment amoureux

Underground. Voyage dans les soubassements contradictoires du sentiment amoureux

Dans cette pièce qui conjugue divertissement et réflexion, Julie R’Bibo interroge, au travers d’un personnage féminin, notre aptitude à quitter les sentiers battus pour nous aventurer sur des terres plus risquées en matière amoureuse. Une exploration des profondeurs du cerveau en même temps qu’un parcours initiatique pour penser le risque.

Elle est sagement assise, immobile, genoux serrés, bien sanglée dans une gabardine qui recouvre une robe classique, sans âge, tandis que derrière elle se répand une rumeur confuse, mélange de conversations et de bruits de métro. Une femme, anonyme, chez qui rien ne dépasse. Tantôt en voix off, lorsqu’elle se parle à elle-même, tantôt face à nous comme pour nous prendre à témoin, tantôt même au micro, comme pour une déclaration publique, elle raconte. Elle dit son appréhension lorsqu’elle descend dans le métro, sa peur des sous-sols, la terreur qui la saisit.

© Jade Edeb

© Jade Edeb

Une carte du non-Tendre

Elle dit aussi les milliers de gestes enfermés dans nos têtes, qu’on voudrait faire mais qu’on ne fait pas, comme sonner à la porte de la personne aimée qui vous a quittée un matin sans mot dire, sans au revoir, sans à bientôt. Elle décrit les mille et une stratégies qu’on déploie pour attirer l’attention, depuis le classique « Vous avez du feu » et les réponses à faire pour sortir du « ben non, je ne fume pas » et prolonger la rencontre. Elle énonce les « dix trucs pour les faire craquer » que dispensent les multitudes de revues ou de livres consacrées à l’art de séduire et qu'on suit à la lettre, la gifle qu’on assène au client trop entreprenant qui vous embrasse alors qu’on ne rêve justement que de ça. Elle s’épanche sur le fantasme tout droit sorti des contes de fées – « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » – qui vire toujours en eau de boudin. Elle se perd en conjectures sur les ruptures, les explications qui ne sont pas venues, les « peut-être que j’aurais pu… » et « si j’avais… ». Elle se mue en veuve sicilienne drapée dans un silence noir. Elle invente des dialogues imaginaires où elle crache son mépris, se confond en anathèmes et en insultes envers l’absent.

© Jade Edeb

© Jade Edeb

S’enfoncer, dit-elle

Alors elle va se chercher un autre terrier où se réfugier, un bar enfumé – elle n’aime pas plus les bars, la nuit – pour enterrer l’absent qu’elle n’a pas réussi à évincer de sa tête. Écharpe sur les cheveux et lunettes noires sur le nez, elle hante ces lieux interlopes où les hommes sont des chiens et où les chiens se muent en loups. Elle n’aime pas les terriers, mais elle revient sans cesse vers cette faune qui s’épie mutuellement, traque les signes de blessures, de souffrances, de défaites sous la houlette d’une serveuse éternellement souriante. Dans une belle langue, poétique, l’auteur détaille les glissements qui s’opèrent dans cet univers d’artifices kaléidoscopiques que la lumière souligne et que le son et les voix accompagnent, tissant un organdi entêtant autour de la boîte dans laquelle elle s'enferme.

© Jade Edeb

© Jade Edeb

Réagir, enfin…

Et puis, un jour, il y a ce regard d’océan infini dans lequel on se noie. Ces marches d’approche où on se fait la conversation en s’épiant jusqu’au vertige, le trouble, l’attirance. Le soleil à travers les rideaux, les gestes qui se répondent. On ne voudrait pas, on se sent pris en otage, on déteste et on aime et c’est une femme mais ce n’est pas plus important que ça que ce soit une femme ou un homme ou l’histoire de deux garçons ou celle de deux filles. On est « œil pour œil, langue pour langue » mais « sexe contre sexe ». Opposé, en lutte, mais d’abord contre soi-même. Parce qu’on a peur, parce qu’on perd le contrôle, qu’on se sent à la remorque, qu’on ne maîtrise plus et qu’au fond gît la douleur des expériences passées. Au bord d’une option entre tenter ou pas, risquer de se perdre ou avoir peur de le faire, il faut alors choisir le risque. Le vrai courage commence avec la peur.

© Jade Edeb

© Jade Edeb

Une composition théâtrale réussie

La délicate présence de la bande-son, qui crée un environnement suggéré plus qu’impérativement recréé, et le travail remarquable de la lumière, qui dessine des lieux, des ambiances, associés au jeu tout en nuances de Clémentine Bernard, seule en scène pour ce long monologue intérieur et fausse naïve pleine de conviction, forment une belle osmose qu’on a plaisir à découvrir et à partager. Souterrain, caché dans les replis de l’être, ce voyage « underground » nous amène aussi à réfléchir sur nous-mêmes et sur les interdits que nous mettons dans nos vies.

Underground.

Texte et mise en scène Julie R’Bibo / Jeu Clémentine Bernard / Scénographie Fanny Laplane / Lumière Mélisse Nugues-Schönfeld / Création sonore-musique Guillaume Léglise / Durée 1h00

Du 2 au 25 janvier - Du dimanche au mardi à 21h

Théâtre Les Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs 75001 Paris

Tél. 01 42 36 00 50 www.lesdechargeurs.fr

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article