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Arts-chipels.fr

Les Petites filles. Dans le labyrinthe des regards et des identités.

© DR

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Cette fable qui confronte ses protagonistes aux spectateurs qui les regardent pose la question d’une société où l’espace privé a cessé d’être et se métamorphose en un spectacle dont les témoins se font complices et juges.

Dans le noir une femme pleure. On entend des voix qui commentent : « T’entends ? Elle pleure… ». La lumière dévoile ce qui pourrait être une cour, n’était le papier peint années 1960 qui se désagrège dans un coin. Elles sont six. Des filles. Toutes vêtues de la même tenue. Tout au long du spectacle on s’interrogera sur le lieu d’où elles parlent : pensionnat ? maison de correction ? orphelinat ? Ce qui est sûr, c’est qu’elles sont sous surveillance, enfermées dans cet espace clos, et qu’elles rêvent d’en sortir, de se retrouver dehors.

Six personnages sous l’œil du public

En rang d’oignon, elles nous font face. Elles ont décidé de se liguer pour nous opposer un front uni où les individualités de chacune disparaîtront – nous apprendrons par la suite que nous avons le pouvoir d’en extraire une du milieu dans lequel elles sont enfermées pour lui rendre la liberté. Mais bien vite, la belle union se craquèle et chacune apparaît dans la lumière. Elles sont aussi différentes qu’il est possible de l’être. Il y a celle qui rêve de sexe et adopte des poses aguicheuses, celle qui fait l’amour en catimini à proximité des poubelles, celle qui ne sait parler qu’en expressions toutes faites qu’elle utilise de travers, la sportive façon garçon manqué qui a fait de l’une des filles son souffre-douleur – revanche du physique sur la tête – parce qu’elle s’exprime mieux qu’elle, parce qu’elle ne se bat pas, entre autres... Un condensé d’humanité avec ses petitesses, ses hypocrisies, ses envies et ses rêves. Dans le lieu étouffant où elles sont enfermées, les relations s’exacerbent, il n’y a pas d’échappatoire…

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Affaire de regards

Qui regarde qui tout au long du spectacle ? Nous, qui sommes le public, les regardons, bien sûr. Mais elles nous regardent aussi. Elles s’adressent à nous. Collectivement, mais individuellement aussi. Le bel ensemble, le collectif qu’elles affichent à plusieurs reprises ne cesse de se fissurer. Elles passent du « nous » au « je », et font de nous le miroir dans lequel elles se reflètent, pour y retrouver non ce qu’elles sont mais ce qu’elles voudraient être, la manière dont elles voudraient être perçues. Si ces femmes nous prennent à témoin, c’est aussi pour nous rendre complices. Dans le même temps, elles se regardent les unes les autres, se jugent sans complaisance, recherchent des alliances qui leur permettront d’influer sur leur quotidien et sur la manière dont nous les percevons. Chassé-croisé de regards qui révèlent des vérités sous les mensonges et travestissent la réalité pour en faire un mensonge, la pièce propose une série de reflets, de réfractions qui nous renvoient en un autre point qui nous renvoie une autre image. Tout est reflet et il est impossible d’y échapper.

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Espaces du dedans – espaces du dehors

Dans cette confusion des regards, la vidéo vient jouer sa partition. Non seulement, face à nous, chacune des protagonistes se présente pour jouer son rôle, mais la vidéo les traque lorsqu’elles sont hors champ, dans la cuisine ou dans les dortoirs, là où le vernis policé et l’envie de paraître cèdent le pas à la brutalité parfois sauvage des rapports qui les lient, où force et intimidation s’expriment mais où se dévoilent aussi les proximités nées de la promiscuité forcée. Le spectateur, lui, est à la fois voyeur, témoin pris à partie et juge. L’histoire tourne dans ce cercle infernal d’où nulle issue n’est possible, comme dans un cérémonial qui pourrait se reproduire à l’infini. On ressent cependant un malaise à percevoir ce qui est réellement en cause dans la pièce. S’agit-il de dresser un portrait social éclaté en de multiples facettes ? S’agit-il de l’enfermement de ces « petites filles » déjà très femmes livrées à elles-mêmes qui n’ont plus besoin d’une police extérieure pour créer leur propre ordre ? S’agit-il de montrer la perversion d’un monde où nous serions en permanence sous le regard des autres ? Difficile de dire. On aurait souhaité que le propos ait été plus clair, débarrassé des scories qui le rendent touffu et engendrent la confusion, et que la pièce soit plus resserrée et percutante. Elle reste néanmoins fascinante.

Les Petites filles. Texte et mise en scène : Marion Pellissier S Avec : Charlotte Daquet en alternance avec Carole Costantini, Jessica Jargot, Zoé Fauconnet, Julie Mejean, Savannah Rol, Marie Vires S Composition : Jean-Baptiste Cognet S Construction : Gabriel Burnod S Vidéo : Nicolas Doremus, Nicolas Comte, Florian Bardet S Lumière : Jazon Razoux S Son : Thibault Lamy

Tournée
30 novembre > 7 décembre : Montpellier - Le Hangar Théâtre 
9 décembre : Narbonne - Scène Nationale

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