Le Bonheur des uns… Une exploration sauvage et débridée des « philosophies » du bien-être

Le Landerneau des opinions reçues ne bruisse que de réconciliations avec soi-même et de développement personnel. Cette comédie grinçante et pleine de justesse en explore les tenants et les aboutissants avec un humour féroce mais bien senti.

Que se passe-t-il lorsqu’un beau jour Lui rentre à la maison et, tout à coup, se pose la question du bonheur. Lui et Elle sont-ils heureux ? Quand ils font le bilan, rien n’est moins sûr… Pour lui, « Ma vie est un frigidaire vide […] Pas vide, mais rempli seulement de yaourts périmés et de beurre rance. » Pour Elle, de son côté, comment être heureux quand on enseigne à des ignares et qu’on a le sentiment de prêcher dans le désert ? Faut-il changer ? Et si oui, pour quoi ? Elle n’est pas chaude. On sait ce qu’on a, on ne sait pas ce qu’on aura… On peut toujours briser l’isolement et rencontrer les voisins, par exemple…

Dans les méandres du développement personnel

Les voisins, justement, ils ont l’air parfaitement bien dans leur peau. Mobilier design, position des meubles selon les canons du feng shui, gentillesse dégoulinante – oui, vraiment, ils sont très heureux de cette initiative de rencontre. Ils ont tout bien, ces voisins : un bel appartement, avec sa terrasse, ils sont contents de ce qu’ils font, de ce qu’ils ne font pas tout autant, ils vivent une vie « libérée », en accord avec leur corps, en puisant leur état de bonheur en eux-mêmes. Ils veulent partager avec ces voisins qu’ils découvrent cette « science » du bonheur qui fait les choux gras de ces gourous d’un nouveau genre qui sévissent sur les réseaux sociaux, dans l’édition et dans les médias. On vend du bonheur comme des savonnettes, et plus la société est en crise, plus on vous propose de trouver en vous-même le moyen de « positiver ». Parce que le bonheur, ça s’apprend… Alors la Voisine se mue en coach jusqu’à ce que le bel ordonnancement s’effondre et révèle ce qui est caché derrière…

Décalages et contradictions

Elle et Lui, ce sont Monsieur et Madame Candide au pays du développement personnel. Les naïfs qui posent les questions gênantes qui mettent à nu le système. Il faut être à l’écoute de soi-même, dit la voisine. Mais pour écouter quoi ? Justement rien… Prendre le temps de vivre, le temps de ne rien faire… Et ça vous prend beaucoup de temps ? Les Voisins, ils sont too much. Dans la grimace qui leur tient lieu de sourire, dans leur obligeance plus que forcée, dans les conseils qui sortent tout droit des messages diffusés par ces « philosophes » de la vie qui s’érigent en maîtres à penser. Il suffit d’un grain de raisin sec qu’on fait rouler sous ses doigts pour trouver la formule du bonheur. Et, quand les choses se compliquent, que la réalité pèse d’un trop gros poids, la solution est « de se rendre étanche aux malheurs du monde » pour écouter « à quel point nous sommes bruyants de l’intérieur », comme un essaim d’abeilles. Les dialogues fusent, révélant l’inanité du discours, servis par des comédiens épatants, pince-sans rire, qui manient la farce à l’envi sans trop forcer la note, avec juste le petit degré au-dessus du « normal » qui convient.

Le malheur des autres…

Au moment où le Voisin et la Voisine entament la descente aux enfers qui annihilera tous leurs efforts en se replongeant dans les raisons de leur « conversion » au bonheur, Elle et Lui font le chemin inverse. Ils tirent les leçons de cet « apprentissage » du bonheur pour en tirer profit socialement en s’inscrivant dans le marché du bonheur programmé ou de la manipulation de ce concept. Mais sont-ils réellement heureux lorsqu’ils déplacent indéfiniment leurs meubles à la recherche d’une harmonie qui se dérobe sans cesse ? Le bonheur est sans doute ailleurs… Peut-être, justement, dans les imperfections qui composent la vie, dans les joies et les douleurs enchaînées, dans l’errance et dans l’amour qu’on éprouve pour l’autre…

Le Bonheur des uns… S Texte (éd. du Cygne) et mise en scène – Côme de Bellescize S Avec : LUI - David Houri ELLE – Coralie Russier LA VOISINE - Eléonore Joncquez LE VOISIN - Vincent Joncquez S Scénographie – Camille Duchemin S Lumière – Thomas Costerg S Son – Lucas Lelièvre S Costumes – Colombe Lauriot-Prévost S Régie générale – Manu Vidal