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Arts-chipels.fr

Karel Appel. Fausse fête brute pour une belle exposition

Karel Appel. Fausse fête brute pour une belle exposition

Faux naïf, proche de l’art brut sans l’avoir revendiqué, Karel Appel inscrit son parcours pictural expressionniste et coloré dans la seconde moitié du XXe siècle. La rétrospective que lui consacre le musée d’art moderne de la Ville de Paris présente un échantillon représentatif de ses œuvres depuis les années CoBrA jusqu’à la fin de sa vie. Un parcours passionnant, de l’après-guerre à l’an 2000.

Le peintre commence sa carrière ou presque – il sort des Beaux-Arts d’Amsterdam en 1943 et est exposé pour la première fois en 1946 – en rejoignant le groupe CoBrA. CoBrA, acronyme de Copenhague-Bruxelles-Amsterdam d’où sont originaires ses membres, rassemble dans les années d’après-guerre (1948-1951) les poètes Christian Dotremont et Joseph Noiret, et les peintres Asger Jorn, Karel Appel, Corneille et Constant. Contestant l’art établi, tous sont à la recherche de l’authenticité qu’ils pensent trouver dans le primitivisme, la calligraphie orientale ou encore l’art des enfants, considéré comme non « pollué » : une source originelle dans laquelle s’abreuver. Mais l’existence du groupe est courte. Chacun reprend rapidement sa propre route. Quelques œuvres appartenant à cette période forment le début du parcours. Lorsqu’on circule à rebours dans l’exposition, elles apparaissent comme un brouillon, une première esquisse de ce que l’œuvre deviendra plus tard.

Les sentiers buissonniers de l’inspiration enfantine

La « naïveté » bon enfant qui transparaît dans ces petits personnages aux couleurs vives, parfois constitués de morceaux de bois de récupération peints et plaqués au mur, cède vite la place à une peinture où, sous les dehors éclatants des couleurs vives transparaît une nécessité plus forte et, curieusement sous ces oripeaux éclatants, plus grave. Les petits personnages colorés et festifs des débuts réapparaîtront cependant en 1978 dans la série du Cirque, qui convoque la galaxie des hommes et des animaux qui composent la famille circassienne et la mythologie du peintre. Comme chez Dubuffet, il faut plutôt qualifier ces sculptures en 3D de peintures tant c’est le pictural qui est premier, tant le rapport et l’agencement des couleurs prime sur la forme…

La grande famille de l’art brut

L’ombre de Jean Dubuffet plane en effet de manière insistante sur l’œuvre de Karel Appel. Par la présence, parmi les supporters de l’artiste, de Michel Tapié, le promoteur de l’art brut. Par le portrait fortement grotesque qu’en réalise Karel Appel, dans des tons majoritairement gris et noirs parsemés de bleu, d’une matérialité puissante qui évoque la série de portraits faits par Dubuffet intitulée « Plus beaux qu’ils sont », où s’épanouit le même souci de capter l’essentiel dans une représentation déformée et grotesque, la couleur en moins. L’art « brut » est omniprésent dans la volonté d’immédiateté du peintre, dans le pied-de-nez à la culture, dans cet art qui revendique de désapprendre l’art pour revenir à l’impression première, débarrassée des scories de l’éducation.

Êtres humains qui parmi nous vivez…

Dans cette représentation volontairement sommaire, c’est le vivant qui est ainsi passé au scalpel, questionné dans ce carnaval de formes heurtées, tracées à gros traits. L’homme et l’animal sont placés sur le même plan. Les chouettes délicates voisinent avec des oiseaux de taille monstrueuse penchés sur des humains non catégorisés. Des animaux chavirés crient leur angoisse dans une sorte d’arche de Noé en perdition où se débattent hommes et bêtes. Ils s’empilent pêle-mêle dans ce radeau de la Méduse où une statuette africaine de femme et ce qui pourrait être un faune apparaissent écrasés par un cheval qui rappelle la figure distordue par la terreur placée au centre de Guernica, au milieu d’un amas confus rassemblant un singe, une antilope et des ibis. Confusion des espèces qui conduit même l’artiste à créer un hybride, tel cet Homme hibou n°1 en trois dimensions, habillé de jaune, d’orangé et de noir qui trône dans l’exposition.

Dans un tourbillon de bruits et de couleurs

L’exposition est intitulée par ses organisateurs « L’art est une fête ». Un titre pour le moins singulier quand on regarde l’œuvre. Certes, la peinture de Karel Appel dénote un goût pour le carnaval et le cirque, présents dans les thèmes comme dans la dérision qui affleure à maintes reprises. Singing Donkeys, l’installation géante en trois dimensions qui ouvre l’exposition, met en scène par exemple des têtes d’ânes en train de braire à tue-tête sous des parapluies de couleur. Une main monstrueuse forme une coupe – pour recueillir leur « chant » ? ou la pluie que leurs braiements ne manqueront pas de faire tomber ?

Certes, la couleur explose, littéralement, dans l’œuvre entier, excepté à la fin des années 1980 où le noir et le blanc inondent de grands tableaux dans des œuvres saisissantes, dramatisées, où la distribution du plein et du vide laisse l’impression d’une méditation, très sombre, sur le devenir de l’homme. Le personnage, non identifiable si ce n’est par une représentation grossière qui le définit en tant qu’humain, sans autre caractéristique, qui apparaît dans le Nu de 1989 dans le coin droit du tableau, révèle le rapport de forces entre le noir et le blanc, la mort et la vie, et distille un désespoir intense. Seul le cadre du tableau le retient de tomber.

Sous des dehors riants, l’angoisse fiévreuse

Chez Karel Appel, si l’art est une fête, c’est paradoxalement une fête assez sombre, pas vraiment festive, plutôt grimaçante, peuplée parfois de têtes coupées, de corps blessés, meurtris, barbouillés de couleur, malmenés par la peinture. Dès qu’on sort des années CoBrA, sa peinture cesse d’être douce, gaie, pour devenir âpre, violente, mouvementée. « Ur Form, Ur Angst » (forme primitive, première, angoisse originelle), écrit Karel Appel comme s’il synthétisait en une formule unique ce qui sous-tendra soixante ans de création. Une angoisse qui transparaît dans l’urgence fiévreuse avec laquelle il se confronte à la peinture. Le documentaire réalisé par Willem Sandberg en 1961 sur la création d’Archaic Life et présenté dans l’exposition l’exprime clairement. Il montre un peintre projetant de manière frénétique la peinture sur la toile, déversant directement à partir du tube des filets grumeleux de peinture pure, travaillant la peinture avec ses mains, se battant avec elle, malmenant la toile comme pour faire rendre gorge à l’œuvre. Rien de lisse, tout est heurté, véhément, dans le mouvement nerveux, presque agressif, qui dessine sur la toile ces zones qui deviendront des personnages ou des animaux. Alors, serait-ce l’acte même de créer qui est une fête ?

Dans cette œuvre dans laquelle certains critiques ont voulu voir l’équivalent européen de l’expressionnisme abstrait américain, Karel Appel affirme et revendique haut et fort le statut de la figuration contre l’abstraction. Mais cette figuration qui dépersonnalise tant la figure humaine est-elle encore de la figuration ? N’est-elle pas plutôt, sous ses habits multicolores et volontairement simplifiés, idée et vision du monde ?

 

Karel Appel – L’Art est une fête

Musée d’art moderne de la Ville de Paris

24 février – 20 août 2017 – Mar.-dim. 10h-18h, le jeudi jusqu’à 22h

Tél. 01 53 67 40 80/40 83. Site : www.mam.paris.fr

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