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Arts-chipels.fr

Ryutaro Suzuki. Classique et perfection japonaise

Ryutaro Suzuki. Classique et perfection japonaise

On connaît le souci maniaque de la perfection développé par les Asiatiques. Ce concert ne déroge pas à la règle, en présentant la « grande musique » classique.

Ryutaro Suzuki est un Japonais très européanisé, en particulier dans sa formation musicale. Un physique surprenant : des bouclettes sur la tête au lieu de l’habituelle raideur noire qui caractérise ses semblables. Et un programme très « japonais » dans sa conception : il ne manquait pas un bouton de guêtre (ou presque) au choix du programme musical : Bach, Mozart, Schubert et, pour finir, Rachmaninov. Seul Chopin n’avait pas eu droit de cité. Un petit peu de chaque pour englober toute la culture musicale et en donner pour tous les goûts. Un choix typique des Asiatiques désireux de s’approprier la « grande » culture européenne. Allié, bien sûr, à une perfection technique sans faille.

Brendélien dans l’âme

Cela une fois posé, si l’on oublie le début (un extrait du Clavecin bien tempéré de Bach) pour lequel, visiblement, notre Ryotaro n’était pas fait – il n’est pas donné à tout le monde de comprendre que la poésie de Bach naît de la mathématique rigoureuse de l’agencement des notes et de leurs combinaisons infinies qui conduisent à une rêverie et non d’un quelconque mouvement imprimé à ces notes par l’interprétation – le reste du programme était tout à fait plaisant. Il y a chez ce jeune homme quelque chose de Brendélien dans la manière de jouer, la finesse de toucher, y compris même dans le fait de jouer le plus souvent les yeux fermés pour se glisser dans la musique et n’entendre qu’elle.

La Sonate en la mineur (K 310) de Mozart correspondait à ce qu’on peut en attendre : une légèreté doublée d’une énergie et d’une vitalité intenses comme sait si bien le proposer Mozart. Dans ce marivaudage d’une grande vélocité, qui donne un sentiment d’urgence et de fièvre, on se sent enlevé, porté vers des cieux riants et clairs même si quelques grondements s’expriment par moments. Aucun musicien ne parvient, à mon sens, au niveau de la jubilation mozartienne, de ce plaisir intense de la musique pour la musique. Cette musique-là n’est pas cérébrale à la manière de Bach ; elle est sensuelle avant tout, source de jouissance profonde dans sa légèreté paradoxale. On en sort réconforté, réconcilié avec l’humanité.

Les variations du romantisme

Quant aux Moments musicaux, qui correspondent à la période créatrice tardive de Schubert (1823-1827, Schubert décèdera en 1828), ils constituent une synthèse, un résumé en images musical de ce qui rend Schubert unique : un mélange de douceur élégiaque et d’éclats de violence contenue, des rythmes de danse insouciante traversés d’éclairs, l’association de moments graves et légers, de plaisirs simples et de regrets. Lorsque le morceau commence, on se rêve, au Tyrol peut-être, quelque part dans la montagne. Un cor résonne au loin. D’autres lui répondent. Les sonnailles des bêtes qui paissent non loin de là s’étagent dans l’espace. Dans ce lieu, le temps ne passe pas. On s’alanguit dans un paysage crépusculaire propice à la mélancolie (Andante). Mais voici que le voyage s’invite, avec animation. L’Air russe nous entraîne dans la danse. Sons glissés, légèrement syncopés, s’élevant dans l’air du soir avant la grande redescente, un retour à une certaine tristesse de la réalité. Et la ronde des sentiments continue…

Côté Rachmaninov (Sonate pour piano n° 2 op. 36, datée de 1913), on passe à un romantisme plus contemporain, beaucoup plus enlevé, plus emporté, mais qui reste néanmoins assez « classique » dans la facture. Ce morceau est tout en ruptures et en urgences fiévreuses que viennent tempérer dégradés progressifs sur le clavier et ruptures soudaines de tons, descentes vertigineuses alternant avec quelques notes parcimonieuses vite saisies de frénésie, comme si Rachmaninov, après la dépression qui le frappe à la suite de l’échec public de sa 1re symphonie retrouvait sa raison de composer et sa force. Curieusement, cette œuvre, écrite pendant les années « russes » de Rachmaninov – il n’émigrera qu’en 1917, chassé par la Révolution – est finalement assez peu russe dans ses thèmes. Savante, elle n’emprunte pas à la tradition populaire dont nombre de ses contemporains (Rimsky Korsakov par exemple) firent leur miel. Tout au plus pourrait-on y reconnaître les excès de l’âme russe, cette outrance qui va vers le trop : trop fort, trop doux, trop rapide, trop violent. Un monde qui n’aime pas la demi-mesure. La vie est vécue avec passion et ce sentiment du tout-tout de suite nous emporte à son rythme effréné. Au même sens de la précision et de la finesse qu’il montra tout au long de la soirée, notre Japonais en boucles ajouta la passion romantique et le sens de la nuance.

Au total, un peu too much du côté sensibilité sur l’ensemble du concert, mais une fort belle soirée.

SF

Ryutaro Suzuki

Jean-Sébastien Bach, Prélude et fugue en fa mineur BMW 857, extrait du Clavecin bien tempéré

Wolfgang Amadeus Mozart, Sonate en la mineur K. 310

Franz Schubert, Moments musicaux D. 780, op. 94

Sergueï Rachmaninov, Sonate pour piano n° 2 en si bémol mineur, op. 36

29 novembre 2016

Goethe Institut, 17, avenue d’Iéna – 75016 Paris

Tél. 01 44 43 92 30

www.goethe.de/paris

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