6 Juin 2020
Quand je suis tombé sur ce titre, nous en étions au tout début du Grand Confinement, ce qui, bien entendu, le rendait d'autant plus intrigant – et désirable… Et je n'ai pas été déçu !
Voici donc un livre d'un genre inclassable : ni roman, ni essai, c'est certain ; promenade ? souvenirs ? peut-être encyclopédie ? ou plutôt, une gigantesque digression, qui aborde tous les sujets possibles, sans oublier les autres… On apprendra tout (par exemple et sans hiérarchie aucune) sur le Crystal Palace de la première exposition universelle de Londres en 1851, mais aussi sur le sel et le poivre, le maïs, le régime alimentaire de l'époque victorienne, les architectes anglais, la vie de Marx et d'Engels à Londres, les revenus des cures dans les siècles passés, les dangers des escaliers, la mortalité par les dents ou le remède contre le scorbut…
L'astuce de Bill Bryson est donner à l'ensemble une structure – un mot sans doute un peu exagéré – en décrivant pièce par pièce sa demeure en Angleterre, un vieux presbytère devenu ensuite maison particulière, ce qui lui permet de regrouper ses flâneries au fil des lieux qui la composent : le hall, la cuisine, le couloir, etc. Ce faisant, son propos acquiert à la fois l'unité et l'extension dont parlait Bachelard définissant notre habitation : « La maison est notre univers. Elle est vraiment un cosmos, dans toute l'acception du terme. »
Un livre pareil pourrait donner le tournis ; eh bien, pas du tout ! C'est même curieusement le contraire qui se produit et l'on suit l'auteur dans ses pérégrinations avec une impression de rigueur qui redouble encore le plaisir des mille et unes découvertes qu'il nous fait faire sur tout et sur rien. Mais attention ! toujours avec une érudition et un souci du détail stupéfiants. (J'ai souvent, en cours de lecture, recouru à Wikipedia pour aller vérifier tel fait, tel nom, telle date, et n'ai jamais pu prendre Bill Bryson en défaut d'érudition, non plus que de cuistrerie, de pédantisme ou pire, d'ennuyeuses longueurs.)
Excellemment traduit par Hélène Hinfray (c'est-à-dire qu'on ne décèle jamais derrière son texte l'original anglais qui affleurerait), le livre m'a laissé une impression double de profondeur et de légèreté, et avant tout de plaisir gourmand. Et m'est venue en cours de lecture cette réflexion (dont j'ose à peine faire part, tant elle suinte le cocoricorisme gaulois, mais qui s'impose devant l'actualité – suivez mon regard) : oui, il existe des Américains qui ont de l'esprit, de la profondeur et de la finesse tout ensemble. Rien que pour vérifier cette constatation, Une Histoire du monde sans sortir de chez moi mérite le détour.
Bill Bryson, Une Histoire du monde sans sortir de chez moi,
traduit de l'anglais (États-Unis) par Hélène Hinfray,
Petite Bibliothèque Payot « Irrésistibles » n° 1012, 638 pp, 2014-2015 (10,50 €)