19 Septembre 2018
Dans un petit village catalan à l’orée des Pyrénées, les voix du Pamano, nées dans la douleur de la Guerre civile de 1936, ne se sont pas tues. Une histoire envoûtante de passions et d’excès.
Oriol Fontelles, le maître d’école, a été exécuté. Mais par qui ? Une riche et puissante propriétaire, Elisenda, pèse de tout son pouvoir et de toutes ses relations pour le faire reconnaître comme Bienheureux, défenseur de l’Église, tombé sous les balles des résistants républicains. Mais l’histoire est-elle réellement celle-là ? Une institutrice du village où Oriol enseignait trouve le journal dans lequel il consignait ses activités dans l’espoir qu’un jour, la fille qu’il avait eue de son mariage détruit comprenne qui il était en réalité.
La mémoire encore brûlante des années franquistes
L’auteur nous introduit au cœur du quotidien de la lutte des républicains espagnols et fait revivre les années franquistes avec leur cortège d’exactions en tout genre, de spoliations masquées sous des motifs politiques, les années de délation et de terreur qui s’étendirent jusqu’à la mort du dictateur. Il décrit une vie de mutismes contraints, de fausses attitudes, la peur au ventre qui est le lot de tous les jours, la résistance qui s’organise au cœur de ces montagnes où courir après les résistants tient de la partie de cache-cache. Il étale au grand jour l’iniquité des phalangistes. On demeure confondu par la persistance, plus d’un demi-siècle après, des haines qui se formèrent à cette époque.
Un enchevêtrement d’histoires
Comme toujours, chez Jaume Cabré, les histoires s’entremêlent. À celle d’Oriol Fontelles et d’Elisenda Vilabrú y Vilabrú – et de leur passion qui s’épanouit à l’abri des regards et dont les conséquences seront tragiques – s’ajoutent d’autres histoires : celle de l’institutrice, que son mari trompe comme Oriol le fit, avec une autre femme, et celles de tous ceux qui côtoyèrent les personnages. La galerie s’enrichit du maire phalangiste et de ses affidés, exécuteurs de basses œuvres à l’occasion, de la présence du goupillon, accessoire inséparable du sabre franquiste, du marbrier funéraire qui eut à graver les messages du franquisme et ceux de sa disparition, et de bien d’autres encore. Cabré nous conte l’histoire d’Elisenda, sa poigne et sa volonté de fer qui vont de pair avec sa capacité à retourner sa veste quand le moment est venu, et celle de son fils, qui se trouve lié à l’histoire d’Oriol. Des histoires de passions, qui viennent perturber le cours des choses, enrayer la logique, ajouter au chaos de l’Histoire.
Le flot tumultueux de l’écriture
On reconnaît dans ce roman le style inimitable de Cabré, sa propension à tisser les fils de ces différentes histoires pour les mêler de manière si inextricable qu’il faut avoir lu pour comprendre qu’on a changé d’univers sans crier gare. Point de rupture marquée par un nouveau chapitre ou une localisation du propos qui permette de s’y retrouver. On passe au détour d'une phrase d’un épisode à l’autre, d’un personnage à l’autre sans transition, sans que rien ne marque le transport dans un autre lieu ou le voyage dans le temps. On chemine à l’aveugle dans cette écriture qui vous entraîne, tel un fleuve au courant puissant charriant passé et présent dans un même remous. Il faut accepter de se faire fétu pour pénétrer au sein de ce déroulé multiforme, baroque et de se laisser porter sans résister dans ce flot insaisissable qui manie aussi bien l’humour que le lyrisme. À ce prix on goûte ce plaisir rare qui a nom littérature…
Les Voix du Pamano de Jaume Cabré (© Christian Bourgois, 2009, 10/18 2012)
Du même auteur, le magnifique Confiteor