4 Octobre 2024
Après enquête auprès de femmes de tous milieux, métiers et origines, sur scène, deux comédiennes et un guitariste se font l’écho de leurs colères. Textes et chansons sont orchestrés par Laurent Vacher.
En passant par la Lorraine
Laurent Vacher, implanté depuis 1998 dans le Grand Est, axe les projets de sa compagnie sur des problématiques sociales. En plus de mises en scène de textes d’auteurs contemporains, il mène sur ce territoire une politique d’action culturelle avec des publics diversifiés (écoles, hôpitaux, centres sociaux...), aboutissant à des créations partagées. La Colère s’est construit à partir de paroles recueillies principalement autour du Val de Briey, dans le Bassin lorrain, et lors d’une résidence au Théâtre de Chelles. Tout comme le metteur en scène, les deux comédiennes, Odja Llorca et Marie-Aude Weiss, sont parties à la rencontre de travailleuses sociales, enseignantes, élues, mères célibataires, migrantes, lycéennes, étudiantes, sportives... De ces entretiens et de paroles glanées au hasard des TER ou des supermarchés, résulte un montage composite de textes et de chansons, rythmé par la musique de Philippe Thibault.
C’est à la Maison d’Elsa, à Jarny, qu’a eu lieu la première représentation de La Colère, après une résidence de dix jours pour finaliser le spectacle. Dans la petite ville de quelque 8 000 habitants, à la frontière du Luxembourg, ce théâtre fait figure de résistant avec une programmation variée de créations contemporaines. Il accueille les compagnies d’un territoire, endeuillé par la fermeture, par manque de moyens, de plusieurs établissements culturels. Dernièrement, La Machinerie 54, implantée à Homécourt et seule « Scène conventionnée d’intérêt national Art et création » dans le département de Meurthe-et-Moselle, a baissé le rideau, faute d’engagement financier de son principal partenaire, la Communauté de Communes Orne Lorraine Confluences (OLC). La Maison d’Elsa propose aussi des spectacles en itinérance dans les communes avoisinantes et chez les particuliers. La Colère fait partie de cette tournée.
La colère dans tous ses éclats
On entend d’abord Louise Michel et son combat contre les injustices sociales de son époque. « J’ai souhaité mettre en miroir le croisement de ses luttes avec celles des femmes d’aujourd’hui », dit Laurent Vacher. À partir de là, les comédiennes nous emmènent dans différents lieux — villes, villages, banlieues —à la rencontre des unes et des autres, qu’il vente ou qu’il « drache », ce qui est fréquent en Lorraine. Certaines revendiquent haut et fort leur révolte : « Je suis née en colère dans une famille de matriarches [...] Les mecs, ils savent rien faire ! » Elles s’émeuvent du « harcèlement de rue ». D’autres, comme cette institutrice, découvrent, au fil de l’entretien une colère insoupçonnée. Pour unetelle, l’explosion peut être ravageuse : « Je la sens arriver comme une bouilloire à thé. Black out, trou noir. » Une élue locale, elle, veut « garder ce sentiment de colère comme un moteur ». Et c’est souvent dans l’action collective que ce sentiment peut trouver un exutoire : « Je suis en colère, je suis vivante ! Elle sort, ma colère, quand je défends les autres... »
Quelques notes de Philippe Thibault, sur sa guitare ou d’Odja Llorca, sur son ukulélé, évoquent l’ambiance et les circonstances des différentes séquences. Les prises de paroles s’accompagnent de commentaires des comédiennes et de quelques chansons, histoire de prendre de la distance avec leurs personnages, surtout quand elles ne sont pas d’accord avec leurs propos. Par exemple, ceux de cette jeune mère, saisis à bord d’un train : «Puis dans l’immeuble ils ont installé des familles afghanes, syriennes, des africaines plein. Et eux ils ne payent rien. Ils ont les allocations spéciales, la cantine gratuite, toutes quoi toutes les aides. Les enfants de ces gens ils ont mis le bazar, à l’école ça se passe mal. Puis y a pas de travail dans notre commune. Alors tous ces gens y restent là. Oui maintenant je vote RN, eux y vont les foutre dehors. Mes enfants, ils sont comme moi, racistes. J’étais sur les ronds-points avant avec les gilets jaunes, j’ai gueulé, on s’est fait taper dessus, gazer... on réclamait quoi ? D’la justice, d’l’égalité, du pouvoir d’achat juste pour nourrir nos enfants. »
Pas de censure, ici, seule une volonté de laisser s’exprimer tous les malaises : « Je tenais à conserver la langue brute, le ton et l’oralité des femmes rencontrées, sans déformation ni modification », confie Laurent Vacher.
La parole en chantier
Le spectacle se construit progressivement, avec un regard souvent amusé porté par les actrices et le musicien sur ces mots glanés au fil des rencontres. Devant la richesse des témoignages et dans une volonté de faire exister toutes celles qui se sont confiées, Laurent Vacher a écrit deux versions de la pièce, chacune articulée autour de thématiques similaires. À chaque représentation, le public tire au sort l’une ou l’autre, et n’entendra donc qu’une partie des restitutions. Mais chaque mouture reflète la pluralité des colères, qu’elles soient intimes ou collectives, et aborde des questions comme l’écologie, l’éducation, la culture, la sexualité, la politique, l’économie... Souvent réprimée ou dénigrée, la colère, au lieu de rester sous cloche, peut, au contraire, devenir un moteur dans la vie personnelle et sociale, incitant au changement et à l’action. Peut-être sèmera-t-elle les graines de futures Louise Michel.
La Colère, un projet de Laurent Vacher – Cie du Bredin S À partir d’entretiens réalisés par Laurent Vacher, Odja Llorca, Marie-Aude Weiss S Adaptation, texte et mise en scène Laurent Vacher S Avec Odja Llorca, Marie-Aude Weiss et Philippe Thibault S Composition musicale Philippe Thibault S Dramaturgie Pauline Thimonnier S Costumes Virginie Albla S Aide à la transcription Zoé Laulanie S Lumière Victor Egéa S Coproduction Château-Rouge – Annemasse, Nest - CDN de Thionville-Grand Est S Accueil en résidence Maison d’Elsa - Jarny, Nest - CDN de Thionville-Grand Est, Centre Pablo Picasso-Homécourt en partenariat avec l’OLC S La Cie du Bredin est conventionnée par le ministère de la Culture – DRAC Grand Est et par la Région Grand Est S Remerciements aux théâtres de Chelles, d’Aurillac, à la maison d'Elsa, au Nest, à la Mission Locale de Briey, aux lycées Louis Bertrand de Briey, Fabert de Metz, à l’OLC S S Merci à Bernadette Papin qui a contribué à faciliter des rencontres et Catherine Vales du Val de Briey S S Durée 1h
Création 24 septembre 2024 à la Maison d’Elsa, Jarny (Meurthe-et-Moselle)
Jeudi 3 octobre 2024, 10h - Lycée de Val de Briey
Vendredi 4 octobre 2024, 19h45 - Salle de l’Hôtel de Ville de Val de Briey
Samedi 5 octobre 2024, 14h30 - Cinéma casino de Joeuf