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Arts-chipels.fr

La Vague. Les voies perverses du totalitarisme.

© Tanguy Mandrisse

© Tanguy Mandrisse

Avec ce spectacle destiné aux adolescents comme aux adultes, Marion Conejero met en scène, dans une déconstruction convaincante, le processus insidieux qui mène au totalitarisme.

Dans une salle de classe de lycée, le XXe siècle est au programme et, avec lui la montée des totalitarismes en Europe durant le premier tiers du siècle. Plutôt que de se contenter de définir abstraitement les concepts tels qu’« Autocratie », un professeur décide d’expliquer le processus en faisant de la classe le microcosme de l’Allemagne dans une démonstration en actes de la montée du nazisme et de ses implications. Il va engager sa classe dans une transposition, au niveau des élèves, des différents facteurs qui ont pesé et qui expliquent la relative facilité avec laquelle les régimes totalitaires se sont installés. En parallèle, la classe de théâtre où Richard III de Shakespeare constitue le sujet d’étude met en perspective le propos et le transpose sur le plan artistique. 

Une classe comme il en existe des milliers

Ils ne sont que cinq élèves, pourtant ils représentent en raccourci des milliers d’autres. Il y a les garçons et les filles, les bons et les bonnes élèves, les cossards, plus intéressés par leur petit confort ou les histoires des copains, ceux qui n’ont pas la même couleur de peau et l’inévitable cancre qui ne sait que dormir et que rien n’intéresse. C’est avec cet équipage disparate que le professeur compose. Une kyrielle d’enfants « normaux », en somme, auxquels Richard III enseigne qu’il faut se faire sa place et qu'on est fort de la faiblesse des autres. Première étape : la discipline. Lever la main pour demander la parole et commencer par « S’il vous plaît, Monsieur le professeur », ou quelque chose d'approchant. Déjà tout un programme que chacun accepte avec relativement de facilité sur le mode de « laisser faire et voir venir ».

© Tanguy Mandrisse

© Tanguy Mandrisse

Un « apprentissage » de l’embrigadement

Peu à peu l’atmosphère de la classe évolue. La discipline s’installe. Des règles sont édictées, des limites à ne pas franchir fixées. Le groupe classe, rassemblé autour de son professeur dans un premier temps, avant que ne se dessine un leader, se forme. Bientôt il est un bloc compact qui se serre les coudes. Ceux qui n’y entrent pas sont traités comme des étrangers. Quant à ceux qui refusent d’en faire partie, ils sont considérés comme des ennemis. Bientôt viendront les slogans unificateurs – « La force par la discipline », «  La force par la communauté », « La force par l’action » – et le choix d’une bannière sous laquelle se regrouper. De petites incises renvoient au nazisme et aux couleurs sociales dont s'est paré au départ le populisme des totalitarismes. On voit se mettre en place les mécanismes d’embrigadement et l’effacement progressif de la volonté individuelle devant la force du collectif dans lequel chacun n’est plus qu’un rouage dans une machine emballée menée par un leader charismatique. 

Une pièce tirée d’un roman inspiré d’un fait réel

La pièce est adaptée du roman de Paul Strasser qui reprend l’expérience menée par un professeur américain, Ron Jones, à Palo Alto en Californie en avril 1967. Pour faire comprendre à ses élèves la manière dont la population allemande laisse faire sans réagir les atrocités nazies, il organise une mise en situation en fondant un mouvement, la « Troisième Vague », dont l’idéologie vise à la destruction de la démocratie. Durant une semaine, franchissant chaque jour une étape supplémentaire, il démontre à quel point, si l’on n’y prend garde, il est facile de sombrer dans le totalitarisme. Cette expérience, qualifiée par le professeur de « l’un des événements les plus effrayants qu’[il ait] jamais vécus dans une salle de classe » et qu’il consigne dans un livre publié en 1972, inspirera dans les années 1980 des travaux de psychologues sur la malléabilité des adolescents et la réalisation de films ou de téléfilms. Elle sera aussi adaptée pour le théâtre ou en comédie musicale.

© Tanguy Mandrisse

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La question de l’individualité

Le but recherché est de convaincre les élèves d’éliminer la démocratie en ce qu’elle peut susciter des réactions individuelles qui vont nécessairement, à un moment, à l’encontre de l’intérêt général ou de ce que l'on qualifie comme tel. C’est ainsi que la pièce met en scène plusieurs cas de figures individuels pour analyser les raisons de l’adhésion au groupe ou de son rejet. Il y a, comme le cancre, ceux qui trouvent dans le groupe la famille qu'ils n'ont pas ou la protection dont ils ont besoin contre le harcèlement qu’ils subissent de la part de leurs camarades et qui pourraient, par désir de rester intégrés au groupe ou par vengeance, se transformer en bourreaux parmi les plus jusqu’au-boutistes, ou, à l’inverse – ici une jeune fille – ceux qui ruent dans les brancards devant l’abdication de tout libre arbitre et la perte de leur individualité. Il y a enfin ceux qui sont mis à l’index parce qu’ils sont différents par leur comportement, leur religion ou leur couleur de peau.

© Tanguy Mandrisse

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Un spectacle dont l'accompagnement est souhaitable

Dans le cours de sa démonstration, par moments, l’Histoire reparaît dans le spectacle comme refait surface l’aventure de Richard, le prince contrefait qui prend sa revanche sur le monde. Un moyen d’échapper à l’identification totale des adolescents présents dans la salle avec ceux qui s’agitent sur scène et se mélangent parfois à eux pour établir un pont entre fiction et réalité. C’est dans le même esprit de rapprochement entre la scène et la salle que la pièce ne fait pas l’économie des petits événements de la vie à cet âge. Parce qu’il y a aussi les flirts et les bisous qu’on s’échange et qui déclenchent une véritable houle dans la salle. La violence qui monte crescendo les fait aussi réagir. La rumeur court et enfle à mesure que se met en place le système totalitaire, les réactions s'échangent à voix contenue. Cependant, selon les enfants, un relais s’avère nécessaire pour éviter que le processus d’identification qui se met en place lorsqu'ils se voient  reflétés sur la scène n’ait l’effet inverse de celui recherché et qu'ils soient à même de prendre de la distance envers le personnage auquel iel s'identifie. C’est pourquoi, relayant le travail des professeurs, des rencontres sont organisées par la compagnie dans les classes.

© Tanguy Mandrisse

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Un enjeu contemporain

Reste que le spectacle, impeccablement mené et qui fait froid dans le dos, ne nous parle pas seulement d’hier mais aussi et avant tout d’aujourd’hui. À l’heure où les extrême-droites se réveillent un peu partout en Europe – et dans le monde –, où le Rassemblement « national » se pare de respectabilité et où certains même trouvent imaginable de voter pour lui, il est bon de rappeler comment se travestissent les outrages à la liberté et sous quels masques se cachent les pires atteintes à la dignité humaine. Le spectacle de Marion Conejero, à travers son analyse clinique en même temps que théâtrale, offre une belle opportunité d’éclairer le débat en même temps que de s’adresser à ceux qui feront le monde de demain.

La Vague d'après le roman de Todd Strasser et le scénario de Dennis Gansel S D'après l'histoire vraie de Ron Jones S Texte français Aude Carlier S Avec des extraits de Richard III de William Shakespeare

S Mise en scène et adaptation Marion Conejero S Avec Rosalie Comby, Marion Conejero, Anthony Jeanne, Arnold Mensah, Nino Rocher et Mathurin Voltz et les voix de Fiona Hamonic, Aurore Serra et Thomas Silberstein S Assistante à la mise en scène Aurore Serra S Scénographie Jordan Vincent S Musiques originales Raphaël Archambault S Création lumière Léandre Gans S Création costume Michèle Pezzin S Création son Manon Amor S Régie générale et son Théo Cardoso S Régie lumière Lison Foulou S Graphisme emblème Cécilia Gérard S Réglages boxe Paul de Monfort et Thomas Silberstein S Production Les Chiens Andalous S Coproduction Le Théâtre d'Angoulême, Scène Nationale / Le Théâtre de Thouars - Scène Conventionnée / Le Gallia - Scène Conventionnée de Saintes / L'OARA - Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine S Avec le soutien de La DRAC Nouvelle-Aquitaine / La Région Nouvelle-Aquitaine / Le Département de La Charente S Et le soutien de La Maison Maria Casarès / Les 3T, Scène Conventionnée de Châtellerault / L'Onde- Centre d'Art, Scène Conventionnée de Velizy-Villacoublay Les Chiens Andalous sont soutenus par La Région Nouvelle-Aquitaine Marion Conejero est artiste complice du Théâtre d'Angoulême S LA VAGUE est représentée dans les pays de langue française par Dominique Christophe /l’Agence, Paris en accord avec The Marton Agency, New York S Durée 1h45 S À partir de 14 ans

TOURNÉE

Juillet 2024 Festival au Village - Brioux-sur-Boutonne (79)

Du 22 juillet au 16 août 2024 Festival de la Maison Maria Casarès - Alloue (16)

Le 10 octobre 2024 Théâtre de Thouars - Thouars ( 79 )

Décembre 2024 CENTQUATRE, Paris ( 75 ), dans la cadre du Festival Impatience (16e éd.)

Avril 2025 La Mégisserie, Saint-Junien (87)

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