15 Novembre 2023
Ce voyage, ponctué de trajectoires et d’étapes, constitué comme un théâtre d’objets, traverse le monde des apparences pour se fonder comme une métaphore de l’exploration mentale des limites et de leur franchissement.
Au sol, une toile couvre la surface de la scène tandis qu’au fond un nautonier se dresse, la main sur des cordages devenus guindes d’être montés sur scène. On ne comprendra son rôle de grand ordonnateur et d’architecte qu’une fois apparu le marcheur, ici une marcheuse qu’on habille et qu’on dote d’un sac à dos descendu comme par magie des cintres pour arpenter cet espace indistinct que nappe la lumière. Voici Alice projetée au pays de Beckett ou dans quelques paysages ontologiques à la Jorge Luis Borges. Bientôt, tirant sur les bouts reliés aux bords de la toile, le meneur de jeu-navigateur dessinera des paysages mouvants au gré de la manipulation, incertains, insécures, en mutation permanente.
Paysages réels, paysages virtuels
Dès l’abord nous sommes prévenus. Cette cartographie imaginaire, c’est l’histoire d’un chemin impossible, dans un pays morcelé, au côté d’un auteur égaré. La carte est le sol qui se modifie sans cesse sous les pas de la marcheuse. Elle se plie, s’enroule, dresse des montagnes, accidente le paysage, ouvre un chemin ou au contraire le ferme. Elle est voie d’accès mais aussi obstacle. Elle n’est pas que l’espace vierge de la spéculation. Bientôt elle s’anime et se peuple au fil de l’évocation. Dessinés en direct par une plasticienne assise côté jardin, des arbres apparaissent puis sont effacés pour laisser place à un plan de ville tout aussi éphémère. Parfois des projections déjà dessinées surgissent. On imagine que, peut-être, ce plan dessiné à la main d’un trait noir sans rature, représente une ville réelle, arpentée, sans qu’on identifie un lieu exact, sans qu’on nomme ce lieu.
Une abstraction concrète
Se pose la question de la fonction de la carte et de la cartographie. S’agit-il d’une destination à atteindre ou de la représentation d’un voyage à effectuer ? Et si voyage il y a, en quelles contrées se situe-t-il ? Le texte en permanence emmêle à loisir ce voyage à l’intérieur de la tête, la rêverie surgie de la manière dont la cartographie redéfinit le monde et les paysages qu’elle fait surgir. Jeu sur les mots, de trait à ligne de force ou de vie, de point du jour à point de chute, de point de vue à point mort ou à point à la ligne, les niveaux se télescopent, se chevauchent et dialoguent sur l’écran noir d’une carte fuyante, éphémère, sitôt apparue, sitôt évanouie, devenue, l’instant d’après, autre chose. La carte devient alors un tracé mental, un voyage conceptuel au pays de la spéculation philosophique, une abstraction matérialisée en même temps qu’un réel passé au filtre de la pensée. Une projection probable du démiurge qui a donné naissance au spectacle, dans lequel les coups de dés typographiques et les semis de propositions de Mallarmé – « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard » – trouvent leur écho.
Une permanence transcendée
Pourtant quelques indices demeurent en place, quelques signes qu’on pourrait interpréter comme venus de la réalité. Il y a ce mur, infranchissable que la marcheuse voudrait bien faire disparaître. Ces passages dans le mur, aussi vite refermés qu’ils sont apparus. Ces éléments-là se rattachent à la réflexion que mènent depuis 2017 Yvan Corbineau et la compagnie Le 7 au Soir à propos de la question palestinienne : « Aujourd'hui plus de 500 000 colons (dont la moitié à Jérusalem-Est), sont réparti.es dans près de 150 implantations en Cisjordanie et une trentaine d'autres dans le Golan. Ces colonies morcellent le territoire cisjordanien et empêchent la circulation de ses habitants. » Le Bulldozer et l’olivier abordait la question des territoires occupés par les colons israéliens, la Foutue bande mettait en musique de manière éclatée les fragments d’un territoire déchiré, en voie de disparition. Cartographie imaginaire, au-delà de l’évocation des avant-postes, des checkpoints et des barrières en tout genre, se détache encore un peu plus de la relation documentaire de la réalité pour s’interroger sur les notions de traces, de frontières, et d’orientation qui engagent l’être en même temps que le territoire. Une aventure philosophique en images très convaincante.
Cartographie imaginaire, 3e texte de la Foutue bande de Yvan Corbineau
S Une création collective de Le 7 au Soir, sous la direction d' Elsa Hourcade et Yvan Corbineau S Costumes Sara Bartesaghi Gallo S Scénographie et visuels Zoé Chantre S Texte et manipulation Yvan Corbineau S Mise en scène Elsa Hourcade S Jeu Judith Morisseau S Lumière et conception technique Thibault Moutin S Musique Jean-François Oliver S Photos Thierry Caron S Graphisme Sabrina Morisson S Administration et production Baptiste Bessette S Diffusion et production Christelle Lechat S Production Le 7 au soir S Coproduction Culture Commune – Loos-en-Gohelle - Scène nationale du Bassin minier du Pas de Calais (62) // Festival MARTO (92) // Les Passerelles – Pontault-Combault, Scène de Paris – Vallée de la Marne (77) S Avec le soutien des Ateliers du spectacle de Jean-Pierre Laroche à Augerville (45), de La fonderie au Mans (72), du Théâtre 71 à Malakoff (92), du TAG à Grigny (91), de l’Espace Culturel Jean Ferrat à Avion (62), de Culture Commune, Scène nationale du Bassin minier du Pas-de-Calais (62), de l’UsinoTOPIE (31) et de la Ville de Plestin-les-Grèves et de l’Espace Culturel An Dour Meur (22) (accueils en résidence) S La compagnie reçoit le soutien de la DRAC Île-de-France, Département de la Seine-et-Marne. S Remerciements Karim Smaïli, Vanessa & Yanis, Pierre Gosselin, François Fauvel et Jimmy, Roberto Gallo, Lahcen et Mika, Jean Pierre Larroche, Raphaël Oriol, Anne et Patrick, Fabrice Durand, Eugénie, Marie et Bernard S Création les 9 et 10 novembre 2023 au Théâtre Jean Ferrat à Avion (62) avec Culture commune, Scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais (62) S À partir de 14 ans S Durée 1h
TOURNÉE
Les Passerelles à Pontault-Combault (77), jeu. 30 nov. 2023 à 14h30 & ven. 1er déc. à 20h30
Théâtre Berthelot à Montreuil (93), jeu. 1er févr. 2024 à 20h30 & vend. 2 à 14h30 et 20h30
Festival MARTO (92) dans le cadre de la Nuit de la marionnette 2024