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Arts-chipels.fr

Univergate. La résistible ascension d’Étienne Ferrari.

© DR

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Entre thriller et drame social, cette pièce cruelle et habitée flirte avec le fantastique et l’humour noir. Serge Dupuy y campe avec intensité un trader en plein délire victime du système qu’il a contribué à mettre en place.

Sur l’écran en fond de scène, un cerf semble attentif aux bruits environnants. L’animal sauvage contemple, du haut de son port majestueux, les reliefs sonores de l’activité humaine. C’est un véhicule, lancé à pleine vitesse, qui s’encastre dans un arbre. Peu après, un homme apparaît sur la scène, traînant un corps. Ils sont les rescapés de l’accident de voiture. L’autre ne reprendra pas conscience dans des circonstances assez tragiques. C’est pourtant à lui que le plus valide des deux s’adresse en se livrant à un long monologue qui n'appelle aucune réponse.

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Une ascension sociale stoppée net

Celui qui parle se nomme Étienne Ferrari. Il était trader dans une société d’envergure mondiale, Univergate, un tueur parmi les tueurs, un liquidateur sans scrupule de sociétés rachetées dans un but de pure spéculation. Un être sans cœur, sans empathie, avec pour seul objectif la réussite sociale, quel qu’en soit le prix. Lui, l’enfant d’un père travaillant à la chaîne, d’une famille de « pouilleux » qui lui a sacrifié le meilleur dans l’espoir qu’il ne soit pas comme eux, il n’a eu de cesse que de faire oublier sa classe d’origine, a épousé une fille de milliardaire hyper-dépensière, craqué un maximum de fric. Quand il a été débarqué, il n’a rien dit à ses proches, fait comme s’il travaillait, jusqu’à ce que la banque cesse de lui faire crédit, qu’il soit acculé. Une situation comme il en existe des milliers aujourd’hui, qui pourrait sembler banale, n’étaient les ressources qu’Étienne mobilise pour s’en sortir.

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D’expédients en expédients, le récit d’une descente aux enfers

Traînant son semi-cadavre qu’il ne cesse de prendre à partie, il décrit la ronde infernale des recherches d’emploi – trop vieux, trop qualifié, pas adapté au job – les mensonges à la maison, la caisse transformée en maison, les boulots qu’il trouve pour tenter de garder la tête hors de l’eau et qui vont jusqu’à la prostitution et au meurtre – après tout, liquidation pour liquidation... Acerbe, féroce, il ne fait grâce à personne, pas plus qu’il n’a d’indulgence pour lui-même. Société comme individus passent à la moulinette. On navigue, en arrière-fond, sur des images de télévision qui alternent « La France a peur » avec « Bonne nuit les petits » ou sur celles d'Harold et Maud qui accompagnent la transformation d’Étienne en escort boy. Serge Dupuy réussit à nous tenir en haleine, maniant l’ironie amère comme la colère, le découragement comme la révolte. Il tourne, vire, éructe, parcourt le plateau tous sens, malmène son acolyte comme si sa vie en dépendait. La vidéo ajoute sa pointe d’humour comme lorsqu’elle transforme deux jumelles icônes de mode en petits nuages roses et bleus.

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Un énigmatique deuxième larron

Le suspense demeure tout au long du spectacle sur les événements qui ont conduit à l’accident de voiture. À voir le personnage d’Étienne traîner, porter, interpeller, invectiver le corps inanimé qu’il porte comme sa croix, on ne cesse de se demander qui est ce corps et pourquoi il se trouve ici. Avait-il une part dans la dégringolade d’Étienne ? Et si oui, quelle était-elle ? On suppose une raison impérieuse, on suppute une évolution de la situation dans un sens ou un autre, on se perd en conjectures. C’est l’autre force de ce spectacle, monté en boucle autour d’un long flash-back, que de nous emmener sur les terres du thriller et de l’énigme, et de cultiver le mystère jusqu’au bout. Une belle réussite, tant sur le plan du jeu de l’acteur, qui est saisissant, que dans l’usage de la lumière qui cultive le suspense et dans l’articulation avec la vidéo qui ajoute son niveau de commentaire. D’un thème social plutôt rebattu, mille fois revisité, Univergate fait une vision originale où le théâtre joue un rôle.

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Univergate de Louise Caron
S Mise en scène Renaud Benoit S Avec Serge Dupuy, Gilles Carballo S Lumières Emmanuel Wetischek, Fred Bremond S Création sonore Fred Parker S Durée 1h15 S Production Pic’art théâtre S Coproduction Comédie de Picardie (Amiens), ADAMI, Région Hauts de France S Soutiens Théâtre du Pilier, Théâtre des Bains Douches (Le Havre), Théâtre Le Colombier (Bagnolet), Théâtre Interface (Suisse) S Présenté dans le cadre du Festival Phénix au Studio Hébertot.

À l’Espace Roseau Teinturiers – 45, rue des Teinturiers, 84000 Avignon

Du 7 au 30 juillet 2022 à 17h50 (sf mardis). Rés 04 90 25 96 05 www.roseautheatre.org

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