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Arts-chipels.fr

Le Jour du Grand Jour. Surréaliste et poétique.

© Fanny Gonin

© Fanny Gonin

Le Théâtre Dromesko entraîne, avec sa mythologie cocasse teintée de nostalgie profonde, le public dans les voies d’un non-sens fichtrement inspiré de la réalité.

Dans la cabane de bois qui abrite leur lieu scénique, les spectateurs sont disposés, selon un dispositif bi-frontal, de part et d’autre de la scène. Un acteur ceint de l’écharpe tricolore presse le mouvement. Monsieur le Maire est impatient de commencer. Mais ses administrés sont bien indisciplinés. Alors que la salle du Conseil municipal est encore vide, c’est le chahut au-dehors. Petit coup de gueule. Ils entrent, timides, confits en respect. La dernière arrivée traîne une laisse qui ne cesse de s’allonger, traversant toute la largeur de la scène, sans qu’apparaisse ce qui lui est relié – on verra finalement, à contretemps, arriver l’un des carlins de Lili. Premiers rires…

© Fanny Gonin

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Un air de déjà vu non mâché

Le Maire entame son discours, adressé, dit-il, non à Marine Le Pen ni à Olivier Py. Déjà ça dérape. « Vous n’êtes pas sans ignorer » remplace « Vous n’êtes pas sans savoir ». On y devise couleur des sanitaires ou yourte volante à inaugurer, rencontres de vidéo surveillance sécuritaire et Amicale des flûtes à bec. Le ton est donné. Des alaises auto-parfumantes remédient à l’incontinence des personnes âgées et boire un coup est une opération publicitaire. Suivra qui veut – et surtout sans chercher de points de repère – ce parcours en zigzag qui joue en permanence avec les apparitions et les disparitions, l’élan, l’effondrement et la chute, et un désordre contrôlé, où l’on est prié, faute d’être largué, de respirer cet air connu-inconnu qui nous trimballe aux quatre coins de notre vie.

© Fanny Gonin

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À la vie, à la mort

D’une association d’idées à l’autre, il n’y a qu’un pas et le conseil municipal cède la place à la salle des mariages où la mariée, au milieu des convives endimanchés, habillés pour une fête inévitable, semble perdue, pudeur masquée sous son voile de tulle qui devient bientôt bandelettes qui s’enroulent, dans une incessante ronde, momifiant celui autour duquel elles tournent. Une traîne qui n’en finit pas pour des mariées en série, hommes comme femmes, qui passent et repassent sans se lasser. Des jambes, sous la robe, qui, multipliées, semblent dotées d’une vie propre. L’inattendu est là. Le vivant et l’artificiel se mélangent, le réel se mêle au théâtre et les personnages valsent avec des pantins. Bientôt le banquet festif se mue en banquet funéraire…

© DR

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Des animaux savants à contre-emploi

À l’enterrement de la sardine-momie, le petit shetland Carlo qui mène la charrette du mort marque en tapant du sabot des signes d’impatience. Quant à la truie Carla, au magnifique poil blanc, baptisée ainsi au moment du mariage de certain président de la République, elle pousse du groin le rouleau de moquette-tapis rouge des cérémonies. Présences récurrentes qui traversent tout le spectacle, les animaux ont leur vie propre. Même si leur intervention tient de l’exploit, c’est dans la familiarité avec leurs propriétaires qu’ils nous touchent. La relation qu’entretient avec eux Monsieur Charles, le marabout à l’envergure impressionnante perché sur ses hautes pattes, est un pur moment de poésie et de beauté. Incongrus dans ce contexte théâtralo-circassien, ils tissent, au-delà du rire ou de l’étonnement, un lien très fort avec le sentiment de nature qui émane de cette cabane de bois chaleureuse où le thème de l’arbre trace son sillon.

© Fanny Gonin

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Du rire et des larmes

Au violoncelle et à l’accordéon, la musique distille quelque chose de la nostalgie fellinienne ou de la plainte qui émane de la musique tzigane, comme un écho d’un paradis perdu, comme un souvenir heureux assailli par les turpitudes de la vie. Sans cesse contrariée par des images insolentes et inattendues – comme lorsque le maire devenu prêtre exhorte les fidèles à « emprunter la bande d’arrêt d’urgence qui mène au Seigneur » –, traversée par des images qui s’apparentent au fantastique – ce sont des mains, placées bien plus haut qu’à hauteur d’homme, qui ouvrent les rideaux d’où déferlent les personnages et les éléments du décor – cette nostalgie nous accroche le cœur et mêle l’émotion au rire. C’est sans doute cela, la magie Dromesko. Nous entraîner en permanence sur les chemins d’écoliers des grandes personnes, en laissant au vestiaire codes et rationalités, et nous proposer de nous aventurer dans un monde pas d’équerre où fantaisie et poésie s'expriment à l'envi.

© Fanny Gonin

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Le Jour du Grand Jour - Impromptu nuptial et turlututu funèbre

S Conception, mise en scène et scénographie Igor & Lily S Textes Guillaume Durieux S Jeu/danse Lily, Igor, Guillaume Durieux, Violeta Todό-Gonzalez/ Jeanne Vallauri, Florent Hamon/Tom Neal, Zina Gonin‐Lavina/ Anouk Viale, Revaz Matchabeli, Manuel Perraudin, Valérie Perraudin S Interprétation musicale Lily (chant), Igor (accordéon), Revaz Matchabeli (violoncelle) S Construction décor Philippe Cottais S Costumes Cissou Winling S Assistante costumes Catherine Sardi S Lumière Fanny Gonin S Son Philippe Tivillier / Morgan Romagny S Accessoires Anne Leray S Régie plateau Manuel Perraudin S Banquet Valérie Perraudin S Visuel Conception graphique Lily S Photographie Fanny Gonin S Administration Anne-Lise Kieffer S Production / Diffusion Florence Bourgeon S Production Théâtre Dromesko S Coproduction Bonlieu Scène nationale, Annecy – Théâtre National de Bretagne, Rennes – Théâtre Garonne, Toulouse S Cie subventionnée par DRAC Bretagne Ministère de la Culture et de la Communication Rennes Métropole, Conseil Régional de Bretagne, Conseil Général d’Ille-et-Vilaine.

Du 19 au 28 mai 2022 à 20h30 (sf les 22 et 28)

Au Monfort – 105, rue Brancion – 75015 Paris

www.lemontfort.fr

Du 1er au 11 juin, le Théâtre Dromesko présentera au Montfort un autre spectacle : le Dur désir de durer (après-demain, demain sera hier)

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