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Arts-chipels.fr

Seuil. Dans la peau d’un garçon qui voulait être un mec.

© Alban Van Wassenhove

© Alban Van Wassenhove

Ce spectacle coup de poing sur les rites de passage des adolescents et les dérives de la masculinité offre, à travers une situation paroxystique, une vision saisissante des « attendus » imposés aux garçons dans la société.

Placés chacun à un bout d’une très longue table, faite de tables de salle de classe mises bout à bout, qui occupent toute la largeur de la scène, deux personnages se font face. Le premier est une policière, l’autre un adolescent, Noa. Elle l’interroge. Parce que l’un de ses camarades, Mattéo, a disparu en laissant sur les réseaux sociaux ce message : « Vous m’avez tuéR ». Noa, visage buté, corps tendu, hostile, quasi mutique, nie toute responsabilité. Il n’y est pour rien. Et si Mattéo n’a pas cessé de l’arroser de messages sur son portable, qu’est-ce qu’il y peut ? Des flashbacks interrompent le fil de l’interrogatoire. Leur recomposition, entrecoupée de fragments de l’interrogatoire, permettra, à la manière d’une intrigue policière, de retracer l’histoire.

© Alban Van Wassenhove

© Alban Van Wassenhove

Être bourreau plutôt que victime, une manière de rentrer dans le rang

Noa vient de changer de collège. Il est interne dans ce nouvel établissement, chambre 109. Pas n’importe quelle chambre. Ses compagnons sont des gros durs. Ils lui fauchent ses couvertures, dessinent au dos de son blouson un sexe en érection. Noa voudrait cesser d’être leur souffre-douleur. Mais ce « privilège », il doit le « mériter ». Il se regarde dans la glace, se morigène. Il faut qu’il s’endurcisse, qu’il adopte la gestuelle de ses camarades de chambre, les épaules en avant, l’attitude agressive, les gestes des mains doigts écartés, leur parler sans phrase, à coups de petits bouts accolés, jetés à la figure de l’autre tels des crachats. Ça ne marche pas mais Noa s’obstine. Il franchit peu à peu les étapes. Il veut y arriver, il doit y arriver, il va y arriver. Mais la dernière épreuve constitue l’ultime étape de la renonciation à lui-même et à la relation qui l’unit à Mattéo – un Mattéo devenu encombrant par rapport à la nouvelle peau que Noa se revendique. Mattéo sera la victime désignée de son « initiation » à la masculinité. Il faudra cela à Noa pour trouver, au bout du bout, dans la douleur de cet « accomplissement », la révélation de ce qu’il est vraiment…

© Alban Van Wassenhove

© Alban Van Wassenhove

Une galerie de personnages

L’univers de Noa, c’est celui du collège et la longue table de l’interrogatoire, désossée, divisée, se métamorphose en salle de classe ou en réfectoire. Selon les dispositifs, selon que le spectacle soit représenté en salle de classe ou dans un lieu de spectacle, l’empilement des tables renvoie aussi aux lits superposés de la chambre 109. Vont s’y croiser toute une série de personnages, incarnés par la même comédienne, que ses accessoires et son jeu feront passer du policier à gabardine aux petits durs de la « 109 », poings enfoncés dans les poches de leur blouson, du professeur dans la classe à la fille, point de passage obligé de ce rite de bizutage où, si t’as pas de fille, si tu te projettes pas sexe en avant, même si tu sais pas comment faire, t’es pas un homme, t’es rien. Mais elle se situera, elle aussi, du côté où on ne l’attend pas. 

Un spectacle inspiré de la réalité

Seuil est né d’une rencontre de Marilyn Mattei avec le principal d’un collège lors d’une résidence d’écriture. Il lui fait part d’une série d’agressions sexuelles entre hommes au sein de l’établissement. Les responsables, qui n’avaient aucune conscience de leurs actes et de leurs conséquences, les considéraient comme un « jeu », une forme de bizutage exercés par les plus grands sur les plus jeunes. L’un des pères, convoqué, avait même allégué qu’il s’agissait d’une pratique qu’il avait connue lui-même, en concluant : « C’est pas du viol […] On a tous joué à ces jeux-là, entre hommes ». Un « fait divers » sans importance ? Ou la manifestation d’une violence inhérente au genre ? L’aboutissement de toute une éducation – consciente ou pas – qui vise à formater la figure de l’« homme », fort, viril, qui s’impose, ne montre aucune faiblesse, ne pleure pas et le consentement des garçons à entrer dans ce modèle, dessiné par d’autres et pratiqué durant des siècles.

© Alban Van Wassenhove

© Alban Van Wassenhove

La violence, ça fait mal…

Ce thème de l’éducation « virile », on l’a vu surgir comme le pendant des impératifs fixés aux filles. Ce qui impressionne ici, c’est la violence avec laquelle il trouve son expression, une violence dont on sait qu’elle n’est pas inventée même si elle acquiert sur un plateau de théâtre une force particulière. « Sale pédé » – employé, d’ailleurs, le plus souvent à mauvais escient – fait partie du vocabulaire courant, y compris chez les adultes, et les jeunes renvoient souvent, sans en avoir conscience, les « messages » qu’ils ont entendu dans leur famille ou ailleurs. Le viol, c’est pour les filles ou ceux qui leur ressemblent – comme si, en gros, on n’avait que ce qu’on mérite. Alors, Mattéo, c’est qui ?

Dans Seuil, la violence n’est pas filtrée, pas transposée, pas esthétique, pas « belle ». Et les adolescents confrontés à cette situation d’agression dans une position bifrontale – de part et d’autre de l’espace scénique dans lequel ils sont inclus, comme partie prenante – ne s’y trompent pas. On les voit sursauter quand ils ont le sentiment que ça va trop loin, déglutir parce que ça ne passe pas. Parce que là, ce ne sont pas les autres qui sont en cause, mais eux-mêmes qui se regardent dans un miroir. Et l’image que celui-ci leur renvoie est pour le moins gênante…

Représentation dans un collège © DR

Représentation dans un collège © DR

Seuil - Texte Marilyn Mattei. Ed. Tapuscrit | Théâtre Ouvert

S Mise en scène Pierre Cuq S Avec Baptiste Dupuy et Camille Soulerin et les voix de Thomas Guené, Hélène Viviès et Vincent Garanger S Scénographie et accessoires Cerise Guyon S Son Julien Lafosse et Victor Assié S Lumière François Leneveu S Costumes Augustin Rolland S Durée estimée 1h30 S À partir de 14 ans S Production Compagnie Les Grandes Marées, Lucile Carré S Coproduction Comédie de Caen – CDN ; L’Archipel – Scène conventionnée d’intérêt national « Art en territoire », Granville ; La Halle ô Grains, Bayeux S Avec le soutien artistique de la DRAC Normandie ; du Studio d’Asnières – ESCA ; du CDN de Normandie – Rouen ; de la Scène Nationale 61 (Alençon, Flers, Mortagne) ; de la Halle ô Grains, Bayeux ; du Département du Calvados, de la Manche et de L’Orne, et de la Maison des Jeunes et de la Culture de Vire S Ce projet a bénéficié d’un soutien de la DRAC de Normandie et de la Région Normandie au titre du FADEL Normandie S Marilyn Mattei est lauréate de la bourse aux auteurs d’ouvrage 2020 du CNL pour l’écriture de Seuil.

TOURNÉE DE SEUIL

Forme en salle 

Du 5 au 9 avril 2022, Théâtre Ouvert, Paris (19h30 les mar/mer et 20h30 les jeu/ven/sam)

Les 11, 17 et 18 mai 2022 (20h30), Festival « À Vif », tournée décentralisée en bocage virois PNR

En juillet, au Théâtre le Train bleu, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
Forme en salle de classe

Le 6 mai 2022 (10h et 14h), Collège, Hérouville-Saint-Clair (14), Comédie de Caen - CDN

Le 19 mai 2022 (14h), collège Jean Monnet, Ouistreham (14)

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