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Arts-chipels.fr

Hamlet. Un Shakespeare très sixties et très intense.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

La traduction de Gérard Watkins dépoussière la langue de la traduction française et sa mise en scène lui donne des accents d’aujourd’hui avec des propositions audacieuses qui renouvellent crânement l’approche de la pièce.

On ne présente plus l’histoire d’Hamlet, prince de Danemark, tant ses citations emblématiques sont dans toutes les mémoires, « Être ou ne pas être » en tête. La fiction d’un prince malheureux, indécis, oscillant entre un projet de vengeance du meurtre de son père et un passage à l’acte sans cesse retardé, sa malheureuse amoureuse, la blanche Ophélie qui glisse à l’eau et « flotte comme une grand lys » pour reprendre Rimbaud, son côté poignard et poison, son revenant – Angleterre oblige ! – ses truculents fossoyeurs et son tragic and awful end dans un Danemark qui ressemble furieusement à l’Angleterre sont dans toutes les mémoires. On redécouvre, avec la traduction de Gérard Watkins, toute la force de ce texte qui est un monument de l’histoire du théâtre. Sans le dénaturer, avec une fidélité à la complexité, à la richesse et à la truculence que ce texte contient, il met en avant la force de son message qui est de son temps et de tous les temps : l’image du renversement d’un certain ordre du monde et d’un chaos dans lequel chacun se trouve englué sans possibilité de s’en échapper.

© Gérard Watkins

© Gérard Watkins

Hamlet années sixties

C’est dans un décor cosy et bourgeois que Watkins choisit de placer ses personnages. Guitare sèche et guitare électrique accompagnent sur un rythme très rock une party aristocratique où le roi Claudius et la reine Gertrude se trémoussent tandis que passe le fantôme de Polonius, le roi assassiné, dans une armure et cotte de mailles du plus pur style moyen-âgeux… Un bar, côté cour, se transformera en autel d’église durant la deuxième partie tandis que canapés et fauteuils cèderont la place à des bancs d’église. À l’avant-scène, une allée terreuse traverse la scène. Elle évoque les abords du palais royal, qu’arpentent des soldats transformés en horse guards avec leurs simili-bonnets en poil d’ours sur la tête dont ils font, pour discuter plus à loisir, des tabourets sur lesquels ils prennent place. Tout au long du spectacle, cette musique tonitruante et pleine d’énergie formera comme le background et le signe d’une société en pleine rupture où les baby-boomers se dressent contre une société dont ils ne veulent plus.

© Pierre Planchenault

© Pierre Planchenault

Humour – noir

Irrévérence. C’est sous cet auspice que se définit le Hamlet de Gérard Watkins. Son Claudius est un miracle de faux-derche caressant, sa Gertrude un peu agitée côté sexe. Tous deux sacrifient au culte du plaisir et d’une insouciance peu compatible avec l’image attendue des dirigeants. Polonius se drape dans ses responsabilités et, courtisan obséquieux, joue au politicien à la Machiavel. Laërte semble traîner un mal de vivre dans son incapacité à gérer les attentes contraires qu’il subit. Ophélie, en jupe courte écossaise, incarne la naïveté un peu ridicule des générations yéyé, perdues entre l’obéissance nécessaire à leurs parents et le rêve d’en sortir. Quant aux fossoyeurs qui enfouissent les vestiges d’un monde et exhument les traces qu’il laisse – pauvre Yorick ! – ils jettent sur le cours des choses un regard goguenard et revenu de tout. Dans cette atmosphère de drame dont poison, assassinat et folie forment la trame, où la violence des pères s’exerce sans limite, le décalage est partout, la mise à distance s’impose…

© Pierre Planchenault

© Pierre Planchenault

Des femmes en habits d’homme

La valse des apparences laisse place à une polka des genres où les frontières entre masculin et féminin deviennent poreuses. Si à l’époque élisabéthaine, les rôles de femmes étaient joués par des hommes avant que la conformité du sexe du comédien et du rôle ne s’impose, dans ce nouvel Hamlet, certains rôles d’hommes sont joués par des femmes, comme si la révolution des mœurs qui s’amorce dans les années soixante pour exploser de nos jours trouvait un écho dans la pièce. Comme pour répondre aussi à l’interdiction qui était faite aux femmes d’apparaître sur scène. Et parmi ces rôles masculins, le tout premier : Hamlet. Anne Alvaro incarne ce jeune homme indécis, écartelé entre ses velléités d’action et son incapacité d’agir, sa révolte face à une situation inique et une forme de résignation désabusée, son humour ravageur et son désespoir insondable avec une rage qui en dit long sur une génération – elle pourrait être la jeunesse des années 1960 mais tout aussi bien la nôtre – qui voit son avenir rétréci, empêché, sans issue. Énonçant mot après mot pour que parler veuille dire, d’une voix acerbe, elle épluche les peaux de l’oignon des apparences avec une précision presque clinique. Fille-garçon et garçon-fille, elle incarne le mal-être d’une société qui a perdu ses repères et erre à la recherche d’elle-même. Sa folie, c’est celle d’Ophélie, écartelée entre des désirs contraires et qui ne peut choisir.

© Gérard Watkins

© Gérard Watkins

Du théâtre avant toute chose

Et puis, il y a le théâtre. Omniprésent. C’est par lui qu’Hamlet acquiert la certitude de la félonie de Claudius, au travers de la scène où il fait jouer par des comédiens le meurtre de son père. C’est par le théâtre de sa folie – feinte et montrée comme telle – qu’Hamlet précipite le cours des événements et la décision de Claudius de l’éliminer. C’est à travers lui que s’exprime la perception que nous avons du monde. Court, comme un leitmotiv dans les pièces de Shakespeare, sa déclaration de Comme il vous plaira qui ressurgit, sous des formes voisines, dans le Marchand de Venise ou dans Macbeth : « Le monde entier est un théâtre, et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs ; ils ont leurs entrées et leurs sorties. Un homme, dans le cours de sa vie, joue différents rôles ; et les actes de la pièce sont les sept âges. » Au-delà, c’est le spectacle entier qui s’inscrit, par sa mise en scène, dans l’univers du jeu et du glissement insaisissable entre apparence et réalité. Gérard Watkins, dans ses pirouettes incessantes où humour et drame jouent à volte-face, tire une révérence survoltée au théâtre avec une délectation que le public partage. 

Hamlet, de William Shakespeare. Traduction et mise en scène Gérard Watkins
S Avec : Anne Alvaro, Solène Arbel, Salomé Ayache, Gaël Baron, Mama Bouras, Julie Denisse, Basile Duchmann, David Gouhier, Fabien Orcier, Gérard Watkins S Lumières Anne Vaglio S Scénographie François Gauthier-Lafaye S Son François Vatin S Costumes Lucie Durand S Assistantes à la mise en scène Lucie Epicureo et Lola Roy S Administration de production - Le petit bureau - Claire Guieze et Virginie Hammel

mardi 29 juin à 19h, du mercredi 30 juin au vendredi 9 juillet à 20h
dimanche 4 juillet & samedi 10 juillet à 15h

Théâtre de la Tempête

Cartoucherie – Route du Champ-de-Manoeuvre – 75012 Paris

Infos et réservations : www.la-tempete.fr  | T 01 43 28 36 36
TOURNÉE
- 19 & 20 janvier 2022 : CDN de Lorient
- 8 > 10 février 2022 : CDN de Besançon
- 5 > 8 avril 2022 : TnBA
- 4 > 6 mai 2022 : Comédie de Saint-Etienne

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