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Arts-chipels.fr

Terreur. Entre conscience et droit, un débat très actuel sur les responsabilités individuelle et collective.

©ZZIIGG

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Lorsqu’un avion civil est détourné par des terroristes pour perpétrer une opération suicide sur un site au sol, faut-il l’abattre, au mépris des passagers de l’avion ? À cette question simple en apparence, est-il si simple de répondre ? Tel est le propos développé avec une pertinence passionnante par le procès-fiction de Ferdinand von Schirach.

Le 15 février 2006, le Conseil constitutionnel allemand rejette une loi autorisant toute action qui viserait à tuer des civils pour en sauver d’autres. Le 11 septembre 2001, deux avions détournés s’écrasent sur le World Trade Center, faisant près de 3 000 victimes. Les conseillers de Lionel Jospin sont, comme tous les Français, suspendus aux images terribles qui tournent en boucle. Quelques dizaines de minutes plus tard, un avion de ligne survolant le territoire français ne répond plus… « Envoyez la chasse ! », proposent certains. Un proche du Premier ministre demande : « Si vous faites cela, y a-t-il dans cette pièce quelqu’un qui donnera l’ordre d’abattre l’appareil ? » Ces exemples ne figurent pas dans le spectacle, mais ils illustrent le propos. Le décor est planté. Le terrorisme a aujourd’hui changé de visage et la réponse qu’on peut et doit lui apporter fait débat. C’est ce dilemme qu’expose Ferdinand von Schirach au travers de ce procès fiction.

Une situation fictionnelle fichtrement réelle

Le 26 février 2020, un terroriste détourne un A 320. Objectif : le transformer en avion-suicide dirigé sur le stade de Munich, plein à craquer, où se déroule un match international. À l’annonce de l’événement, deux avions de chasse sont dépêchés pour tenter de détourner l’avion de son objectif. Sans succès. Près d’une heure plus tard, alors que l’avion est près d’atteindre le stade, l’un des pilotes ouvre le feu, détruisant l’avion et tuant les 164 passagers qui étaient à bord. L’ordre ne lui a pas été donné. Il a agi de son propre chef. Les familles des victimes se portent partie civile. Le pilote passera en procès pour homicide volontaire. En détruisant l’avion, il a préservé la vie des 70 000 spectateurs du stade…

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Quand le théâtre se mue en tribunal

Le théâtre est transformé en tribunal, où se retrouvent, comme dans une salle d’audience criminelle, le juge, l’accusé, le procureur chargé d’instruire à charge, l’avocat de la défense et le cérémonial qui les accompagne, avec huissier et assesseur. On y trouvera, comme dans une salle de tribunal d’assise, un dessinateur croquant à l’aquarelle ou à la gouache les personnages du procès. Une infirmière, représentant les familles qui ont perdu un proche, et un représentant de l’autorité militaire, cité par l’accusation comme témoin à charge, complèteront la distribution des personnages. Le pilote du texte d’origine, Lars Koch, deviendra Laura Koch pour mettre en évidence la nature non genrée du procès qui est fait.

Les termes de l’accusation

L’accusation d’homicide volontaire permet d’ouvrir un débat. En ouvrant le feu de son propre chef et en assumant la responsabilité de son acte, le cas d’homicide semble attesté. Mais la pilote doit-elle être condamnée pour autant ? Si elle était acquittée, quelle brèche ouvrirait son acquittement au regard de l’interdiction légale d’attenter à la vie d’autrui pour sauver d’autres vies ? Est-il acceptable de sacrifier 164 vies pour en sauver un nombre infiniment plus grand ? Quelle aune utiliser en ce cas ? En ne faisant rien, n’entre-t-on pas dans le jeu du terrorisme, ne donne-t-on pas des armes à ceux qu’on prétend combattre ? En réagissant, ne perd-on pas de la même manière ? D’autres solutions étaient-elles possibles ? À l’intérieur même de l’avion ? ou en gérant le problème au sol car, enfin, cinquante-deux minutes séparaient l’annonce du détournement de la catastrophe probable, largement le temps d’évacuer le stade ? Les arguments se répondent dos à dos, donnant à voir toute la complexité de la situation et les ressorts des décisions et indécisions qui ont contraint la pilote à agir en son âme et conscience.

Le grand jeu du jury

La règle du jeu fait tomber le quatrième mur. Comme dans une salle d'audience, le public se lève à l'entrée de la cour, se rassied quand il en est prié. Mais le spectacle va bien au-delà de cette simple participation : c’est le public qui compose le jury.  Est distribué à chaque spectateur entrant dans la salle un dé qu’il devra placer dans une urne pour décider si oui ou non, il retient l’homicide volontaire et déclare l’accusée coupable. Les spectateurs ne délèguent plus à un jury la responsabilité du jugement – dont ils se laveraient les mains –, ils se retrouvent en première ligne et sont contraints de s’engager en prenant en compte l’ensemble des arguments qui leur a été fourni. Autant dire que d’une salle à l’autre, le verdict change et que le pourcentage respectif des condamnations et des acquittements fluctue.

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Un débat captivant

Mené tambour battant, ce simulacre de procès fait naître une série de questionnements passionnants qui débordent le droit pour aborder aux rives de la philosophie. Comment apporter une réponse simple et univoque à une problématique qui change de face selon l’angle où on la regarde et selon quels critères ? Que deviennent la complexité et la nuance quand la société apporte, selon le droit, une réponse qui ne peut tenir qu’en deux mots – oui et non – comme dans une mémoire d’ordinateur ? On y retrouve tous les enjeux qui mettent face à face l’individu, la société et ses lois, et la matière d’une réflexion sur le droit à la désobéissance. Y a-t-il des cas où elle se justifie et selon quels critères ? Dans ce cas, quels abîmes ouvre-t-elle dans le précédent ainsi créé ? À la sortie du spectacle, les langues vont bon train, on avance des arguments, on prolonge le débat. Et si le propos de la pièce, c’était de nous mettre face à nos responsabilités ? De nous confronter à quelque chose qui a nom la conscience…

Terreur de Ferdinand von Schirach. Traduction française de Michel Deutsch.

S Mise en scène Michel Burstin, Bruno Rochette, Sylvie Rolland S Avec Michel Burstin, Frédéric Jeannot, Céline Martin-Sisteron, Bruno Rochette, Sylvie Rolland, Johanne Thibaut, ZZIIGG pour les dessins S Scénographie & décor Thierry Grand S Lumière Vincent Tudoce S Costumes Élise Guillou

Cette mise en scène constitue l’aboutissement de trois résidences : S au Grand Parquet (Théâtre Paris Villette) du 18 au 29 janvier 2021 S à l’Espace Daniel Sorano à Vincennes (94) du 2 au 19 mars 2021 S à Anis Gras – Le Lieu de l’Autre à Arcueil (94) du 22 au 26 mars 2021.

REPRÉSENTATIONS À VENIR

Du 1er au 30 septembre 2021

Du mercredi au samedi à 21h15

Théâtre de Belleville - 16, Passage Piver, Paris XIe

Tél. 01 48 06 72 34. Site : www.theatredebelleville.com

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