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Arts-chipels.fr

Détails. Le conte en zig-zag de vies – presque – ordinaires

Détails. Le conte en zig-zag de vies – presque – ordinaires

Quatre fragments de vies dans lequel se retrouvent toutes les vies, un récit déstructuré qui se reconstruit pièce à pièce pour former une peinture d’ensemble, des existences qui nous ressemblent : Lars Norén est un diable qui se cache dans les détails.

Erik est éditeur. Il est marié à Emma, qui est médecin. Ils ne parviennent pas à avoir d’enfant. Stefan est auteur. Erik et Emma vont applaudir Stefan au théâtre. Ann est romancière et veut se faire publier. Elle force la porte d’Erik. Toutes les pièces sont en place pour un chassé-croisé amoureux vieux comme le monde. Une histoire banale, somme toute, comme chacun peut la vivre. Pourtant elle a comme un je-ne-sais-quoi de différent, un parfum singulier qui se forme fragrance après fragrance dans des allers-retours permanents à travers le temps sous le regard pensif de la Vénus d'Urbino. Nonchalamment allongée nue dans une pose suggestive, elle attend, tandis que la vie se déploie autour d'elle. Un petit chien somnole, indifférent, des servantes s'activent en arrière-plan. Autant de détails qui, chacun, racontent une histoire.

© Frédéric Bélier-Garcia-Christophe Martin

© Frédéric Bélier-Garcia-Christophe Martin

Déliquescences fin de siècle

Nous sommes dans les années quatre-vingt-dix. Les grands idéaux se sont noyés dans l’océan du retour vers l’individualisme, les « -ismes » sont morts et nous meublons nos vies de nos petites rencontres, de nos petits problèmes, de nos petits travers. En arrière-plan passent cependant comme fantômes évanescents l’ombre du sida, des conflits en Yougoslavie, de la guerre du Golfe. Mais ce n’est pas cela qui agite nos quatre personnages qui tournent autour d’eux-mêmes dans une ronde incessante en quête de rien ou de si peu de chose. Ils sont des hommes et des femmes à la recherche d’un bonheur qu’ils n’ont pas su trouver ou conserver et qui errent dans un no man’s land qui n’a plus de points de repère. Le décor est à l’image de leur errance. Il est tous les lieux à la fois dans un dépouillement fonctionnel que seule anime une gigantesque reproduction du tableau de Titien.

© Frédéric Bélier-Garcia-Christophe Martin

© Frédéric Bélier-Garcia-Christophe Martin

Un huis clos qui est le monde

L’un part, l’autre revient. Ils se séparent et se retrouvent, s’écartent puis se rassemblent, se séparent à nouveau. Enfant-pas enfant, amour-pas amour, dix années de succès et d’échecs traversées de souvenirs culturels – on reste entre gens du même monde même si certains se sont hissés par la force de leur volonté à ce niveau. On fréquente les mêmes endroits, on se rencontre même si l’on a rompu. On regrette – peut-être – on veut tâter du revenez-y. En courtes séquences les souvenirs affluent, dans le désordre, comme une mémoire qui les fait émerger au détour d’un mot qui en entraîne un autre, d’une phrase qui en appelle une autre, d’un autre temps, d’un autre lieu. Et l’histoire peu à peu se construit de tous ces fragments assemblés.

© Frédéric Bélier-Garcia-Christophe Martin

© Frédéric Bélier-Garcia-Christophe Martin

Le diable caché dans les détails

La force de ce texte bien mené par les protagonistes qui forment un quatuor à voix égales admirablement équilibré réside dans la manière incomparable dont les multitudes de détails apparemment anodins reconstruisent le monde. En une série de petites notations qui vont d’un bord à l’autre du clavier dans un désordre apparent en réalité soigneusement organisé, Lars Norén décrit un monde à la fois vide et plein, composé d’une infinité de petits gestes sans importance, d’histoires banales qui forment cependant, au bout, une histoire.  Il en revendique le caractère autobiographique et en même temps universel. Dérisoires, les personnages le sont comme dans une vie ordinaire. Ils peuvent faire rire mais sous le vernis mondain et un peu bobo qu’ils affichent affleure le tragique. « Pourquoi tu n’écoutes pas ce que je dis ? » dit Emma à son mari qui se justifie en arguant du fait que c’est parce qu’on s’écoute et qu’on se comprend trop bien qu’on se sépare. Terrible constat du désert relationnel où marinent les personnages et où la communication conduit à la solitude. Le monde que l’auteur dépeint s’en va à la dérive. Il prend l’eau de toute part. Les ratages individuels et les faux-semblants renvoient à la vacuité des valeurs du monde qui vacille. Cette couture au petit point de couples en déconfiture qui ne débouche que sur le vide fait bien de l’auteur le continuateur de Strindberg et de Bergman.

Détails de Lars Norén ; traduction : Camilla Bouchet, Amélie Wendling
Mise en scène : 
Frédéric Bélier-Garcia
Avec : Isabelle Carré, Ophelia Kolb, Laurent Capelluto, Antonin Meyer-Esquerré, Adèle Borde
Décor : Alban Ho Van, assisté d’Ariane Bromberger. Lumières : Dominique Bruguière, assistée de Pierre Gaillardot. Son et musique :
Sébastien Trouvé. Costumes : Marie La Rocca, assistée de Magali Angelini. Vidéo : Pierre Nouvel. Collaboratrice artistique : Caroline Gonce. Régie générale : Jean-Christophe Bellier.

8 janvier – 2 février 2020, 21h, le dimanche 15h

Représentation supplémentaire samedi 1er février à 15h30.

Relâche les lundis et les 12 et 14 janvier

Tournée

— 17-20 décembre 2019 Le Quai / CDN d'Angers (49)

— 3-6 mars 2020 La Comédie / CDN de Reims (51)

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