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Arts-chipels.fr

Ploutos. L’argent Dieu. If I was a rich man…

Ploutos. L’argent Dieu. If I was a rich man…

Sacrés Grecs ! Leur théâtre a décidément encore beaucoup à nous apprendre sur nous-mêmes ! Cette comédie d’Aristophane qui fait s’affronter Richesse et Pauvreté où les dieux de tout acabit en prennent pour leur grade flirte avec une réflexion philosophique dont l’actualité nous saute au visage.

La comédie est réjouissante. Pour éviter que Ploutos, le dieu de la richesse lui fasse de l’ombre, Zeus l’a rendu aveugle. Ainsi il ne sait plus distinguer entre les honnêtes gens qui auraient besoin de ses services car ils sont pauvres et les nantis. Distribuer sa manne avec justice lui est devenu impossible. Perdu, vagabond plein d’indécision et de doute, il trouve une oreille charitable auprès de Maître Chrémyle, un brave laboureur qui peine à joindre les deux bouts et possède un unique esclave, Carion, fort satisfait de son sort. Chrémyle a reçu de l’oracle de Delphes le conseil de suivre à la trace cet aveugle en haillons. Aussi, même si ça lui semble bizarre, il s’exécute. Chrémyle et Carion s’emploient à aider Ploutos à recouvrer la vue. Avec l’aide d’Asclépios ils y parviennent. Tout le monde peut devenir riche. Mais c’est là que les ennuis commencent…

© Gabriel Kerbaol

© Gabriel Kerbaol

La volonté de museler le théâtre

Composé à la jonction entre le Ve et le IVe siècle av. J.-C., avec une première version en 408 et une autre en 388, Ploutos s’inscrit dans un contexte politique particulier. Après la défaite contre Sparte et, après bien des avatars, le retour d’une démocratie et la prise de pouvoir du parti aristocratique, la liberté de parole est mise à mal. En 404, une nouvelle loi réduit la liberté du théâtre comique. Le gouvernement des Trente défend par un décret de mettre en scène des événements contemporains ou de désigner par son nom aucun personnage vivant. Ne reste plus dès lors aux auteurs comiques qu’à détourner l’interdiction en se tournant vers une comédie de mœurs où la critique politique affleure sans être expressément manifeste et en jouant sur les allusions transparentes. Mettre en scène une parabole sur la richesse et la pauvreté dans laquelle les dieux et les riches, symboles du pouvoir, sont sur la sellette permet à Aristophane de contourner l’obstacle. Le contenu n’en est pas moins décapant. Il suffit de lire entre les lignes.

© Gabriel Kerbaol

© Gabriel Kerbaol

Une fable philosophique

La pièce donne des gages à la comédie « autorisée ». Une vieille femme s’y lamente que le jouvenceau qu’elle entretenait, devenu riche, la délaisse. Hermès se retrouve au chômage technique dans l’Olympe et vient se réfugier chez Chrémyle. Quant au grand-prêtre de Zeus que plus personne n’adore car il n’y a plus rien à y gagner, mourant de faim il quitte son patron pour venir mendier auprès des nouveaux riches. Mais au-delà du comique du retournement de situation se dessinent en creux d’autres préoccupations. Il ne suffit pas que les pauvres deviennent riches pour que le problème soit résolu. Et Aristophane se livre à un tour de passe-passe. En introduisant l’allégorie de la Pauvreté dans la pièce, il prête au personnage un plaidoyer digne de la meilleure casuistique. Si chacun devient riche, argumente-t-il, il n’y aura plus ni artisans ni serviteurs car qui voudra faire quelque chose quand il dispose de tout sans travailler ? Donc, cqfd, il faut qu’il y ait des riches et des pauvres. De plus, pauvreté implique travail et donne de la force aux pauvres, dit-elle, donc tout bénéf’… Mais Aristophane, roi de l’embrouille, montre aussi la peau retournée. Lorsque les honnêtes gens, récompensés par Ploutos, deviennent riches, ils sont tentés d’adopter les comportements de ceux qu’ils ont brocardé. La bonne gouvernance se trouve dans l’entre-deux et la morale avec… C’est pourquoi, à la fin de la pièce, Ploutos est installé sur l’Acropole, siège du Trésor public athénien : c’est au bien commun que doit servir l’enrichissement.

© Gabriel Kerbaol

© Gabriel Kerbaol

La fidélité au théâtre grec…

Dans sa réalisation contemporaine, la pièce joue avec les codes du théâtre grec. L’esclave Carion, témoin et commentateur goguenard de ces évolutions qu’il ne provoque pas mais dont il tire profit, incarne le chœur, absent du spectacle. Porteur de la parole populaire, avec son bon sens, il tend la main à ses successeurs que seront l’Arlequin de la commedia dell’arte et les valets de la comédie classique. L’interrogation sous forme de dialogue entre les comédiens, dans le cours du spectacle, sur les raisons de monter cette pièce aujourd’hui et sur la difficulté des références mythologiques présentes dans la pièce répond à la parabase qu’affectionnait Aristophane, sorte de digression située au milieu de la pièce dans laquelle l’auteur, par la voix du choryphée, exprimait son opinion.

© Gabriel Kerbaol

© Gabriel Kerbaol

Un message universel

Dans le même temps, la mise en scène détache la pièce de son contexte grec. Les vêtements sans datation réellement identifiée disent davantage le dénuement – haillons et vêtements salis et usés par le temps – ou la richesse en col de fourrure qu’une époque précise. Ils donnent à la fable une valeur intemporelle et universelle. Quant à la présence d’un coffre-fort en guise d’autel et d’un crâne qui renvoie à la vanité de toutes choses, ils ajoutent au commentaire contemporain sur cette parabole de l’argent-roi. Était-il cependant nécessaire de vouloir échapper au rapport traditionnel scène-salle en installant quelques spectateurs sur la scène ? On peut se poser la question. Pour exploiter cette veine on aurait volontiers imaginé un espace où les spectateurs, mêlés aux acteurs et disposés tout autour d’eux, deviendraient la population athénienne destinataire du spectacle, prise à témoin et peut-être à partie, par les acteurs. Si l’intention existe, elle reste au rang d’artifice et non d’une nécessité interne, ontologique. Quoique intéressante, cette version appliquée, assagie de la farce manque du petit brin de folie qu’on aurait aimé y voir. Mais si elle perd en truculence et en impact comique par rapport à ce qu’on imagine de sa création initiale, elle acquiert des accents qui nous parlent et une modernité qui incite à la réflexion.

Ploutos, l’argent Dieu d’après Aristophane, adaptation Olivier Cruveiller

Mise en scène : Philippe Lanton

Collaboration artistique à la mise en scène et adaptation : Olivier Cruveiller. Assistante à la mise en scène : Virginie Incagnoli. Travail Chorégraphique : Olivier Renouf. Conception sonore : Thomas Carpentier. Scénographie : Valérie Perrottet, Thomas Chevallier, Philippe Lanton. Création lumière : Christelle Toussine, Philippe Lanton. Costumes : Sabine Siégwalt

Avec : Natalie Akoun (la Pauvreté, la Grande Prêtresse, la femme de Chrémyle), Evelyne Pelletier (Femme de Carion, Vieille Dame), Yves Buchin (Hermès, Blepsidème, honnête homme), Olivier Cruveiller (le Maître Chrémyle), Mathias Jung (Coryphée, Sycophante),

Christian Pageault (Ploutos), Nicolas Struve (l’esclave Carion).

Théâtre de l’Épée de bois, Cartoucherie de Vincennes – 75012 Paris

Du 9 janvier au 26 janvier, jeudi au samedi 20h30, samedi et dimanche 17h.

Tél : 01 48 08 18 75. Site : www.epeedebois.com

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