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Arts-chipels.fr

Logiquimpertubabledufou. Fous rires garantis !

Logiquimpertubabledufou. Fous rires garantis !

La folie est un sujet grave. Raison de plus pour le traiter à la légère. D’ailleurs, sait-on bien qui est le fou et qui est le sage ? Bien mal venu celui qui pourrait l’affirmer sans crainte de se tromper. Zabou Breitman et ses comédiens s’en amusent sérieusement. Ils nous amusent tout autant…

Ils sont quatre avec une pêche d’enfer. Quatre à nous plonger dans un univers loufoque qui ressemble au Système du Docteur Goudron et du Professeur Plume coloré par le pinceau trempé dans l’humour noir d’Edgar Allan Poe. Ils sont schizoïdes, paranoïaques, bipolaires, simulateurs, bavards ou mutiques, internés volontaires ou retenus de force. Ils récitent leur texte en boucle, comme un leitmotiv obsédant et dérisoire. Non, ils ne sont pas fous. Oui, pourquoi sont-ils enfermés et nous pas ? D’ailleurs, pourquoi leur a-t-on fait subir des électrochocs ? Face à eux infirmiers et médecins ne valent guère mieux. Ils administrent des « remèdes » inadaptés pour avoir la paix, poursuivent leurs patients la seringue à la main, se réfugient derrière l’administration pour éviter de prendre des décisions, bref, il se comportent comme ce que nous rencontrons dans la vie courante, quoi ! Aux règles de l’hôpital psychiatrique ils opposent leur logique, tout aussi logique – ou illogique – que celle de ceux qui les soignent.

© Vincent Bérenger

© Vincent Bérenger

Des rôles interchangeables

Leurs médecins, sous des dehors calmes et patelins ne valent guère mieux. Apparente douceur qui cache des colères qui explosent soudainement, élocution embarrassée qui pourrait être celle d’un de leurs patients, obstination imbécile qui les fait camper sur des positions absurdes, ils induisent le doute. Dans le va-et-vient des lits et des tables de soin, à travers le hublot installé sur la porte qui les sépare des malades, eux aussi se répandent dans une agitation où la raison s’égare. Les malades enfilent des blouses blanches et les médecins s’en dépouillent et vient le moment où l’on ne sait plus qui est qui. Coiffés de longues oreilles de lapin, à qui avons-nous affaire avec ces quatre personnages qui le plus sérieusement du monde redressent une oreille tordue ou au contraire la plient pour la conformer à celle du voisin ? Nous naviguons dans l’univers du nonsense, un monde qui a perdu ses repères, où le Chapelier fou d’Alice côtoie le lapin toujours en retard et le fou du roi avec sa coiffe à grelots l’image traditionnelle du fou, entonnoir sur la tête. Nous y errons sans possibilité de retrouver le port, d’atteindre le havre des certitudes rassurantes.

© Vincent Bérenger

© Vincent Bérenger

La valse des identités

Les soignants deviennent les malades, qui à leur tour deviennent soignants avant d’endosser à nouveau la défroque de malade dans une valse-hésitation aux allures de mambo tout en identités multiples. Ils sont à eux tous un raccourci de l’espèce humaine qui vit à la marge, comme cette Brésilienne transgenre qui fait le tapin ou cette femme qui s’est fait interner pour intenter un procès. Leurs médecins, eux, vivent dans la marge, potentats incontestés sur les terres de la folie. Nos quatre comédiens endossent tous les rôles avec une jubilation intense. Du docteur russe à la Belge de l’histoire du même nom, introvertis ou extravertis à l’extrême, taciturnes ou volubiles, ils passent de l’un à l’autre en une fraction de seconde pour nous livrer ces fragments d’une humanité déboussolée, en perdition mais néanmoins attachante. Il suffit d’une perruque pour que le tour soit joué.

© Vincent Bérenger

© Vincent Bérenger

Des « emprunts » à la réalité et au théâtre

Ces personnages qui déroulent devant nos yeux l’étendue de leurs délires ne sont pas que le fruit de l’imagination débordante de Zabou Breitman. Ils sortent tout droit des rapports de médecins, d’enregistrements faits dans le milieu psychiatrique ou de films sur le sujet. Chacun à leur manière ils expriment leur logique imparable, comme ce scientifique qui a travaillé sur le nucléaire avant de développer une suite de Fibonacci en petites fleurs. Mais ils croisent aussi Shakespeare et Tchekhov. Mêlant théâtre et cirque, Zabou Breitman introduit le burlesque et le travail du clown. Aux mimiques imperturbablement sérieuses répondent une gestuelle décalée.

© Vincent Bérenger

© Vincent Bérenger

Un imaginaire poétique parfaitement millimétré

Le très grand et la toute petite forment un couple cocasse de danseurs, les corps se mélangent dans des portés et des enroulements mutuels, les personnages jouent à saute-mouton ou déroulent une marche immobile. Les pulls s’élargissent pour qu’on y tienne à quatre, la camisole, non attachée, déploie ses bras démesurés, telles les grandes ailes rognées de ceux qui ont décroché de la réalité. Les personnages chorégraphient un ballet déjanté où la gestuelle des corps reprend les attitudes de malades en les retournant côté comédie musicale avec des refrains qu’ils entonnent avec un entrain mutin. Cela n’empêche pas que, côté sérieux, « ça coule de source que quand t’es enfermé tu veux sortir ». Au royaume de l’absurdité, « du moment qu’il existe des prisons et des asiles, il faut qu’il y ait quelqu’un dedans. Si c’est pas vous, c’est moi ; si c’est pas moi c’est quelqu’un d’autre… ». Dans ce monde où dedans et dehors sont réversibles, où l’envers vaut l’endroit, bien mal inspiré serait celui affirmerait distinguer sans coup férir un esprit sain d’un malade. Aussi vaut-il mieux rire que chercher un crochet pour se pendre. Et rire, c’est ce que fait le public, à gorge déployée…

Logiquimperturbabledufou. Textes, adaptation et mise en scène : Zabou Breitman
Librement inspiré du travail documentaire de : Ilan Klipper, Anton Tchekhov, William Shakespeare. Quelques mots de : Zouc et des textes de : Zabou Breitman
Avec : Antonin ChalonCamille ConstantinRémy LaquittantMarie Petiot
Assistanat à la mise en scène : Pénélope Biessy, Diane Derosier
Chorégraphie : Gladys Gambie
Acrobatie et chorégraphie : Yaung-Biau Lin
Clown : Fred Blin
Décor et scénographie : Audrey VuongZabou Breitman

Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin-Roosevelt – 75008 Paris

Du 9 mai au 2 juin 2019, à 21h, dim à 15h30, sauf lundi et le 30 mai.

Tél : 01 44 95 98 00. Site : www.theatredurondpoint.fr

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