19 Avril 2022
Dans ce spectacle théâtralement audacieux où la lumière sert de décor unique à l’histoire, Joël Pommerat réactualise la fable du Petit Chaperon rouge. Retour sur les peurs de l’enfance et la manière de les surmonter.
Un plateau nu et deux chaises. C’est avec cette économie de moyens remarquable que Joël Pommerat choisit de nous conter cette histoire si connue, tant et tant de fois adaptée, et revue. À l’origine, il y a un conte populaire dont l’existence est attestée dès le XIVe siècle et dont on connaît des variantes jusqu’en Chine. La plus ancienne version retranscrite, celle de Perrault, se termine tragiquement par la mort de la grand-mère et du Petit Chaperon rouge. Si les chasseurs passent dans les parages, ils ne sauvent pas la petite-fille et sa grand-mère. Les frères Grimm y ajoutent un happy end en la personne du chasseur providentiel qui ouvre le ventre du Loup pour en extraire la fillette et sa grand-mère. Toutes deux en tirent une expérience qui les transforment en tueuses d’un autre loup, mais les Grimm élaborent par la suite une version plus édulcorée qui s’arrête au sauvetage. Joël Pommerat retiendra l’issue heureuse de l’histoire en y ajoutant une fin de son cru.
Un narrateur omniprésent
Lorsque l’histoire commence, le narrateur tire les ficelles de personnages qui se déplacent et interagissent de manière muette. Il nous présente la petite fille, petit chaperon encore tout blanc qui ouvre sur la vie un grand regard étonné. Il faut dire qu’elle est bien seule, la petite fille. Sa mère ne s’occupe pas d’elle ou seulement de temps en temps. Toujours occupée par autre chose, la mère passe et repasse, perchée sur les pointes de ses orteils nus tandis que claquent sur le sol ses talons hauts. Parfois elle lui raconte des histoires. Des histoires qui font peur. Elle marche à quatre pattes, se fait menaçante. La fillette est effrayée, mais elle en redemande. Comme les enfants font pour les ogres mangeurs de petits enfants, avec qui ils entretiennent un rapport complexe d’attraction-répulsion… Peu à peu les scènes s’animent, le dialogue s’installe. Les personnages se mettent en place. Avec leurs protagonistes : la Grand-mère, et le Loup…
Le vertige de l’interdit et sa transgression
La mère du Petit Chaperon – blanc – lui interdit, bien sûr, de traverser la forêt où rôde le Loup. Cela suffit pour que la petite fille n’ait d’autre souci que de chercher le moyen de passer outre. Elle harcèle sa Mère pour aller seule – puisque celle-ci n’a pas le temps – rendre visite à sa grand-mère. De guerre lasse, sa mère la met au défi de réaliser un gâteau. Si elle y parvient, elle pourra aller seule rendre visite à sa grand-mère. Qu’à cela ne tienne ! D’essais infructueux en ratages, la fillette finit par arriver à quelque chose. La Mère est piégée. Petit Chaperon portera son gâteau à sa mère-grand. Et, c'est promis, elle ne s'écartera pas du chemin. Mais, comme l’histoire le raconte, il y a plein de sollicitations attirantes dans la forêt et, si elle déroge à l'interdit, personne ne peut la voir…
La lumière et la mesure de nos peurs
Joël Pommerat choisit de raconter cette histoire en jouant avec l’ombre et la lumière. La petite fille joue avec son ombre, qui se transforme en double facétieux tant que la lumière l’éclaire. Le chemin dans la forêt est matérialisé par une bande lumineuse au sol, les frondaisons des arbres projettent sur le sol un motif ajouré où l’ombre le dispute aux taches claires. Mais c’est dans l’obscurité totale, qui revient à plusieurs reprises, que se trament les choses. Le narrateur cède la place au Loup dont seul le masque émerge du noir. Et c’est seulement à travers des rais de lumière qu’il frappe à la porte de la grand-mère. Cette obscurité, c’est celle de l’inconnu, de la peur, le domaine de l’interdit qu’on transgresse. Elle est peuplée de nos angoisses, de nos attentes informulées aussi. Elle est aussi l’artifice théâtral qui suggère l’inconscient, tapi dans l’ombre. La fillette, pour changer et grandir, devra affronter sa nuit et surmonter ses appréhensions.
La relation parents-enfants et la transmission entre les générations
Le spectacle aborde une autre thématique : celle des relations entre les générations. La mère du Petit Chaperon-pas-rouge-mais-blanc n’a pas beaucoup de temps et l’enfant souffre de ce qu’elle perçoit comme une absence d’intérêt de sa mère. Par ailleurs Joël Pommerat ne qualifie jamais l’aïeule de « grand-mère ». Il la situe, sur l’échelle généalogique de la fillette comme « la mère de sa mère ». Vieille et cassée, elle est d’ailleurs jouée par la petite fille, comme un lien qui s’impose. Et lorsqu’à la fin il reprendra l’histoire et que la petite fille, devenue mère-de-sa-mère, aura elle-même une petite-fille, celle-ci sera jouée par celle qui était au début de l’histoire sa mère, et qui aura revêtu une flamboyante robe rouge comme un écho au chaperon de l’histoire d’origine. Une manière de dire « j’ai été ce que tu es, tu seras ce que je suis » et de faire comprendre aux enfants que grandir est inéluctable, et que surmonter ses peurs et maîtriser ses envies font partie de l’apprentissage.
Le Petit Chaperon rouge de Joël Pommerat (Ed. Actes Sud-papiers)
Spectacle en français, surtitré en arabe, espagnol, italien, mandarin, portugais, roumain, suédois, selon les représentations
S Une création théâtrale de Joël Pommerat S Avec en alternance Ludovic Molière – Rodolphe Martin, Murielle Martinelli - Valérie Vinci et Isabelle Rivoal S Assistant à la mise en scène Philippe Carbonneaux S Scénographie et costumes Marguerite Bordat S Scénographie et lumière Éric Soyer S Suivi de la réalisation scénographique Thomas Ramon S Aide à la documentation Évelyne Pommerat S Recherche son Grégoire Leymarie, François Leymarie S Direction technique Emmanuel Abate S Régie lumière Cyril Cottet S Régie son en alternance Yann Priest - Fany Schweitzer S Régie sur-titres Jorge Tomé S 40 minutes S Dès 6 ans S Production Compagnie Louis Brouillard S Coproduction Centre Dramatique Régional de Tours, Théâtre Brétigny - Scène conventionnée du Val d’Orge, avec le soutien de la Région Haute-Normandie S Création en juin 2004 au Théâtre Brétigny - Scène conventionnée du Val d’Orge S La Compagnie Louis Brouillard est conventionnée et reçoit le soutien du Ministère de la Culture/ DRAC Ile-de-France et de la Région Ile-de-France S La Compagnie Louis Brouillard et Joël Pommerat sont associés au TNP/Théâtre National Populaire de Villeurbanne, à la Coursive/Scène nationale de la Rochelle et à la Comédie de Genève et à Nanterre-Amandiers
Tournée 2022
Nanterre - Nanterre-Amandiers / Maison de la Musique : du 18 au 22 mai 2022
Ostwald – le Point d’eau : du 3 au 5 juin 2022
Angers - Festival d’Anjou : les 17 et 18 juin 2022