14 Septembre 2021
Le magnifique poème de Mahmoud Darwich est présenté dans une mise en scène minimaliste qui fait entendre la force de ce texte d’un Palestinien exilé qui dit son amour de sa terre natale.
Sur le plateau, des éléments épars et disparates. Quatre chaises mises en rang, une grande bassine en aluminium, des caisses de transport de décor, quelques planches. Une impression de non apprêté, comme si on n’allait pas – pas encore – assister à un spectacle. Car ce n’est pas réellement à un spectacle que nous sommes conviés, mais à entendre une parole, un texte qui va se dévider comme une pelote, sans dramatisation, sans théâtralisation, en faisant simplement entendre sa force propre. Deux hommes et deux femmes apparaissent, leur texte à la main. Ils déchiffrent ce qui est écrit et ce n’est pas aisé. Ils diffusent des bribes. « Nous cultivons l’espoir », dit l’un. « Au seuil de la mort, je suis libre », « sous peu j’entrerai dans ma liberté » dit un autre. « La vie, nous l’aimerons demain. Telle qu’elle est… grise » dit une troisième. Il est question de quotidien, de nouvelles dans les journaux, d’horoscope, de tric-trac, de mythes qui refusent de modifier leur trame et de temps qui passe sans qu’on ait le temps de le voir passer. Ils sortent et les machinistes débarrassent le plateau des chaises et du micro tandis qu’une femme, la comédienne récitante, arpente le plateau.
Un poète hors du commun
Ce qu’elle dit, semblant lire le texte, comme ceux qui l’ont précédée, c’est un poème, celui de Mahmoud Darwich. Mahmoud Darwich n’est pas un exilé comme un autre. Ce poète, figure de proue de la poésie palestinienne et président de l’Union des écrivains palestiniens décédé en 2008, a un parcours pour le moins singulier. Voix de la résistance palestinienne et ex-membre du comité exécutif de l’OLP ayant quitté l’Organisation à la suite des accords d’Oslo parce que n’y étaient pas évoqués le retour des Palestiniens dans le lieu qui les a vus naître, membre du Parti communiste d’Israël, le Maki, qui regroupe alors des juifs et des arabes, plusieurs fois arrêté et assigné à résidence, exilé au Caire, à Tunis, à Paris avant, finalement, de s’installer à Ramallah, la ville où Yasser Arafat avait ses quartiers, il porte, au-delà de la cause palestinienne, l’amour de la terre au cœur. La Palestine, il ne la chante pas seulement comme l’exilé qu’il est en 1989, quand il écrit ce texte dont la nostalgie poignante saisit et émeut en profondeur, mais aussi comme une terre en permanence traversée par l’histoire, les conflits mais aussi les modes de pensée et les philosophies qu’apportent avec eux les nouveaux arrivants, parfois seulement de passage, parfois installés pour un séjour plus long.
Et la terre se transmet comme la langue
Il raconte le passage incessant des guerres, des invasions – « parce que nos ennemis nous enseignent » –, des peuples, une longue épopée qui croise les Hyksos venus de Syrie, les Romains et tous les autres qui se mêlent et se défont, viennent et s’en vont, constituant la matière même que portent le lyrisme et le chant. Gilgamesh voisine avec Adam et Ève, Marie recouvre le théâtre, le commencement conduit à la fin et la fin au commencement. La Palestine est composée de ces mythes et de ces légendes, déposés en couches sur cette terre où tel un archéologue grattant avec précaution chacune d’entre elle, le poète essaie de remonter chaque fois plus loin dans le temps à la recherche de l’origine. Il dit les odeurs perdues, le basilic comme senteur de l’exil. Les Palestiniens sont des Troyens vaincus dont le poète porte la voix, dont il se fait le dépositaire. Il dit ce peuple rayé des registres d’état-civil après avoir été chassé par la guerre et qui ne revient plus que clandestinement, sa réduction à l’état de fantômes, d’ombres sans attache. Il invoque l’espoir qu’un jour, le retour sera possible…
Un espace à la mesure du texte
Ces spectres errants sont évoqués, convoqués par la lectrice sur un plateau en chantier qu’elle arpente inlassablement en disant le texte. C’est à eux qu’elle s’adresse, dos au public, lorsque qu’apparaissent, face aux spectateurs, d’autres gradins, que la levée du rideau de fer a dévoilés, ces places vacantes que le poète interpelle. Sur la scène, quelques morceaux d’estrade, au sol, matérialisent la mer qui sépare l’exilé de sa terre. Des poutrelles posées de biais embarrassent le parcours, des vides s’ouvrent au sol comme autant d’abîmes mais aussi de chausse-trappes, d’échos de cette histoire chahutée, comme un champ de ruines devenu impraticable. Les bruits de l’extérieur le meublent parfois – cris d’enfants, coups frappés, rumeurs indistinctes, grondements qui sourdent des profondeurs de la terre. Dans ce décor minimaliste, aride, le spectateur est ramené sans cesse vers le texte par l’économie extrême du spectacle. Il redevient auditeur attentif, oublieux de la facticité du théâtre, « pour que grandisse la vision ».
Et la terre se transmet comme la langue - Un poème de Mahmoud Darwich traduit par Elias Sanbar
S Conception Stéphanie Béghain et Olivier Derousseau S Interprétation Stéphanie Béghain S Scénographie Olivier Derousseau, avec Éric Hennaut S Lumières Juliette Besançon S Régie plateau Nino Hennaut, Jürg Härig, Kolya Larmarange, Antoine Lesimple, Jessie Piedfort, Julien Rauche, Clémence Roudil, Corto Tremorin S Régie générale Amaury Seval S Direction technique Jean-Marc Hennaut S Le spectacle s’ouvre chaque jour par une lecture d’extraits d’État de siège de Mahmoud Darwich (traduction Elias Sanbar) par des membres du groupe d’Entraide Mutuelle «Le Rebond », d’Épinay sur Seine : Patrick Amie Manga, Nacera Benattou, Zdenko Boban, Damien Chabanet, Christophe Dupont, Asker Kucam, Nadine Lorentz Schmid, Clarisse Monsaingeon, Rachida Moussaoui, Khadija Seddat, Patricia Sénéchal S Chantier exposition parallèle à découvrir dans les espaces du théâtre : Traces (étendue) Christophe Boulanger, Mohamed Elbaz (majnun), Lawrence Weiner (statement), Ahmad Dari (calligraphie), Stéphanie Béghain, Olivier Derousseau (Trois peintures d’histoire), Nino Hennaut, Théo Geoffroy (caisses, tables et signalétiques), Clémence Roudil, Séléné Härig, Anne Fischer, Éric Hennaut (peintures, traces et cadres), Martine Derain (classeurs) S Production T2G Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National
Théâtre de Gennevilliers – 42, rue des Grésillons – 92230 Gennevilliers
Du 11 au 16 septembre 2021 à 20h (dimanche à 16h)
Site : www.theatredegennevilliers.fr Tél. 01 41 32 26 10