Infamous Offspring – Olympe je vous hais ou les nourritures célestes - La mythologie au temps de la déconstruction du genre ! Décapant !

Infamous Offspring nous propulse dans une version très contemporaine de cette famille chaotique qu’est l’Olympe. Wim Vandekeybus nous offre un spectacle en 3 dimensions artistiques, cinéma, danse et théâtre qui coexistent et s’imbriquent sur scène. C’est une énorme performance qu’il faut souligner pour les interprètes qui enchainent pendant presque deux heures danses et textes à un rythme effréné. Parler ou plus précisément jouer et danser en même temps exige une maitrise du souffle et du corps incroyable. D’autant que les paroles sont des textes de la poétesse Fiona Benson. Ainsi ses mots sont « transmutés » en une narration visuelle et corporelle vraiment spectaculaire.

Le dispositif scénique en trois dimensions participe pleinement à la réussite de ce spectacle.
Le dispositif scénique contribue également à cette déstructuration de l’espace en associant des scènes filmées jouées sur des écrans qui interagissent avec les danseurs sur scène. Ces écrans sont modulables et bougent au fur et à mesure de la chorégraphie. On peut y voir l’acteur Daniel Copeland et l’actrice Lucy Black qui sont Zeus et Héra et n’apparaissent donc qu’à l’écran tout comme le danseur de flamenco Israel Galván qui incarne Tirésias, prophète aveugle, communicant avec les artistes présents sur scène par un langage rythmique et corporel vraiment impressionnant.
 

La prestation de Ismaêl Galvan, assis et jouant uniquement sur le rythme et les mouvements du haut du corps est particulièrement saisissante. Tirésias est une figure emblématique de la mythologie grecque, symbolisant la sagesse mais avec cette posture paradoxale de la cécité et de la clairvoyance. Son mythe explore des thèmes tels que la punition divine, la dualité sexuelle, et le rôle du destin. Thématiques extrêmement contemporaines que Wim Vandekeybus aborde sans fioriture en faisant par exemple interpréter Héphaïstos, forgeron des dieux par la contorsionniste Iona Kewney qui dessine en live et va même jusqu’à brûler ses dessins sur scène. Ce « changement sexuel » d’Héphaïstos Wim Vandekeybus l’explique non pour une pirouette scénique mais bien par un ressenti physique de cette interprète vis-à-vis du rôle. Il l’explique d’ailleurs lui- même par ses mots : « À l’origine, je voulais créer une pièce sur Héphaïstos : ce dieu artisan du feu, boiteux, rejeté, alors qu’il pardonne tout. J’ai immédiatement voulu le faire incarner par une femme, Iona Kewney, contorsionniste-peintre de 50 ans qui brûle ses propres dessins sur scène, car j’étais en quête d’un tel geste, archaïque et impérieux. »
Et cette posture d’incarnation a servi pour la distribution des rôles et chaque interprète « porte dans sa chair » son personnage. Certains n’avaient jamais parlé sur scène et Win Vandekeybus les a poussés à le faire en restant elles et eux-mêmes, avec leurs accents, leurs ruptures, leur souffle. Ainsi, Cola Ho Lok Yee, une danseuse venue de Hong Kong, joue une Athéna fine, précise, guerrière, presque froide. Elle parle et danse en même temps, sans jamais rien illustrer. Chacune, chacun a ainsi son langage. Pour Win Vandekeybus le corps ne démontre rien,  il expose une mémoire, un conflit, une lignée. Ainsi tous les autres membres de cette progéniture divine interprètent leurs rôle en allant chercher leur énergie dans leur nature profonde et aborde la mythologie grecque avec cette posture sans concession ni fioriture qui en fait toute sa modernité. Wim Vandekeybus orchestre leurs mouvements parfois très sensuels et toujours expressifs avec une grande dextérité. Certains portés sont vraiment impressionnants, se rapprochant véritablement de l’acrobatie. Il joue avec tous les ressorts à sa disposition tant corporel que scénographique. Ainsi certains interprètes grimpent au-dessus des écrans et envahissent des hauteurs qui n’étaient dévolues jusqu’à présent qu’aux acrobates.

Une vision très pointue de la famille contemporaine

Cette famille mythologique est aussi une famille et le talent de Wim Vandekeybus nous la rend parfaitement actuelle avec ses choix et positionnements des divers personnages. Le discours de Héra, très cru et réaliste envers son époux divin a des accents très féministes. Dionysos, l’étranger que la famille refuse d’adopter, devient la figure du marginal, de l’immigré. Aphrodite, qui trahit, séduit, s’échappe, revient, représente la liberté et l’insaisissable… Tous ces récits mythiques parlent de nous, de nos statuts sociaux, nos décalages, nos luttes intérieures, avec un souffle parfois tragique, toujours incandescent et si actuels.

Wim Vandekeybus Chorégraphe, danseur, cinéaste et photographe, fonde en 1986 sa compagnie de danse, Ultima Vez.
Ses deux premiers spectacles What The Body Does Not Remember et Les Porteuses de mauvaises nouvelles sont récompensés par un Bessie Award et il acquiert dans les années 1990 une reconnaissance mondiale.
Il a collaboré tout au long de sa carrière avec divers artistes, des musiciens et des plasticiens qui signeront de nombreuses musiques ou décors de ses spectacles, le plus souvent créés au cours des répétitions avec la troupe. Il réalise également des films issus de ses spectacles, notamment In Spite of Wishing and Wanting (2002) et Blush (2005) qui a reçu deux prix et a été sélectionné dans de nombreux festivals.
En 2015, il réalise son premier long métrage avec Galloping Mind.
Il pratique aussi la photographie. La maison pour la danse contemporaine Ultima Vez est située à Bruxelles.

Wim Vandekeybus a créé un langage gestuel où il confronte l’intuition, l’impulsion et l’instinct à l’énergie et au danger. Il nous offre avec Infamous Offspring un spectacle saisissant et bouleversant sans compromission, avec une danse brute et acrobatique qui nous embarque dans une vision du monde tragique et hallucinatoire. Percutant et olympien !

Distribution 

Mise en scène et chorégraphie Wim Vandekeybus
Cocréé et interprété par Iona Kewney, Maria Zhi Tortosa Soriano, Lotta Sandborgh, Cola Ho Lok Yee, Samuel Planas, Rakesh Sukesh, Paola Taddeo, Adrian Thömmes, Hakim Abdou Mlanao Texte Fiona Benson
Musique Warren Ellis/Dirty Three, ILA.

Conception sonore du film Arthur Brouns
Assistance artistique et dramaturgie Margherita Scalise
Conception des costumes Isabelle Lhoas
Scénographie Wim Vandekeybus
Réalisation des décors et conseil Schröder, Pepijn Mesure et KVS
Ingénieur du son et opérateur vidéo en direct Schröder
Conception des éclairages Wim Vandekeybus et Benjamin Verbrugge
Light on tour Benjamin Verbrugge Production Heleen Schepens –
Diffusion Julia Bouhjar Conseil sur la mythologie Nadia Sels
Remerciements Jerry Killick, Matteo Principi
Photos Wim Vandekeybus, Danny Willems
Film et captation : Réalisateur Wim Vandekeybus Scénario Wim Vandekeybus et Fiona Benson Interprété par Israel Galván, Daniel Copeland, Lucy Black, Thi-Mai Nguyen, Cola Ho Lok Yee, Iona Kewney, Paola Taddeo, Pieter Desmet
Film produit par lesmecs, Ultima Vez
Premier assistant réalisateur et directeur visuel Fernando Vandekeybus
DOP Dries Vanderaerden Direction artistique Jara Vlaeminckx/cachet
Maquillage Tine De Sauter
Costumes Isabelle Lhoas

Production Ultima Vez Coproduction Teatro Comunale Di Ferrara, Théâtres de la Ville de Luxembourg, KVS