Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner. Spirale infernale pour ados en pleine dérive.

© Stéphane Trapier

© Stéphane Trapier

À travers cette plongée percutante dans le milieu d’un foyer d’urgence pour jeunes en situation précaire, Christine Citti et Jean-Louis Martinelli lancent un cri d’alarme sur le devenir d’une jeunesse en mal d’être. Urgent crier…

Une salle commune, avec table de cantine. Les aiguilles ont disparu de l’horloge au mur. Sans doute vandalisées. Au centre, une cage de verre. Côté cour, ils sont un petit groupe de jeunes affalés dans un grand canapé. Musique rock. Ils sont agressifs les uns vis-à-vis des autres, ils s’apostrophent, se heurtent, se balancent des injures. Nous sommes dans un foyer d’urgence pour jeunes à la dérive. Un centre « ouvert » – ils ont le droit, encadré, de sortir. La femme qui leur fait face est comédienne. Elle est venue tenter de faire du théâtre avec eux. Mais le groupe ne répond pas, ou mal, à sa proposition. Alors elle attend, et elle écoute.

© Pascal Victor

© Pascal Victor

Au point de départ, un travail de plusieurs mois

Jean-Louis Martinelli et Christine Citti ont vécu un partage de vie dans un foyer de jeunes en situation précaire. Ils y ont passé quelques mois et établi, peu à peu, des liens qui se sont rompus à leur départ. « Partir, dit Christine Citti, l’autrice de la pièce, c’était n’avoir fait que passer dans leurs vies fragiles et broyées. […] De ces jours avec eux, j’avais bien conscience de n’avoir pu ni transformer, ni améliorer leurs situations, leurs devenirs. » Ces existences maltraitées et passées sous silence, elle a souhaité les faire entendre. Non pas en rapportant « fidèlement » leurs propos sous forme documentaire, mais en les réinventant, en créant un texte qui puise dans les impressions, les sensations, la perception qu’elle a eues de ces rencontres et surtout, de ces vies en lambeaux dont les morceaux semblent si difficiles, voire impossibles, à recoller tant les blessures sont profondes.

© Pascal Victor

© Pascal Victor

Une collection d’individualités dans un groupe disparate

C’est ainsi qu’elle dresse comme une galerie de portraits de déshérités de la terre. Ils viennent, ou leurs parents, de partout dans le monde, du Maghreb au Vietnam. Enfants maltraités, battus, négligés, livrés à eux-mêmes, débarqués dans une rue hostile où se faire une place simplement pour marcher est déjà une épreuve et où les poings parlent avant les paroles. Rebelles rétifs à toute forme d’autorité dont la violence est le seul discours, jeunes réfugiés dans la drogue, parfois dealers, ils sont hermétiques, fermés comme des huîtres, poil hérissé devant ce qu’ils perçoivent comme une intrusion, en attaque pour éviter d’avoir à se défendre. Lorsqu’une porte s’entrouvre, ils parlent de leurs rêves – devenir comédienne pour l’une, chirurgien pour l’autre, avoir de la thune, se payer de belles fringues – mais la referment sans tarder. Car il y a dehors, qui les attend…

© Pascal Victor

© Pascal Victor

Le foyer d’accueil, lieu de tous les ressentiments

Ils sont réunis par les hasards de la vie et entretiennent entre eux les relations d’opposition et de fight qui sont celles de leur vie à l’extérieur. Extraits de leurs familles pour des raisons de maltraitance ou placés là pour délinquance, ils sont là pour réapprendre les règles élémentaires de la vie en société. « Bonjour » ou « merci » leur sont des mots inconnus. Leur opposition, ils la cristallisent, pour une fois unis, envers l’institution qui ne leur propose aucun moyen – en matériel ou en activités – de se sortir de la spirale où ils sont enfermés, et lorsque d’aventure quelque chose est possible, ils s’emploient à le détruire. Boucs émissaires, les éducateurs doivent faire face à un monde où seul le discours de la force prévaut. Eux aussi sont épuisés et craquent et se désespèrent car ils savent qu’ils devraient consacrer à chaque cas individuel un temps qu’ils n’ont pas et des moyens qui leur manquent…

© Pascal Victor

© Pascal Victor

Un groupe de jeunes acteurs épatants

Il y a de la hargne dans la manière dont les jeunes comédiens choisis par Jean-Louis Martinelli boxent la vie et ses travers, dont ils imposent la langue et l’expression de cette génération oubliée ou qu’on feint de ne pas voir. Qu’ils dansent façon hip hop, se défoncent au hard-rock ou s’affalent sur une chaise, ils sont à corps plein dans l’incarnation de leurs personnages. Incorrects, vindicatifs, hors norme. Gestuelle hachée, toute en rupture, engagement entier, corps démonstratif, ils jouent la confrontation et leur vitalité agressive nous interpelle. On se souvient que la France aujourd’hui n’est plus si une et indivisible que les devises républicaines l’affirment mais composée, elle aussi, de multiples fragments qu’on peine à assembler. La pièce nous rappelle aussi que les mesures mises en œuvre aujourd’hui ressemblent plus à un replâtrage superficiel qui sert de bonne conscience à la société qu’à un moyen de prendre à bras-le-corps une réalité qui pourrit et se désagrège de partout. Si l’état des lieux mis en scène par le spectacle est celui d’un état de choc plus noir que noir, c’est à nous qu’il retourne la question du « que faire » et la perspective nécessaire du changement.

Christine Citti © Pascal Victor

Christine Citti © Pascal Victor

Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner - Une pièce de Christine Citti

S Mise en scène et scénographie Jean-Louis Martinelli S Collaboration artistique Thierry Thieû Niang Avec Christine Citti, Yoann Denaive, Loïc Djani, Évelyne El Garby-Klaï, Yasin Houicha, Elisa Kane, Leïla Loyer Kassa, Margot Madani, Édouard Montoute, François-Xavier Phan, Mounia Raoui, Amina Zouiten S Costumes Elisabeth Tavernier S Lumières Jean-Marc Skatchko S Son Sylvain Jacques S Construction décor Ateliers de la Mc93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis S Production Compagnie Allers-Retours, Altermachine, Mc93 – Maison de la Culture De Seine-Saint-Denis, Coproduction Châteauvallon – Scène Nationale, avec le soutien de la SPEDIDAM, Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National

26 janvier – 5 février 2022, 20h30. Dim. 30 janvier & sam. 5 février, 15h — Relâche le 31 janvier

Théâtre du Rond-Point – 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris

Rés. 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article