10 Novembre 2024
Bryana Fritz poursuit ses spectacles / performances sur une série de portraits de treize saintes, figures martyres et sacrifiées sur l’autel du patriarcat romain mais aussi médiéval. Sur chaque spectacles elle choisit quatre « portraits ». Ce soir-là, elle avait choisi Hildegarde de Bingen, Catherine de Sienne, Christine de Tyr ou de Bolsena et Jeanne d’Arc.
Bryana Frizt fait un vrai travail d’hagiographie moderne en réécrivant l’histoire de ces saintes avec un angle féministe et contemporain. Elle se dit « amatrice », mais toute réécriture ne fait-elle pas acte d’hagiographie ? Et que dans ce domaine, raconter fait « foi » si j’ose me permettre.
De plus être amatrice si l’on prend l’étymologie du mot venant du latin amatrix « amoureuse, amante », est donc une pratique entière qui prend en compte également le corps et l’esprit. Et lorsque que l’on sait que Bryana Frizt est une chorégraphe, qui a été danseuse pour Boris Charmatz, Dimitri Chamblas et Anna Teresa de Keersmaeker, l’implication totale est un principe de base de sa performance. Ainsi sa pratique brute, intense, sans raccourci ni fioriture, peut parfois choquer et déranger. Allant jusqu’à la provocation, elle nous propose quatre performances aussi variées que surprenantes parfois. Elle joue avec tous les médias accessibles, musique, textes, vidéo et bien sûr chorégraphie et nous présente SA version interprétative comme toute hagiographie de la vie, la mort et la passion de ces quatre figures féminines du passé. L’hagiographie est bien une réécriture au service de celui qui l’utilise. Les histoires des saintes et des saints étaient des récits fortement stéréotypés qui devaient servir à la formation des croyants et des croyantes mais aussi avaient une fonction normative et politique en servant à la propagande religieuse. Et effectivement, les études des historiens actuels portent plus sur les œuvres qu'ont suscité ces personnages littéraires que sur le saint lui-même, dont la réalité historique reste toujours invérifiable. Ils mettent ainsi en évidence la qualité des textes hagiographiques qui sont, au final, une source de renseignements précieux sur l'histoire des mentalités, constituant un extraordinaire gisement de culture populaire.
Les récits médiévaux martyrisent et s’attaquent au corps des saintes avec des scènes horribles à la limite du grotesque. Ainsi Christine de Tyr a la langue coupée, Sainte Agathe de Catane a le sein coupé, Lucie de Syracuse se fait arracher les yeux bref le corps des femmes est l’objet de tous les excès et de toutes les atrocités mais comme le dit Bryana Fritz « ces histoires nous montrent que la relation à l’intégrité du corps à l’époque était une notion tout à fait différente et en tant que chorégraphe et danseuse je suis très concernée par le décalage qui s’opère à travers les époques. Pour moi, au-delà du prisme corporel, cet imaginaire médiéval permet d’avoir de nouveaux outils, plus mystiques, pour regarder notre relation avec le monde aujourd’hui ».
Ici Bryana Frizt joue sur tous ces tableaux et nous livre une version très politique et personnelle dont il faut souligner la qualité artistique. C’est un « seule en scène » incroyable, aidée par la technologie actuelle, elle nous offre quatre partitions totalement différentes qu’elle interprète magistralement. On est happé par son propos et son implication physique. C’est un très beau moment de création performative qui nous interroge et nous questionne bien au-delà de ce que l’on imaginait en y allant. ET n’est-ce pas la finalité de l’art que de nous pousser à nous questionner sur nous-même et notre environnement ? A réfléchir sur notre implication et nos comportements et ces conséquences sur notre monde contemporain ?
Bryana Fritz est une chorégraphe, danseuse et écrivaine née à Chicago. Elle a étudié la danse à Minneapolis (États-Unis), à Essen (Allemagne) et au sein de P.A.R.T.S., à Bruxelles. Son travail est situé à l’intersection de la poésie et de la performance et témoigne d’un intérêt continu pour la littérature médiévale et féministe. Bryana Fritz a été interprète auprès de Anne Teresa De Keersmaeker, Xavier Le Roy, Boris Charmatz et Michiel Vandevelde. Depuis 2016, elle collabore avec Henry Andersen sous le pseudonyme Slow Reading Club, un groupe de lecture semi-fictionnel qui propose des situations chorégraphiées pour lecture chorégraphique. Elle a signé avec Thibault Lac la pièce KNIGHT NIGHT en 2022.
Distribution
Chorégraphie, texte et interprétation : Bryana Fritz
Dramaturgie : Tom Engels
Musique partiellement basée sur : 'Monsters' de Heavens to Betsy, 'Hamster Baby' de Bikini Kill et 'Like a Prayer' de Madonna
Avec le soutien de : Performatik19, Beursschouwburg, Kunstencentrum Vooruit, LOD muziektheater, et l'Onda
Remerciements particuliers à Christine l'Admirable, Jeanne d'Arc, Christine de Bolsena, Hildegarde de Bingen, Marguerite Porete, Catherine de Sienne, Heavens to Betsy, Bikini Kill, Liza 'N' Eliaz, Henry Andersen, Tom Engels, Sarah Leck, Alice Panziera, Emmanuelle Raoul-Duval, & VCX Adult Entertainment.
Avertissement : spectacle déconseillé aux moins de 16 ans.
Spectacle présentée à la Ménagerie de verre les 6,7 et 8 novembre 2024 dans le cadre de la troisième édition du festival « les Inaccoutumés ». Cette troisième édition est nourrie de plus de quarante ans d’existence de la Ménagerie et y présente des artistes qui ont fait l’histoire de ce lieu mais aussi des jeunes artistes que la Ménagerie soutient et à cœur de faire découvrir le travail. Le rapport corps-musique est un des fils conducteurs de cette édition.
7 semaines de festival du 3 octobre au 23 novembre, 15 spectacles dont 5 créations.
https://menageriedeverre.com/