Racontars arctiques, Chroniques de la banquise

Des marionnettes, petites et grandes, venues du Québec, donnent vie à de rudes gaillards perdus dans les glaces du Grand Nord, sortis tout droit des récits collectés par Jørn Riel, au Groenland. En tournée depuis 2021, elles font escale à Paris, au Théâtre Mouffetard, du 13 au 23 novembre .

Des contars en pagaille

À dix-neuf ans, L'écrivain danois, Jørn Riel (1921-2023) embarque pour le Groenland. Il y restera des années, notamment sur l'île d'Ella. De ce périple et de ses rencontres avec les habitants du cru, il tirera ses fameux « racontars », une dizaine de volumes humoristiques où il narre, à travers de truculents personnages, la vie des explorateurs et chasseurs du Nord-Est Groenlandais. Entre témoignage, chronique sociale et conte burlesque, l'écrivain baroudeur porte un regard tendre sur cette communauté d'hommes solitaires. La série des racontars évolue : au fil des ouvrages on retrouve d'une histoire à l'autre, des personnages et des allusions aux aventures précédentes. Ainsi naît sous la plume de l'écrivain danois un échantillon d'humains au caractère bien trempé, une bande de joyeux drilles, chasseurs-trappeurs, paumés, hâbleurs. Ici, Racontars arctiques se décline en six récits, et s'inspire aussi des bandes dessinées éponymes, scénarisées par Gwen de Bonneval et illustrées par Hervé Tanquerelle. Le spectacle s'attache à trois personnages principaux, pour finir par une kyrielle de rudes gaillards réunis pour un enterrement bien arrosé.

La banquise en folie

Des marionnettes alignées en fond de scène attendent leur heure. Elles sont taillées dans la mousse dure, à partir des dessins d’Hervé Letailleur. Barbues, chevelues, dépenaillées, elles ont la tête de l’emploi et prennent vie entre les mains de Jérémie Desbiens, Frédéric Jeanrie et Anne Lalancette. En ouverture, une oie sauvage abattue en plein vol fera les délices d’un vieux chasseur qui part inviter son « voisin » à partager le festin.... Un long voyage en traîneau vers sa cabane, petite lumière et feu de bois dans la longue nuit de l’hiver polaire. Beuveries en perspective. Plus tard, les deux compères accueillent le petit Pedersen, qui deviendra grand au terme d’un bizutage en règle, baptisé du sang des bêtes sur ses lèvres de jeune chasseur. Dernier acte, le monde bascule vers une bacchanale tragicomique, alors qu’au bout du quai, on attend le prochain bateau qui tarde à venir ravitailler ces hommes en mal de femme, isolés dans ces solitudes glacées où l’on se tient chaud en buvant et racontant des bobards... Chacun a une aventure à partager. 

En trois dimensions

Les comédiens finissent par ressembler à leurs personnages ; en prenant leurs voix, ils en prennent l’allure. Ces passages de la marionnette à l’acteur en chair et en os s’opèrent avec fluidité, de même que le changement d’échelle des pantins. Comme dans un film d’animation ou une bande dessinée, on passe de plans larges à des gros plans : l’oie miniature qu’on tire prendra la taille d’une grosse peluche qu’on éviscère avant de  la passer à la casserole. Une table recouverte d’un drap blanc et nous voilà sur la banquise où s’élance, dans le blizzard, un minuscule traîneau tiré par des chiens, jusqu’à une mini-cabane au loin. Des objets modèle réduit meublent les intérieurs précaires où l’on se blottit quand tombe la nuit. Une belle fabrique d’images pour figurer les vastes espaces du Grand Nord ou les habitats confinés. Le musicien et bruiteur Alexandre Harvey ne manque pas de ressources pour donner du relief aux faits et gestes de ce petit monde, à partir d’instruments comme la scie égoïne, la guitare ou le mélodica, ou en utilisant de discrètes percussions pour accompagner des pas qui s’enfoncent dans la neige... Les images et les paysages sonores jouent un rôle central dans les réalisations du collectif québécois La Ruée vers l’or, fondé par le compositeur et la marionnettiste Anne Lalancette.

Cependant, sauter de case en case, de récit en récit, est plus facile sur le papier que sur une scène de théâtre. Les interprètes s’égarent parfois dans l’entre-deux des séquences et les fondus enchaînés ne paraissent pas évidents, d’autant que les textes de transition sont parfois un peu lourds. On perd facilement le fil et l’attention. Mais restent l’ambiance et l’esprit qui ont présidé à l’écriture. Une incitation à (re)lire Jørn Riel.

Racontars arctiques

S Texte original Jørn Riel S Traduction française Susanne Juul et Bernard Saint-Bonnet S Mise en scène et adaptation Anne Lalancette et Francis Monty avec la collaboration de Jérémie Desbiens, Simon Landry-Desy et Alexandre Harvey S Interprétation Jérémie Desbiens, Frédéric Jeanrie et Anne Lalancette S Conception musicale et sonore, musique et bruitage en direct Alexandre Harvey S Régie des éclairages Miguel Angel Gutiérrez S Conception des marionnettes Sophie Deslauriers, d’après les illustrations d’Hervé Tanquerelle S Conception des décors et accessoires Corinne Merrell S Conception des éclairages Nancy Longchamp S Production Collectif La ruée vers l’or S Coproduction Théâtre de la Pire Espèce S Remerciements et soutiens Conseil des arts et des lettres du Québec (QC),  Conseil des arts du Canada, Théâtre de la Pire Espèce, Théâtre aux Écuries et Maison de la Culture Marie-Uguay pour leur soutien financier, Éditions Gaïa et Sarbacane pour avoir permis l’adaptation de cette œuvre.

TOURNÉE
26 novembre 2024 (14h30 et 20h) Halle-Roublot, Fontenay-Sous-Bois (94).
13 décembre 2024 Valspec, Valleyfield, Québec (Canada).
12 et 13 janvier 2025 Théâtre Desjardins, LaSalle, Québec (Canada).
13 et 14 mars 2025 Festival of Animated Objects, Calgary, Alberta (Canada).
Du 23 au 26 mars 2025 Salle Jean-Desprez, Gatineau, Québec (Canada).
3 et 4 avril 2025 Salle Emma-Albani, Chambly, Québec (Canada).
15 et 16 avril 2025 Théâtre de la Ville, Longueuil, Québec (Canada).
Du 2 au 5 mai 2025 Fira de Titelles de Lleida, Lleida (Espagne).