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Arts-chipels.fr

O. Au commencement était le cercle…

Phot. © Charles-Henry Frizon / Bottoms-up

Phot. © Charles-Henry Frizon / Bottoms-up

Entre discipline circassienne et philosophie, Chloé Moglia nous convie à un voyage qui remonte jusqu’aux origines de l’humanité et de la vie. Un parcours acrobatique en suspension entre cycle et circularité.

Un énorme tour de spirale occupe le centre de la scène. Derrière lui, un tableau noir magnétique qui autorisera les dessins à la craie comme les jeux de lettres. Et ça commence par l’arrivée de Chloé Moglia pour nous parler, justement des commencements. Pas du Verbe mais de la ligne, des lignes qui, rassemblées, formeront le vivant. Le ton est donné. Faire du cirque, c’est aussi parler de la vie et de l’origine des choses qui donnent forme à la structure et au mouvement. La bande continue qu’elle déroule avant de l’enrouler autour de la spirale de métal qui occupe la scène est comme un fil tiré et ses prolongements nous parlent d’un même corps et d’une même expérience qui se démultiplie en milliards de lignes à la manière des Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau.

Phot. © Charles-Henry Frizon / Bottoms-up

Phot. © Charles-Henry Frizon / Bottoms-up

Au jeu des métamorphoses

La leçon de choses ne s’arrête pas là. Elle va s’attacher à la transformation. Un cercle sur le tableau noir deviendra visage, animé par deux yeux. Les lettres éparses sur le plateau, utilisées dans leurs deux sens, en anagramme ou en juxtaposition feront apparaître quantité de mots, associeront NOMME et WOMEN, glisseront de COMME à CONNE, iront ensuite voir du côté du COMMENT. Un peu plus loin, elle brodera autour de DIEV (Dieu dans une graphie romaine) pour l’associer aux considérations sur le VIDE. Manière de former les boucles qu’elle parcourra physiquement sur le cercle qui n’en est pas un, déformé dans l’espace pour s’inscrire, à la manière de notre perception du monde, en 3D. Elle posera plus loin, à travers les yeux d’un crocodile grand avaleur d’hommes, un regard animal sur l’anthropocentrisme des conceptions humaines non sans être passée par une vision de la métempsycose du vivant qui se rapprocherait des philosophies extrême-orientales.

Phot. © Charles-Henry Frizon / Bottoms-up

Phot. © Charles-Henry Frizon / Bottoms-up

Une leçon de vide

Le vide, qui est aussi celui dans lequel elle va évoluer, elle va le chercher dans la poésie persane mystique de Farid Ud-Din ‘Attâr, auteur entre autres d’une œuvre célèbre, la Conférence des oiseaux, qui lance trente oiseaux à la recherche du Simorg, l’oiseau royal grâce auquel la vie continue sur terre. Chloé Moglia y reprend pour sa part un conte sur les commencements du monde. Il y est question des montagnes pour soutenir la Terre et d’océans pour qu’elle s’y lave le visage, mais surtout de points d’appui. La Terre repose sur le dos d’un Taureau reposant sur un poisson reposant lui-même sur l’air, c’est-à-dire sur rien. Et c’est bien sur cet air de rien qu’elle prend appui, suspendue tantôt par ses membres et tantôt par un seul, se déplaçant avec grâce et lenteur le long de ce tour de spirale au fil de mouvements de torsion qu’on ne voit reposer sur rien sinon sur ses bras évoluant dans le vide, semblant palper des doigts le vide qui les entoure pour en faire son soutien. Suspension-élévation, envers-endroit, torsion-déroulement, indépendance des membres les uns par rapport aux autres, se combinant, s’entrecroisant, s’associant ou se dissociant, capables chacun de porter le corps et doués d’autonomie propre, c’est, plus qu’une performance – quoique celle-ci soit époustouflante – une philosophie en actes, une manière de reconsidérer la pesanteur et d’accorder au corps une liberté venue d’ailleurs qui lui permet de puiser en elle les ressorts nécessaires au mouvement.

Phot. © Charles-Henry Frizon / Bottoms-up

Phot. © Charles-Henry Frizon / Bottoms-up

Un spectacle pour grands mais aussi pour petits

Cette pensée, qui gouverne chacun des mouvements accomplis par Chloé Moglia, associée à sa gestuelle, a de quoi séduire un public adulte qui en percevra la subtilité et les finesses. Mais elle fascine aussi les enfants, nombreux lors de la représentation, qui regardent dans un silence religieux ces évolutions faites de presque riens mais qui sont si difficiles. Loin de la performance purement circassienne, le spectacle de Chloé Moglia, dans son oscillation presque immobile entre cercle et cycle, zéro et éternel retour, frontière et vide, figuration du monde en même temps qu’impalpabilité, dans sa rotation sans début ni fin, nous parle de ce que nous avons été, de ce que nous sommes et de ce que nous serons, non pour nous dire que tout n’est que vanité amis que le recommencement s’inscrit dans l’ordre des choses. 

O
S Conception et réalisation Chloé Moglia S Création musicale Marielle Chatain S Création lumière Arnaud Lavisse S Direction technique et collaboration artistique Hervé Chantepie S Conception et construction de la structure Eric Noel et Silvain Ohl S Régie son Clément Crubilé S Voix enregistrées Iseut Dubet et Chloé Moglia S Administration et Production Rhizome, Lucie Vignal, Marie Chénard et Mélissa Guey S Diffusion Florence Bourgeon S Production Rhizome S Coproductions Le Quartz, Scène nationale de Brest ; Scène nationale  de l’Essonne, Agora-Desnos ; La Passerelle, Scène nationale de Saint-Brieuc ; Le Théâtre, scène nationale de Saint‑Nazaire ; Scènes obliques, Les Adrets ; TRIO…S - Scène de territoire pour les arts du cirque Soutien en résidence La Passerelle, Scène nationale de Saint-Brieuc ; Scènes obliques, Les Adrets ; TRIO…S - Scène de territoire pour les arts du cirque S Avec le concours financier de Essone, Terre d’avenir S Citations dans le spectacle de Métamorphoses Emanuele Coccia (Editions Bibliothèque Rivages), Richard Feynman cité en exergue dans Machiavel chez les babouins, pour une anthropologie au-delà de l’humain, Tim Ingold (Éditions Asinamali), Le langage des oiseaux Manteq ut-Tayr Farid Ud-Din ‘Attâr (Éditions Cerf), Dans l’oeil du crocodile ; L’humanité comme proie Val Plumwood (Éditions Wildproject), L’Arbre Monde Richard Powers (Éditions 10-18) S Adaptations de citations de L’invention de la Terre Franco Farinelli (Éditions de la Revue Conférence), Le regard du jaguar Eduardo Viveiros de Castro (Éditions la Tempête), l’introduction à Dans l’oeil du crocodile, L’humanité comme proie Val Plumwood (Éditions Wildproject), introduction signée par Freya Mathews, Kate Rigby et Deborah Rose S Remerciements Jacques Perry Salkow de m’avoir envoyé par texto que « le vide est l’anagramme d’éveil », David Le Breton pour son conseil concernant L’Arbre Monde S Durée 55 minutes

Du 27 novembre au 1er décembre 2024
MC 93
– 9, boulevard Lénine, 93000 Bobigny  www.mc93.com

TOURNÉE
Les 3 et 4 décembre 2024. La Manufacture, CDCN, Bordeaux (33)
Les 10 et 11 décembre 2024. La Passerelle, Scène nationale de Saint-Brieuc.
Les 15 et 16 mai 2025. Le Zef, Scène nationale de Marseille.

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