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Arts-chipels.fr

Les Fausses confidences. Au jeu du mensonge et de la vérité, il faut parfois prêcher le faux pour faire émerger le vrai.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Phot. © Jean-Louis Fernandez

La mise en scène très minimaliste d’Alain Françon repose essentiellement sur le jeu des acteurs. Elle rend à cette œuvre toute sa force textuelle et ses ambiguïtés aussi délicieuses qu’éclairantes.

Dorante est tombé raide dingue d’Araminte, croisée à l’Opéra. Mais comment faire pour s’en approcher, et pourquoi pas s’en faire aimer, quand on est fils d’avocat, ruiné de surcroît, et que celle qui vous a foudroyé est veuve, et très riche. Qu’à cela ne tienne ! Dubois, l’ancien domestique de Dorante entré au service d’Araminte, se fait fort de parvenir à cette fin. Mais il faut d’abord introduire Dorante dans la place pour se faire aimer d’Araminte. Monsieur Rémy, qui est tout à la fois procureur auprès du tribunal et oncle de Dorante, servira, sans le savoir, les plans des deux Machiavel en recommandant le jeune homme au poste d’intendant de la belle.

Proposition acceptée par une jeune femme décidément très confiante, amie du genre humain, qui trouve le jeune homme plutôt à son goût mais qui ne se froisse pas moins de l’intervention de sa mère, Madame Argante, dans ses affaires. D’autant que celle-ci s’est mise en tête, pour régler un litige sur un terrain, de remarier sa fille avec son adversaire, d’autant plus bienvenu que le prétendant est à particule.

Ajoutons d’autres projets matrimoniaux de Monsieur Rémy pour caser son neveu désargenté – il se mettra en tête successivement de lui donner pour épouse une jeune fille de bonne famille prometteuse financièrement et dame de compagnie d’Araminte, Marton, puis une mystérieuse dame pleine aux as – et tous les ingrédients sont réunis pour une tambouille menée de main de maître par Dubois. Nous sommes en 1737, Beaumarchais n’a encore que cinq ans et déjà les valets sont à la manœuvre.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Une pièce « révolutionnaire »

Présentée par les Comédiens italiens à l’Hôtel de Bourgogne le 16 mars 1737, la pièce ne rencontre pas le succès. Il faudra attendre 1793 (!)pour qu’elle reçoive un accueil plus favorable. Les raisons de cet insuccès tiennent sans doute en grande partie au « message » final de la pièce. Si Marivaux, qui arrive à la cinquantaine, a à maintes reprises raillé ses contemporains et formulé sous la forme de comédies morales des critiques de la hiérarchie sociale de son temps, il achève la Fausse confidence (titre original de l’œuvre) sur une note inacceptable pour la société de son époque. Passe encore que la bourgeoisie cherche à se hausser du col en projetant une alliance avec la noblesse. Mais qu’une femme se marie au-dessous de sa condition – avec un intendant ! – même si le « candidat » est originellement du même milieu qu’elle, voilà qui heurte les sensibilités de cette société très hiérarchisée.

La mise en scène d’Alain Françon le révèle à travers le placement des personnages sur la scène. Si un même siège, au début du spectacle, est utilisé alternativement par tous les personnages, valets, dame de compagnie et maîtres, signe d'un repositionnement en cours des lignes, c’est toute la largeur de la scène qui sépare Araminte de Dorante au moment final pour la jeune veuve de franchir le pas avant que, bravant les conventions, elle ne se précipite vers Dorante en lui avouant son amour.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

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L’argent, un thème central

En avoir ou pas : l’argent occupe largement le devant de la scène et Alain Françon le fait entendre avec force. Araminte est très riche, Dorante très pauvre. Le mariage d’Araminte avec le Comte projeté par Madame Argante est un arrangement financier. Ce sont les 1 000 écus proposés par le Comte pour que Marton l’aide à favoriser son projet de mariage que la jeune fille fait miroiter devant Dorante pour qu’il se laisse séduire, et la perspective d’une belle rente que Monsieur Rémy avance devant Dorante pour le convaincre d’épouser une femme de trente-cinq ans – une vieille pour l’époque. C’est aussi avec une bourse que Dorante se concilie les bonnes grâces de Lubin-Arlequin, dépouillé par le metteur en scène de sa défroque de commedia dell’arte sans perdre pour autant de son insolence, de sa matoiserie et de sa fausse niaiserie.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

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Fausses confidences et faux semblants

Avec une maestria réjouissante, Marivaux fait son miel du thème de l’honnêteté qui court sous la pièce alors que chacun use d’artifices trompeurs. Dès le début de la pièce, Araminte sait que Dorante l’aime. Elle fera cependant semblant de l’ignorer, le poussant dans ses derniers retranchements en lui faisant supposément écrire une lettre au Comte lui proposant le mariage. Elle voudra aussi faire accroire à Dubois que Dorante ne lui a pas avoué son amour. Monsieur Rémy de son côté laissera supposer à Marton que Dorante est fou d’elle, ce qui entraînera une série de quiproquos. Dorante n’est pas en reste, qui reste flou quand il est question de son supposé amour pour elle, et qui ne cesse de mentir à son aimée sur les instances de Dubois. C’est, avec brio, à un véritable lancer multicolore de poudre aux yeux que Marivaux procède dans ces dialogues scintillants dont le double sens et la manipulation sont les règles.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

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Dubois, un Méphistophélès drolatique à la langue fourchue

Chef d’orchestre circonvenant les uns et les autres, Dubois tire toutes les ficelles. Avec un art consommé, il éveille les alarmes avant de les calmer, invente stratagème sur stratagème pour pousser Amarinte dans les bras de Dorante, dispose ses pions en utilisant les faiblesses de chacun. Le serviteur est devenu un deus ex machina, le maître d’un jeu dont les marionnettes sont ses maîtres. C’est d’ailleurs en homme vêtu de noir, comme un manipulateur, qu’Alain Françon l'introduit sur la scène. Un tentateur qui fait corps avec sa créature, Dorante, et qui dira d’Araminte « Il faut qu’elle nous épouse », ajoutant pour conclure la pièce, avec une autosatisfaction manifeste : « Je mériterais bien d’appeler cette femme ma bru. » Le serviteur s’est emparé du pouvoir et Lubin-Arlequin, à sa manière, abonde dans cette direction lorsqu’il feint de ne pas comprendre sa maîtresse qui le « donne » à Dorante. « Est-ce je ne serai plus à moi ? Ma personne ne m’appartiendra donc plus ? »

Phot. © Jean-Louis Fernandez

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Une émancipation de femme

L’une des forces de la mise en scène d’Alain Françon est de donner à voir l’évolution qui conduit Araminte à braver le qu’en-dira-t-on. Si l’agacement de la jeune femme devant l’intendant que sa mère voudrait lui imposer est perceptible, elle reste néanmoins indécise, incertaine, prête à se laisser influencer par ce qu’on lui raconte, à faire confiance. Il n’en sera plus de même à la fin de la pièce où, contredisant ouvertement sa mère – et avec elle le système social que celle-ci incarne – elle affirme son autonomie et sa volonté de décider de son propre destin. Ainsi, si elle s’inscrit dans le plan tortueux ourdi par Dubois, c’est parce qu’elle l’a choisi et que, pour elle, l’amour supplante l’argent. En ne faisant pas de Dorante un Apollon séducteur et triomphant mais un jeune homme fragile, lui aussi touché par l’amour, le metteur en scène ne fait plus d’Araminte la victime des agissements de Dubois mais un personnage responsable de ses choix de vie.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

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Une mise en scène ramenée à l’essentiel

Pour servir cette mise à nu des enjeux de la pièce qui se concentrent sur les échanges entre les personnages, il fallait que le regard du spectateur ne soit pas distrait. Le décor, dans des teintes sourdes, s’efface dans un certain classicisme d’où émergent les artifices nécessaires au jeu : les fenêtres d’où l’on épie, les portes et passages qui relient l’intérieur au jardin où l’on se dissimule, en réservant les entrées du Comte et de Madame Argante toujours du même côté de la scène, à jardin, l’espace central qui se transformera au fil du déroulement en salon d’Araminte, en office où soliloque Dubois ou en cabinet de travail pour Dorante. L’éclairage, qui passe de la matinée à la nuit dans la trouée qui conduit au jardin, suggère que toute l’action se concentre en une seule journée – bien riche en péripéties…

Phot. © Jean-Louis Fernandez

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Un accent mis sur le jeu des actrices et des acteurs

Toutes ces notations délicates, plus suggérées qu’omniprésentes, concourent à donner aux personnages une place prépondérante. Le jeu des actrices et des acteurs, ici fondamental, ne disparaît pas dans l’évocation du milieu dans lequel ils évoluent. Il est époustouflant de précision. Dominique Valadié, en mère coincée dans ses préjugés, impérieuse et tyrannique, est plus vraie que nature. Georgia Scallet, en jolie veuve élégamment habillée en robe longue, joue admirablement la femme qui s’émancipe, soucieuse d’authenticité, d’équité et de justice sociale, préfigurant l’esprit des Lumières. Pierre-François Garel, en Dorante, fait échapper son rôle au poncif de séducteur et Gilles Privat, en Dubois, se déplace en propriétaire dans le décor. Mais les autres rôles ne sont pas davantage laissés de côté et témoignent de la même attention portée à dessiner le personnage, dans ses travers ou ses qualités.

Pour compléter le tableau – et ajouter aux deux peintures qui jouent un rôle dans la pièce – force est de dire qu’on s’amuse beaucoup de cette comédie aussi sérieuse que divertissante. Sans tous les accessoires contemporanéistes qui envahissent aujourd’hui, à bon ou à moins bon escient, les scènes d’aujourd’hui, les Fausses confidences version Françon nous offrent un magnifique moment de théâtre. Un pur bonheur dont on ne saurait se priver.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

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Les Fausses confidences de Marivaux
S Mise en scène Alain Françon S Assistanat à la mise en scène Marion Lévêque S Avec Pierre-François Garel (Dorante), Guillaume Lévêque (Monsieur Rémy), Gilles Privat (Dubois), Yasmina Rémil (Marton), Séraphin Rousseau (Lubin), Alexandre Ruby (Le Comte), Georgia Scalliet (Araminte), Maxime Terlin (Un garçon joailler), Dominique Valadié (Madame Argante) S Décor Jacques Gabel S Lumières Joël Hourbeigt, Thomas Marchalot S Musique Marie-Jeanne Séréro S Costumes Pétronille Salomé S Coiffures maquillage Judith Scotto S Conseil chorégraphique Caroline Marcadé S Régisseur général Joseph Rolandez S Habilleuse, coiffeuse Charlotte Le Gal S Régie lumière Marchalot S Production, administration Anne Cotterlaz S Attachée de production Anne-Lise Roustan S Création 2024 S Production Théâtre des nuages de neige S Coproduction Théâtre de Carouge, Les Célestins, Théâtre de Lyon, Théâtre Montansier Versailles S Avec le soutien du dispositif d’insertion professionnelle de l’ENSATT S Le Théâtre des nuages de neige est soutenu par la Direction Générale de la Création Artistique du ministère de la Culture S Durée estimée du spectacle 1h50

Du 23 novembre au 21 décembre. Mer.-ven. à 20h, sam. à 18h, dim. à 15h - mardi 17 déc. à 20h
Théâtre Nanterre-Amandiers – 7, avenue Pablo Picasso, 92000 Nanterre

https://nanterre-amandiers.com

TOURNÉE
24 septembre - 19 octobre 2024 Théâtre de Carouge, Suisse
30 - 31 octobre 2024 Théâtre Équilibre-Njithonie, Fribourg
6 - 17 novembre 2024 Théâtre Célestins, Lyon
23 novembre - 21 décembre 2024 Théâtre Nanterre-Amandiers
8 - 10 janvier 2025 Théâtre de l’Empreinte, Brives
15 - 16 janvier 2025 Scène Nationale Albi
22 - 26 janvier 2025 Théâtre Montansier, Versailles
30 - 31 janvier 2025 Opéra de Massy
12 - 13 février 2025 Théâtre Saint Louis, Pau
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4 - 6 mars 2025  Le Quai d’Angers - CDN
18 - 21 mars 2025 Théâtre Jeu de Paume - Aix en Provence
25 - 29 mars 2025 Théâtre municipal - Caen
2 - 5 avril 2025 Scène Nationale d’Annecy
8 - 11 avril 2025 CDN de Saint-Étienne

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