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Arts-chipels.fr

La Vegetariana Une montée de sève.

La Vegetariana Une montée de sève.

Daria Deflorian porte à la scène l’étrange roman de la Coréenne Han Kang: un quatuor d’acteurs italiens pour raconter une femme au devenir végétal.

Joué en italien surtitré, au théâtre de l’Odéon, Ateliers Berthier, du 8 au 16 novembre, le spectacle part ensuite en tournée.

Un récit érotico fantastique à trois voix

Han Kang doit son rayonnement international à La Végétarienne, publié en 2007 et couronné du Booker Prize. Elle vient de recevoir le Prix Nobel de littérature. Née en 1970, elle s’inscrit au rang des artistes qui, comme le cinéaste Bong Joon-ho, avec Snowpiercer et Parasite, ou les auteurs Hwang Sok-yong et Ko Un, s’en prennent à l’hypocrisie de la société sud-coréenne. En France, elle reçoit le Prix Médicis étranger en 2023 pour Impossibles Adieux, qui évoque le massacre de Jeju en 1948. La Végétarienne raconte comment, lorsque l’un de ses membres défie la convention sociale, la cellule familiale vole en éclats.

Le roman se décline en trois récits, pris en charge successivement par le mari, le beau-frère et la sœur aînée de l’héroïne. Selon son conjoint (Gabriele Portoghese), Yŏnghye était, quand il l’a épousée, la banalité même, une femme sans histoire telle qu’il en recherchait une. Jusqu’au jour où, à la suite d’un rêve sanguinolent, elle refuse toute nourriture carnée. Rien d’exceptionnel en cela, mais son entourage ne comprend pas pourquoi : ce n’est ni par conviction écologique, ni par revendication politique du bien-être animal. Quelque chose de plus profond la taraude, au point qu’elle n’en dort plus, garde le silence, maigrit à vue d’œil et va jusqu’à ne plus s’alimenter.

La crise se déclenche et les choses s’enveniment lors d’une fête de famille où le père introduit de force de la viande dans la bouche de la végétarienne. Remontent en elle des traumatismes d’enfance qui l’entraînent vers l’automutilation et la folie... Une dérive qui attise les fantasmes érotiques du beau-frère, artiste vidéaste en panne d'inspiration. Quant à la sœur aînée, la seule à avoir les pieds sur terre dans cette famille désorientée, elle accompagnera sa cadette jusqu’au bout du rouleau.

Daria Deflorian, Gabriele Portoghese, Monica Piseddu. Phot. © Andrea Pizzalis

Daria Deflorian, Gabriele Portoghese, Monica Piseddu. Phot. © Andrea Pizzalis

Un espace scénique à tout faire

L’adaptation emprunte au cinéma un découpage par séquences et mêle à ce récit à trois voix la présence fantomatique d’Yŏnghye, qui hante chacun des narrateurs. Le décor se résume à un appartement vide des plus banals et des portes ouvertes sur des pièces invisibles. Des indications inscrites sur la façade situent les différents lieux et heures : « Maison du couple intérieur nuit », « Maison de la sœur intérieur jour », « jardin de l’hôpital psychiatrique », « studio d’Yŏnghye intérieur nuit », etc. Dans cet espace zen, champ ouvert aux errances de l’héroïne, chaque spectateur a tout loisir d’imaginer salles à manger, cuisines, chambres des différents personnages et de projeter dans ces divers endroits et aux divers moments de l’histoire, sa propre interprétation de la troublante transformation d’un être de chair et de sang en végétal.

Daria Deflorian, Monica Piseddu. Phot. © Andrea Pizzalis

Daria Deflorian, Monica Piseddu. Phot. © Andrea Pizzalis

Métamorphose

Ce rejet de la viande, accompagné de rêves de meurtre et de dévoration carnassière, est le point de départ d’une transformation physique et psychique racontée par le beau-frère. Dans le rôle d’Yŏnghye, Monica Piseddu, déjà très mince, réussit à paraître de plus en plus décharnée, grâce à ses postures et d’astucieux artifices de costume. Aussi évanescente habillée que nue, quand elle pose avec pudeur devant le vidéaste raté que joue Paolo Musio. Obsédé par le nouveau corps de sa belle-sœur dont une tache mongoloïde au bas du dos qu’elle a gardée depuis sa naissance, il peint sur son corps « des fleurs vermeilles au gros pistil jaune », des « fleurs nocturnes ». Ce délire érotique à deux conforte les fantasmes de la jeune femme et la précipite définitivement dans la folie, sous les yeux de sa sœur aînée, qui prend en charge le dernier récit.

Monica Piseddu. Phot. © Andrea Pizzalis

Monica Piseddu. Phot. © Andrea Pizzalis

Passion et compassion

«  Est-ce si terrible de mourir ? », dit Yŏnghye qui ira jusqu’au rejet de son corps de chair et de sang pour devenir arbre, dans une sorte d’ascèse lumineuse. À cette passion au sens christique répond la compassion de la sœur, rôle tenu par Daria Deflorian. Elle nous transmet, par son jeu et son adaptation, le trouble qu’elle a éprouvé à la lecture du roman : « Le fait qu’Yŏnghye devienne une plante ne peut (heureusement) pas être défini. Acte de résistance ? Refus de se conformer ? Inversion ou retour à l’état naturel ? » La mise en scène ne fait pas dans l’étude de cas psychiatrique et ne tente pas d’expliquer cette perte du « moi », à la fois désirable et morbide. Elle laisse ces questions ouvertes à l’interprétation de chacun. Une belle découverte, servie avec légèreté.

Actrice, Daria Deflorian travaille en Italie et en Europe. En France, on l’a vue dans Les Géants de la montagne (2015) mis en scène par Stéphane Braunschweig, qui l’a aussi dirigée, en 2024, dans La vita che ti diedi de Pirandello au Teatro Stabile de Turin. Elle signe, depuis 2001, ses propres spectacles. Après Elogio della vita a rovescio (2023), La Vegetariana est le deuxième volet d’un projet autour d’Han Kang.

Daria Deflorian, Paolo Musio. Phot. © Andrea Pizzalis

Daria Deflorian, Paolo Musio. Phot. © Andrea Pizzalis

La Vegetariana, d’après le roman La Végétarienne d’Han Kang (traduit du coréen par Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot, Le Livre de Poche, 2016)
S Mise en scène Daria Deflorian Adaptation Daria Deflorian, Francesca Marciano S Cocréation et interprétation : la sœur Daria Deflorian le beau-frère Paolo Musio Yŏnghye Monica Piseddu le mari Gabriele Portoghese S Adaptation Daria Deflorian, Francesca Marciano S Espace Daniele Spanò S Lumière Giulia Pastore S Son Emanuele Pontecorvo S Costumes Metella Raboni S Collaboration artistique à la réalisation de la scénographie Lisetta Buccellato S Collaboration au projet Attilio Scarpellini S Créé le 25 octobre 2024 au Teatro Arena del Sole, Emilia Romagna Teatro ERT Bologne (Italie) S Production Index S Coproduction Emilia Romagna Teatro ERT – teatro nazionale, La Fabbrica dell’Attore – Teatro Vascello avec le Romaeuropa Festival, TPE Teatro Piemonte Europa, Triennale de Milan, Odéon-Théâtre de l’Europe, Festival d’Automne à Paris, Théâtre Garonne – scène européenne à Toulouse S Avec la collaboration de ATCL / Spazio Rossellini, Istituto Culturale Coreano – Italie S Avec le soutien du MiC – ministero della cultura (Italie) S Coréalisation Festival d’Automne à Paris S Durée 1h50 S En italien, surtitré en français

Du 8 au 16 novembre 2024, mar.-sam. à 20h, dim. & 16/11 à 15h
Théâtre de l’Odéon-Berthier – 1, rue André Suarès, 75017 Paris – theatre-odeon.eu

TOURNÉE
20 au 22 novembre 2024 – Théâtre  Olympia, centre dramatique national, Tours
27 au 29 novembre – Triennale Milano (Italie)
21 au 24 janvier 2025 – Théâtre Garonne, scène européenne, Toulouse
28 janvier au 2 février – Teatro Astra, TPE, Turin (Italie)
5 et 6 février – Théâtre Charles Dullin, Chambéry
10 au 12 février – Théâtre la Vignette, Montpellier

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