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Arts-chipels.fr

La Marche du chien noir. Passants qui marchez sans me voir et que je regarde…

Pochette du CD et du vinyle. Phot. © Yves Poey

Pochette du CD et du vinyle. Phot. © Yves Poey

Ce ciné-concert, créé en hommage à Erik Satie dont 2025 marquera le centenaire de la mort, est bien plus qu’un concert ponctué d’images. Voyage musical et graphique passionnant en même temps que création originale, il est un régal pour les yeux comme pour les oreilles.

C’est devant un écran vide que sonnent, non les trois coups qui marquent le début d’un spectacle de théâtre, mais les deux entrées massives, tonitruantes de l’orchestre, aussitôt relayées par une musique qui naît et se forme à mesure que l’image se dessine : celle d’un homme qui s’éveille d’un cauchemar dans sa chambrette. Un dessin animé en noir et blanc, en ombres et lumières, dans lequel le tracé tantôt se remplit et tantôt se vide, créant un univers onirique dans lequel rien n’est jamais fixe mais toujours en mouvement, dans lequel tout se métamorphose en permanence.

On reconnaît bientôt dans le dormeur la silhouette très identifiable d’Erik Satie avec sa barbe en pointe, ses lunettes et son chapeau melon. On le verra descendre les escaliers de Montmartre, piéton de Paris déambulant dans les rues de Pigalle, passant devant Saint-Eustache avant d’atteindre la place du Châtelet et, face à elle, la Conciergerie. La ville est là, dans sa cacophonie de bruits quotidiens que la musique transpose, et avec tous ces passants pressés qui regardent passer cette ombre silencieuse qui semble plongée dans une rêverie qui l’entraîne loin, dans un monde où la théorie des véhicules qui se suivent et se croisent deviennent lignes qui s’allongent et estompent les formes, faisceaux de traits qui dessinent comme des portées de partitions qui se composent en faisceaux et se décomposent, se déforment et s’évadent dans l’espace en suivant les méandres de l’imagination du musicien.

Le Red Star Orchestra en spectacle avec la projection. Phot. © Yves Poey

Le Red Star Orchestra en spectacle avec la projection. Phot. © Yves Poey

Un projet longuement mûri

Pour Johane Myran, concepteur du projet et chef d’orchestre du Red Star Orchestra, un big band de dix-huit musiciens créé en 2009 avec la volonté de faire revivre les grandes partitions d’orchestre de jazz avant de s’orienter vers la création, Satie n’est pas qu’un anniversaire. C’est d’abord un compositeur qu’il a découvert à l’adolescence avec le jazz – il s’est d’abord formé à la clarinette puis au saxophone ténor et à l’écriture classique avant de passer au CNSM dans la classe de François Jeanneau et d’acquérir une compétence de soliste et d’arrangeur. Revenir à Satie et à ce qu’il lui inspire s’imposait donc pour lui dans son parcours.

Un lent mûrissement – six années – est nécessaire avant que le ciné-concert ne prenne forme, avec ses deux années d’élaboration concrète qui aboutissent aujourd’hui à la production d’un disque vinyle et d’un CD qui intègre un QR code permettant d’accéder aux images produites pour le ciné-concert.

Le Red Star Orchestra en spectacle. Au premier plan, le chef et sax ténor Johane Myran. Phot. © Yves Poey

Le Red Star Orchestra en spectacle. Au premier plan, le chef et sax ténor Johane Myran. Phot. © Yves Poey

Une formation musicale enrichie

S’appuyer sur une formation instrumentale très éloignée de celle de Satie – la prédominance des cuivres étant la caractéristique du Red Star Orchestra –, c’était, pour Johane Myran, aussi rendre hommage à l’esprit contestataire du compositeur. Satie composa pour le piano seul, à contrecourant de son temps qui préférait les compositions multi-instrumentales. Composer en hommage à Satie avec un orchestre, et plus encore de cuivres, revenait, d’une certaine manière, à retrouver l’esprit frondeur du compositeur. Mais il fallait que Satie restât présent. Arnaud Roulin, pianiste et compositeur passé par le rock et les musiques électroniques, fit donc partie de l’aventure, avec Blaise Chevallier, un contrebassiste classique passé au jazz, Edward Perraud, percussionniste épris d’une manière de faire résonner la musique autrement en puisant dans toutes les traditions musicales, classique, contemporaine, jazz, extra-européennes et Giani Caserotto, guitariste et improvisateur qui aime à mêler musiques savantes et populaires. Des curieux d’expérimentations qui ne pouvaient que se prêter à l’exercice.

Le Red Star Orchestra en spectacle avec la projection. Phot. © Yves Poey

Le Red Star Orchestra en spectacle avec la projection. Phot. © Yves Poey

Une animation réglée en osmose avec la musique

Grégory Thomas, un infographiste spécialisé en modeling 3D, prendra en charge la partie animation et graphisme, qui associe les outils digitaux (animation, pixel art, représentation en trois dimensions) et les arts traditionnels – ici le dessin. Il fera cohabiter dessins constitués et en train de se construire, visualisés à l’écran, mouvements de caméra à partir des dessins, banc-titrage, effets de zoom, rotations, superpositions d’images, effets d’accumulation ou d’estompe. La naissance progressive des images suggèrera la mise à l’écart du réalisme. Si les paysages, les monuments, les véhicules sont reconnaissables, ils ne sont que création, impressions emmagasinées au fil de son parcours par le personnage du compositeur. Elles se défont et se transforment, devenues projections mentales telle l’indifférence des passants à l’égard du compositeur qui se mue, dans son esprit, en hostilité alors même que, fragilisé – est-ce le dénuement dans lequel il survit ou les effets de la consommation d’absinthe, qui finira par le tuer, qui sont en cause ? –, le personnage s’effondre dans la rue.

Dessin Grégory Thomas © DR

Dessin Grégory Thomas © DR

Une certaine approche du personnage d’Erik Satie

« Hommage », et non biographie, c’est un parcours sensible que propose Johane Myran. Il y aura donc infidélité au sens où traduction et inspiration peuvent l’être. L’image que retient Johane Myran du personnage de Satie écartera donc la partie très « folklorique » du personnage avec son goût de la provocation – très présent dans le titre de certaines de ses œuvres qui se nomment Trois morceaux en forme de poire, Préludes flasques ou Embryons desséchés quand ils ne sont pas Vieux sequins et Vieilles cuirasses.

Il explorera quelques attitudes et comportements typiques du compositeur. Celle du marcheur, qui arpente chaque jour les rues de Paris en composant dans sa tête sa musique à partir du spectacle qu’elles lui inspirent. Celle, transposée, de l’individu bourré de contradictions qui, d’une part, s’intéresse à la Rose-Croix, crée une « Église métropolitaine d’art de Jésus-Conducteur » avant de finir sa vie en s’affirmant catholique d’un côté, et de l’autre, celui qui devient socialiste, adhère à la SFIO puis fréquente les dadaïstes et fabrique des ready-made avec Marcel Duchamp. Dans le film, dans un raccourci saisissant, une séquence montre le personnage passant sous la silhouette massive de Saint-Eustache. La cathédrale darde ses feux sur le compositeur qui finit par s’en effrayer et par fuir l’ombre que celle-ci projette sur lui. Il y a enfin l’évocation du seul amour connu d’Erik Satie, l’artiste-peintre Suzanne Valadon. Une liaison qui durera seulement cinq mois, symbolisée par une valse qui entraîne les deux personnages dans une rotation incessante en les rapetissant jusqu’à les faire disparaître et en rendant le musicien à sa solitude.

Dessin Grégory Thomas © DR

Dessin Grégory Thomas © DR

Un parti pris musical et graphique

Dans cet ensemble sans cesse en mouvement, l’essentiel de la musique reste écrit, alternant moments forts orchestraux et accalmies, dialogues parfois entre quelques instruments. Musique dérivée, inspirée de Satie, et compositions originales se côtoient. Reprises sur le mode jazzique, des pièces de Satie telles que les Gymnopédies, les Gnossiennes ou Vexations, née de sa rupture avec Suzanne Valadon, apparaissant dans un désordre chronologique assumé, dialoguent et alternent avec des compositions de Johane Myran ponctuant le parcours de Satie : Montmartre, Châtelet et Arcueil. La diversité musicale est au rendez-vous, poussant le jazz tantôt vers le free tantôt vers un style qui se rapprocherait de l’univers de la comédie musicale, alternant moments sombres et légèreté, univers sonore de petits pas pressés et drame qui guette aux portes. L’improvisation conserve une part, quoique limitée, dans ce déroulé qui mêle musique et images. Une pédale permet au chef d'orchestre et compositeur, pour lui faire place, de suspendre le défilement de la vidéo pour laisser place aux improvisations dont l’obligation est de rester dans le thème abordé par la séquence.

On se laisse prendre dans ce jeu de métamorphoses qui nous projette en terre inconnue, ballottés, comme le personnage, au gré d’un vent qui nous emporte. Nous le voyons solitaire, écrasé sur l’écran qui le regarde de haut, plaqué jusqu’à devenir tête d’épingle, insecte dérisoire sur l’immensité de la toile, en proie à l’envahissement de ce monde extérieur où il n’a pas sa place. Et les adultes ne sont pas les seuls à être saisis, emportés. Dans la grande salle de la Maison de la Culture d’Amiens, les enfants, venus en masse sont restés suspendus. Dans cette plongée grand format, inédite, l’originalité, l’inventivité aussi bien musicale que plastique se sont imposées. Et le plaisir est là.

Dessin Grégory Thomas © DR

Dessin Grégory Thomas © DR

La Marche du chien noir – Hommage à Satie.
S Direction et écriture Johane Myran S Compositions Erik Satie Gymnopédie 1 & 3, Ogives 1 & 4, Vexations, Je te veux, Les quatre coins, Le réveil de la mariée, Le tango perpétuel, Gnossienne 3 ; Johane Myran Montmartre, Châtelet, Arcueil S Solos Mathieu Tarot (Vexations), Esaïe Cid (Je te veux), Fanny Meteier (Les quatre coins), Fanny Ménégoz et Xavier Bornens (Arcueil) S Solistes Johane Myran (sax ténor), Arnaud Roulin (piano, synthés analogiques), Gianni Caserotto (guitare), Blaise Chevallier (contrebasse), Edward Perraud (batterie) S Red Star Orchestra Fanny Ménégoz (piccolo/ flûte 1), Julien Raffin (flûte 2), Vincent Boisseau (clarinette), Esaïe Cid (sax alto), Jean-Hervé Michel (clarinette basse), Sylvain Fétis (sax baryton), Alexis Bourguignon (trompette 1), Mathieu Tarot (trompette 2), Xavier Bornens (trompette 3), François Bonhomme (cor), Bertrand Luzignant (trombone 1), Thomas Henning (trombone 2), Stéphane Montigny (trombone basse), Fanny Meteier (tuba) S Dessin et animation 3D Grégory Thomas S Production Label Bleu – Benoît Delaquaize S Diffusion / Booking IN VIVO AGENCY Boris Jourdain S Deux formes de spectacles sont possibles : une longue (tout public), reprenant le contenu du CD ; une plus courte (jeunesse), réduite au contenu du vinyle.

Maison de la culture d’Amiens – 2, place Léon Gontier, 80000 Amiens
www.maisondelaculture-amiens.com
Autre concert, le 30 novembre 2024, au 360 – 32, rue Myrha, 75018 Paris
https://le360paris.com

CD et vinyle Label bleu www.label-bleu.com

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