24 Novembre 2024
La scène est une sorte de kiosque à musique éclairé par des ampoules de couleur. Des chaises très banales en plastique sont éparpillées ça et là. On est dans une sorte de pénombre, comme une ambiance de coucher de soleil de fin d’été, quelque part, ailleurs, nulle part ou partout. Cela pourrait être une milonga mais aussi un coin perdu sous les tropiques ou bien près de chez nous dans une cité de banlieue. Quelques reflets de lumières au sol égayent et dynamisent l’atmosphère. Et on voit apparaître une troupe de vieillards, hommes et femmes qui se meuvent un peu difficilement. La magie opère lorsqu’ils et elles se mettent à danser. C’est comme si la musique les transcendait, comme si elle opérait une métamorphose, sorte de résurrection de leur jeune âge qui ne s’effectuerait seulement que lorsqu’ils et elles dansent.
Les danseurs et danseuses sont tous et toutes transformés par de faux corps. Ainsi, ils et elles ont des ventres et des fesses proéminents, des seins qui tombent, ce sont des contraintes physiques qui agissent obligatoirement sur leurs mouvements. Les gestes sont exagérés et les personnalités marquées proposant comme l’exprime Mourad Merzouki « un regard nouveau et décalé sur la performance chorégraphique ». C’est un vrai challenge pour les interprètes que de danser avec ces costumes qui changent complètement leur perception des équilibres et des énergies. Ils dansent cependant comme si de rien n’était, aussi souple que d’habitude, aussi performant que sans ces artifices ajoutés sensés représentés le poids des années.
Un regard tendre sur la différence et l’imperfection.
Mourad Merzouki dit que ce qui l’intéressait était de porter un nouveau regard sur les corps vieillissants avec tendresse et indulgence. Faire en sorte de changer le regard sur le corps, mais aussi sur l’autre qui peut être complètement différent. Regarder l’imperfection autrement que comme un problème est presque un acte militant dans notre monde idéalisé par les réseaux sociaux. Le diktat du beau, du lisse, du bien sous tous rapports est remis en question ici par cette truculence des corps qui débordent jusqu’à l’excès et presque la caricature. On regarde des ventres qui ballonnent et se balancent en rythme. On suit les mouvements d’une énorme paire de fesses qui tremblotent. C’est assez étrange, complètement décalé et cependant jamais sordide bien que pour moi un peu trop caricatural. Je comprends le propos. Exagérer pour mieux raconter. Les corps ici font appel plus à de la caricature et du burlesque que de la représentation. On s’amuse et le public d’ailleurs en redemande.
Le parti pris de Mourad Merzouki était de grimer des jeunes en vieux pour parler de la vieillesse. Est-ce parce que le hip hop est tellement physique qu’il est définitivement impossible de danser pour des plus de 60 ans ?
On ne peut que penser à la chorégraphie « Over Danse » d’Angelin Preljocaj qu’il avait composé avec des interprètes de plus de 60 ans. Ce sont deux approches différentes, deux philosophies différentes. L’un part des corps et de leurs possibilités pour en faire un spectacle sur le même propos, le regard que l’on porte sur le corps vieillissant et les possibilités qu’il offre aux danseurs et aux chorégraphes avec beaucoup de délicatesse et de tendresse. Et l’autre, part de la danse en imaginant les corps vieillissants qui sont un peu comme des accessoires, comme une posture chorégraphique, une illustration à une interrogation qui est parfaitement légitime car le hip hop est une danse très physique mais du coup je m’interroge… Et la question reste posée : comment danser avec son corps qui vieillit quand on est un danseur ou une danseuse de hip hop ? Et d’une manière plus générale comment accepter de vieillir et de sentir son corps se transformer ?
L’ambiance musicale incomparable participe également à la réussite de ce spectacle.
La musique de Gotan Project a été remaniée pour la circonstance et nous offre des ambiances electro / tango magnifique qui nous fait entrer pleinement dans cette milonga hip hop. Ce projet est naît de la rencontre de Eduardo Makaroff et Christoph H. Müller, côté Gotan Projet et de Mourad Merzouki. Ils ont décidé de monter un spectacle symbolisant la générosité et le métissage des genres, principes qui animent profondément ces artistes. Et ainsi ils nous offrent cette atmosphère festive et généreuse, cette ambiance de guinguette électro-tango magnifique, univers musical de Gotan Project qui donne à la chorégraphie une dimension intemporelle et inénarrable.
Mourad Merzouki est un danseur et chorégraphe français de danse hip-hop et contemporaine. Figure du mouvement hip-hop depuis le début des années 1990, il inscrit son travail autour de multiples disciplines, danse hip-hop, cirque, arts martiaux, mais aussi arts plastiques, vidéo et musique live. Ses treize années passées au CCN de Créteil et du Val-de-Marne ont construit une complicité particulière avec le public francilien et offrant une nouvelle visibilité aux compagnies de danse hip-hop au travers du festival de danse Kalypso.
Mourad Merzouki commence par étudier à l'école de cirque et par pratiquer les arts martiaux avant de s'intéresser au hip-hop à la fin des années 1980. Il réalise alors des stages de danse, notamment auprès de Maryse Delente, Jean-François Duroure, et Josef Nadj. Il crée la troupe Accrorap en 1989 avec Kader Attou, Éric Mezzino et Chaouki Saïd. Puis il fonde en 1996 sa propre compagnie intitulée Käfig, signifiant « la cage » en arabe et en allemand, afin de développer son propre univers artistique. Il a donc développé une trentaine de pièces avec cette compagnie.
IL dirige le Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne de 2009 à 2022, où il a développé un projet artistique tout à la fois ouvert sur le monde et ancré sur le territoire. Il a créé des ponts avec le projet mené à Pôle en Scènes à Bron, dont il est conseiller artistique depuis 2016. Sur ces territoires, il pilote deux festivals jumeaux, Karavel et Kalypso.
Festival de danse Kalypso
Créé en 2013 à Créteil sous l’impulsion du chorégraphe Mourad Merzouki, le festival Kalypso se déploie chaque automne dans toute l’Île-de-France pour présenter le meilleur de la création en danse hip-hop. Ainsi, les compagnies renommées côtoient celles en pleine ascension. Ainsi cette année du 16 novembre au 20 décembre 2024 16 compagnies se produiront dans 20 lieux pour 28 représentations. C’est la 12e édition qui marque un tournant avec l’arrivée du festival à Romainville en Seine-Saint-Denis, au sein de la Fondation Fiminco situé en plein cœur du nouveau Quartier culturel Fast. Ce nouvel ancrage ouvre des perspectives et tisse des liens entre les artistes et les habitants du département.
https://kalypso.karavelkalypso.com/le-festival/
Distribution
Direction artistique, chorégraphie : Mourad Merzouki, assisté par Kader Belmoktar
Création musicale : Müller & Makaroff (Gotan Project)
Interprètes : Rémi RMS Autechaud, Hugo Ciona, Sabri Mucho Colin, Mathilde Devoghel, Killian Drecq, Soufiane Faouzi Mrani, Nathalie Fauquette, Bastien Guyot, Pauline Journée, Laura Mello Rella, Mathis Kaddaoui, Vanessa Petit, Pauline Rousselet, Maxim Thach, Teddy Verardo
Slam : Fafapunk
Scénographie : Benjamin Lebreton
Lumières : Yoann Tivoli
Costumes : Pauline Zurini, assistée d’Anaëlle Leplus, Claire Schirck, Anne Richert
Faux corps : Cécilia Delestre, assistée de Marion Duvinage, Roxane Marquant, Charlotte Le Gal, Jeanne Coulard, Joséphine Pagart, Julie Larignon
Perruques et maquillages : Catherine Saint-Sever
Coproduction : Les Nuits de Fourvière - Festival international de la Métropole de Lyon, Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne / Cie Käfig, Scène de Bayssan - Domaine Départemental de l’Hérault (Béziers), Sport dans la Ville
Avec le soutien de Pôle en Scènes (Bron), Théâtre Théo Argence (Saint-Priest). Spectacle labellisé Olympiade Culturelle par le comité national des Jeux Olympiques Paris 2024.
Crédit photo © Benoite Fanton
Tournée :
- le 9 novembre 2024 Maison de la Culture, Festival Trans’Urbaines, Clermont - Ferrand
- du 20 au 22 novembre 2024 à la Maison des Arts de Créteil
- le 18 mars 2025 au Théâtre Edwige Feullière, Vesoul