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Arts-chipels.fr

Sur l’autre rive. La folle soirée d’un monde qui meurt.

Sur l’autre rive. La folle soirée d’un monde qui meurt.

Le spectacle de Cyril Teste, qui fait pendant à un film et en constitue un autre reflet, offre un stimulant voyage dans l’univers de la relecture d’un monde moribond. De Tchekhov mais pas seulement.

C’est un système d’emboîtements qui préside à la création de Sur l’autre rive. Des inclusions successives dans lesquelles déterminer quel niveau s’emboîte dans l’autre est malaisé tant la circulation se fait dans tous les sens. Ce qui est sûr, c’est qu’à la table du banquet que les serveurs installent au début du spectacle, les invités viennent d’endroits différents, et qu’ils ont traversé des temporalités multiples. Parce que Sur l’autre Rive est une réinterprétation, un succédané de Platonov de Tchekhov. Qu’il fait écho à la Mouette dont Cyril Teste s’est emparé précédemment. Que l’adaptation qu’il fait de Platonov, pièce de jeunesse de l’auteur russe, croise, comme dans la Mouette, le théâtre et le cinéma. Que la pièce se situe de l’autre côté du lac au bord duquel se déroulait la Mouette, mettant en place comme une symétrie. Que dans Sur l’autre rive, comme dans la Mouette, on n’embrasse que le vide.

Sur l’autre rive. La folle soirée d’un monde qui meurt.

De Sans Père à Platonov

Écrite par Tchekhov en 1878, Platonov est l’œuvre d’un jeune homme de dix-huit ans qui évoque l’histoire d’un éternel adolescent qu’on pourrait qualifier d’enfant du siècle à la Musset. Un enfant séduisant, séducteur, sauf qu’il a vieilli et n’est plus un enfant, adulé par les femmes, à la recherche d’un bonheur qu’il s’échine à faire reculer dès qu’il passe à sa portée. Il est l’enfant perdu, « Sans Père » comme le titre que porte la pièce à l’origine, référence sans doute aux relations de Tchekhov avec son géniteur. Il traîne un mal de vivre sans solution et un échec irrémédiable – pour brillant qu’il soit, il est resté instituteur et n’a jamais tenté de quitter sa province – en semant le désordre et la perturbation. À cet anti-héros qui occupe le centre de la pièce, la maîtresse de maison, Anna, autour de laquelle tournent les hommes, donne la réplique. Elle sait que sait que pour elle tout est fini et fait un dernier tour de piste, plein de panache, avant de disparaître.

Phot. © Simon Gosselin

Phot. © Simon Gosselin

Un monde qui sombre « sur l’autre rive »

La société dans laquelle ils évoluent ne va pas mieux. Les convives à la fête offerte par la maîtresse de maison se perdent en banalités derrière lesquelles se cache un effondrement des valeurs qui sape le système social. L’ancienne noblesse terrienne, éprise de luxe, endettée, cède la place à l’arrivisme d’une nouvelle classe avide de la remplacer et d’en copier le faste. Si elle déploie tout son clinquant, c’est dans un ultime feu d’artifice – une fortune partie en fumée –, comme celui que Cyril Teste nous fait miroiter dans les yeux des protagonistes, alignés en rang d’oignon face aux spectateurs. Une réalité factice, une illusion, le souvenir fantasmé de ce qui n’est déjà plus, autour duquel grouillent les profiteurs en tout genre : banquiers impatients de récupérer leurs avoirs, spéculateurs enrichis qui guignent ces lieux qu’ils n’occupaient qu’en tant que domestiques et petits malfrats.

Phot. © Simon Gosselin

Phot. © Simon Gosselin

Un lieu indistinct pour une fête grandiose

Cyril Teste dessine sur le plateau un lieu à peupler par l’imaginaire. Un no man’s land où chacun peut inscrire son propre décor, sa propre temporalité. Un monde où l’on cultive le paraître face à sa table de maquillage, où les tables, très longues, disent la grandeur, l’opulence, où le luxe de la fête réside dans la dimension de l’espace et dans le nombre d’invités qui viennent remplir l’immensité du plateau. Car ce ne sont pas seulement des actrices et des acteurs qui peuplent les planches. Les invités sont aussi recrutés parmi les spectateurs, conviés à cette cérémonie de la fin d’un monde. Foule lentement agitée de mouvements erratiques, ils emplissent la pièce – qui est aussi bien celle du théâtre que le lieu de la réception – d’un vide « théâtral » qui rejoint la banalité des propos qu’échangent comédiennes et comédiens. Ce qui se passe vraiment se situe à l’écart, dans les monologues, les apartés ou les échanges qui s’effectuent dans les recoins où la caméra les capte et les rend manifestes sur grand écran, introduisant une dialectique du plein et du vide, du collectif et de l’individuel, dans une réversibilité des rôles.

Phot. © Simon Gosselin

Phot. © Simon Gosselin

Filmer le théâtre ou théâtraliser le film

Cyril Teste complique encore le jeu en choisissant de faire de l’un des personnages, Serge, l’ami de Micha-Platonov, un des porteurs de caméra. Voyeur de cette société de marionnettes dont il fait partie et où il chancelle, comme les autres – il vient d’épouser une femme que Micha détachera de lui avant de l’abandonner – il est regard de l’intérieur et en même temps miroir tantôt complaisant et tantôt cruel jeté sur l’assemblée. Un dedans-dehors auquel vient s’adjoindre un autre cadreur qui porte le regard du metteur en scène-réalisateur choisissant tel ou tel focus sur un personnage ou un dialogue, saisissant une expression fugace du visage, un mouvement dissimulé qui vient contredire ce qui est dit par les mots.

C’est dans ce jeu que se construit la mise en scène, multipliant les plans, les angles du regard, épinglant les personnages dans un tableau d’ensemble où les déplacements des convives-spectateurs modifient aussi les « figures imposées » qui composent la pièce. Lorsque la fête s’épuise et que tombent les masques dans ce voyage au bout de la nuit et de l’ennui du paraître, les spectateurs-figurants auront regagné leurs gradins pour ne laisser subsister que l’os, ces personnages confrontés à leur propre impuissance dans un monde qui les reflète et dont ils sont le reflet.

Phot. © Les Films du Poisson et arte

Phot. © Les Films du Poisson et arte

Un diptyque théâtre-cinéma

Parallèlement à l’élaboration du spectacle, Cyril Teste réalise un film où apparaissent les mêmes personnages. Les voici hébergés dans une villa patricienne où, entre jardin et maison, extérieur et intérieurs, le jeu de cache-cache, qui traque et révèle, se poursuit dans un décor naturel. Film et pièce de théâtre ont été conçus pour fonctionner ensemble en même temps qu’ils constituent des objets distincts, doués d’une vie propre, et l’accolade des deux induit un nouveau niveau de lecture né de la comparaison.

Il n’est pas sûr que la version filmique sorte victorieuse de cette confrontation. Car, si le film apporte un supplément d’âme à ces personnages en perdition et que la caméra fouille la profondeur de leurs émotions, la déconstruction de la scène qu’apporte la coexistence du théâtral et du filmique introduit un niveau de lecture supplémentaire dans cet univers où ce que l’on dit ne reflète pas la « réalité ». Mais qu’importe : chacun des deux objets, porté par une brochette de comédiennes et de comédiens talentueux qui s’emparent du texte de Tchekhov, parfois indifféremment du sexe que leur attribue l'auteur russe, vaut pour lui-même. Et au fil de cette pièce, déjà déplacée du contexte de la Russie tsariste à une époque plus contemporaine, on se prend à imaginer une autre version, plus trash peut-être, sur un air de no future. Ce que Tchekhov aurait peut-être écrit s’il avait vécu un siècle et demi plus tard…

Phot. © Simon Gosselin

Phot. © Simon Gosselin

Sur l’autre rive
S Mise en scène Cyril Teste S Traduction Olivier Cadiot S Adaptation Joanne Delachair, Cyril Teste S Avec Vincent Berger, Olivia Corsini, Florent Dupuis, Katia Ferreira, Adrien Guiraud, Emilie Incerti Formentini, Mathias Labelle, Robin Lhuillier, Lou Martin-Fernet, Charles Morillon, Marc Prin, Pierre Timaitre, Haini Wang S Collaboration artistique Marion Pellissier S Assistanat à la mise en scène Sylvère Santin S Stagiaires mise en scène Manon Garnier, Matthias Dian Siriczman S Dramaturgie Leila Adham S Scénographie Valérie Grall S Costumes Isabelle Deffin assistée de Noé Quilichini S Création lumière Julien Boizard S Création vidéo Mehdi Toutain-Lopez S Images originales Nicolas Doremus et Christophe Gaultier S Musique originale Nihil Bordures, Florent Dupuis et Haini Wang S Son Thibault Lamy S Stagiaire son Hortense Gavriloff S Direction technique Julien Boizard S Régie générale Simon André S Régie plateau Simon André, Marion Denier, Frédéric Plou, Flora Villalard S Régie son Nihil Bordures, Thibault Lamy S Régie lumière Julien Boizard, Nicolas Joubert S Régie vidéo et montage en direct Mehdi Toutain-Lopez, Baptiste Klein, Pierric Sud S Cadreurs-opérateurs Marine Cerles, Nicolas Doremus, Christophe Gaultier, Mathias Labelle S Administration, production et diffusion Anaïs Cartier, Florence Bourgeon, Aude Martino, Ludivine Rhein (création), Varvara Grosheva (tournée) S Le décor a été construit par Artom Atelier S Les images sont assemblées et diffusées avec le media serveur Smode S Production Collectif MxM S Coproduction Bonlieu, Scène nationale Annecy - Théâtre Nanterre-Amandiers, CDN - Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône - La Rose des Vents, Scène nationale de Lille Métropole Villeneuve d’Ascq - Théâtre Sénart, Scène nationale - Printemps des Comédiens Cité Européenne du théâtre, Domaine d’O Montpellier / PCM 2024 - Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche - Les Célestins, Théâtre de Lyon - Maison de la Culture d’Amiens, Pôle européen de création et de production - Théâtre du Rond-Point - Points Communs, Scène nationale de Cergy-Pontoise / Val d’Oise - Maison Jacques Copeau S Avec le soutien du Département de la Seine et Marne S Le Collectif MxM est soutenu par la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Île-de-France - Ministère de la Culture et la Région Île-de-France et membre du réseau Arviva - Arts vivants, Arts durables S Le Collectif MxM est artiste associé à La rose des vents, scène nationale de Lille Métropole Villeneuve d’Ascq et à la Maison Jacques Copeau S Cyril Teste est membre de l’Ensemble de la Comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche S Nihil Bordures est membre du vivier de l’Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône S Avec le soutien du Fonds de dotation Francis Kurkdjian et de Smode Tech S Remerciements Béatrice Picon-Vallin, Les Films du Poisson, Théo Costa-Marini, Servane Ducorps, Xavier Maly, Gérald Weingand S Durée 1h50

Sur l’autre rive est également un film réalisé par Cyril Teste et produit par Les Films du Poisson, qui sera diffusé sur Arte le 13 octobre 2024 et sur arte.tv dès le 6 octobre.

TOURNÉE
27 septembre-13 octobre 2024 Théâtre Nanterre-Amandiers, centre dramatique national (92)
17-18 octobre 2024 Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône (71)
8-16 novembre 2024 Théâtre du Rond-Point, Paris (75)
26 novembre 2024 Equinoxe, scène nationale de Châteauroux (36)
5-6 décembre 2024 Maison de la Culture d’Amiens, Pôle européen de création et de production (80)
11-13 décembre 2024 Les Quinconces, scène nationale du Mans (72)
18-19 décembre 2024 La Condition Publique, Roubaix, dans le cadre de la saison nomade de La Rose des vents, Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq (59)
15-17 janvier 2025 Théâtre des Louvrais, Points Communs, scène nationale de Cergy-Pontoise / Val d’Oise (95)
22-23 janvier 2025 Comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche (26)
30 janvier-8 février 2025 Les Célestins, Théâtre de Lyon (69)
18-19 mars 2025 Le Tandem, scène nationale, Douai (59)
26-28 mars 2025 Théâtre Sénart, scène nationale (77)

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