25 Octobre 2024
Lina Majdalanie et Rabih Mroue ont fait de l’emprunt au monde qui les entoure et au détournement une marque de fabrique. Ils s’attaquent ici à une révision libanaise d’Une journée particulière d’Ettore Scola…
L’argument – très mince – qui sert de point de départ est celui de la présentation à la censure libanaise d’un film inspiré d’une œuvre de 1938 qui raconte la rencontre, alors que défilent les fascistes et que la foule est assemblée dans les rues, entre un journaliste au chômage et une femme « ordinaire ». Sauf qu’il ne s’agit pas de l’Italie des années trente mais du Liban de 2007 où, à la suite d’un bombardement israélien, deux manifestations libanaises antagoniques, que la police doit veiller à canaliser, se déroulent en même temps. Pour ne pas être taxés d’esprit partisan et ne pas risquer l’interdiction, l’actrice qui présente sur scène son projet les a mis sur un plan d’égalité – deux images face à face – sur l’écran sur lequel défilent les images. Le duo Majdalanie-Mroue poursuit ainsi son travail de déconstruction et de mise à nu des travers de la société libanaise.
Les ressorts du photo-roman
Utilisant la trame – humoristiquement détournée en roman-photo – d’Une journée particulière, ils se lancent dans un récit entièrement composé d’images fixes, parfois grossièrement animées, qui mettent en scène deux personnages du quotidien au Liban. Elle, finalement divorcée parce que le traitement que lui infligeait son mari était inacceptable, est retournée vivre dans sa famille où elle fait figure de femme de rien, tout juste bonne à faire le ménage et entretenir la maison. Lui, journaliste écarté de son travail parce qu’il refusait de suivre la voie qu’on lui indiquait, est en déshérence. Pour une histoire de petit chat – qui n’est pas mort mais est remplacé par un ersatz de chiffon dans l’attente d’une incrustation Photoshop – ils vont se rencontrer, dans le temps de cette suspension des manifestations qui ont vidé l’immeuble…
L’humour dans la déconstruction
Elle est la narratrice, lui le faux naïf qui cherche à comprendre. Elle se livre à des élucubrations savantes sur la composition de l’image : les présents et les absents, les traces que chacun laisse et qui vont ponctuer le jeu de piste. Une table mise sans convive présentée en plans de plus en plus lointains et larges montrera l’éloignement du personnage et son refus de son cadre de vie. des draps qui sèchent au vent dont le nombre s’amenuisera au fil des plans fixes suggèrera les barrières qui tombent entre les deux personnages. Entre l’image et son commentaire, la représentation dessinée de la famille et sa mise en mouvement à l’aide de couleurs et de flèches, on est dans la distance, permanente, avec le sujet abordé, révélatrice d’un état de fait que le commentaire laisse entrevoir sans forcément l’exprimer. Racisme, sexisme, patriarcat, communautarisme sont cependant présents au travers de cette évocation réjouissante de la décalcomanie qu’un petit génie malicieux se serait amusé à détourner. Entre spectacle et non spectacle, documentaire et fiction, comédie qui masque le drame, Lina Majdalanie et Rabih Mroue, ici avec la complicité du guitariste Charbel Haber qui fabrique à vue bruitages et effets sonores, nous offrent sur un plateau de pâtisseries orientales un plat de résistance à rire jaune…
Photo-Romance
S Conception, texte et mise en scène Lina Majdalanie, Rabih Mroue S Scénographie Samar Maakaroun S Musique Charbel Haber Traduction Masha Refka S Avec Lina Majdalanie, Charbel Haber, Rabih Mroue S Réalisation de la bande-image Lina Majdalanie, Rabih Mroue, Sarmad Louis S Direction de la photographie Sarmad Louis S Assistanat à la réalisation et production exécutive Petra Serhal S Costumes Zeina Saab de Melero S Maquillage Stéphanie Aznarez S Jeu pour la bande-image Rabih Mroue, Lina Majdalanie S Invitée spéciale Mona Mroue S Coréalisation Théâtre de la Cite internationale et Festival d’Automne à Paris S Durée 1h15
Théâtre de la Cite internationale
22 – 25 octobre 2024. Mar. mer. 20h, jeu. ven. 19h