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Arts-chipels.fr

Mesure[s]. Une triangulation inspirée entre danse, musique et texte pour évoquer un « commerce » triangulaire de triste mémoire mais aussi son dépassement possible.

Phot. © Pascaline Larant

Phot. © Pascaline Larant

Deux chorégraphes, un compositeur et une autrice mènent ensemble, en résidence, une expérience exemplaire tant dans son processus de création que dans son propos. Le groupe de huit artistes, dont la partie de la création est déjà aboutie, est à la recherche d’un lieu de résidence pour parachever la dernière partie

Au point de départ, il y a d’abord une rencontre entre des artistes désireux de nouer, dans la création, des liens avec ceux d’autres disciplines. On trouve à la source la musique d’un compositeur dont la caractéristique est de toujours regarder ailleurs pour créer une musique qui traverse le temps, les genres et l’espace : Cédric Jeanneaud. Passé par un apprentissage classique puis jazz, il n’hésite pas à associer mambo, musique classique, jazz, chanson, hip hop, revendique l’influence de Debussy, Ravel, Bartók, Stravinsky mais aussi de Bach ou de Purcell.

Il y a le goût des expérimentations de Bienvenue Bazié et d’Auguste Ouédraogo. Tous deux burkinabés, ils mènent depuis l’an 2000 un compagnonnage chorégraphique qui laisse cependant place à leurs singularités, avec pour ambition de donner à la création chorégraphique un rôle dans le changement social, en transcendant les cultures via des créations chorégraphiques mais en ouvrant aussi la danse contemporaine à de nouveaux acteurs. Leur approche mêle musique, discours et contes, arts plastiques et numériques. Elle les conduira aussi bien à rendre hommage à la ténacité des femmes africaines, engagées sur la voie de la danse, qu’à s’intéresser, plastiquement, aux architectures du pays Kasséna ou littérairement aux troubadours du pays d’Oc.

Le troisième côté du triangle, et son troisième angle, est une autrice atypique, Elsa Gribinski. Elle affectionne les formes brèves, la fiction poétique, le poème sonore et confronte régulièrement sa pratique de l’écriture à d’autres disciplines artistiques tels que le théâtre, la musique ou les arts visuels. Texte, danse et musique entreront ainsi en osmose dans Mesure[s].

Phot. © Pascaline Larant

Phot. © Pascaline Larant

Entre thématique immédiate et métaphore

Le musicien comme les chorégraphes ont à voir avec la région Nouvelle-Aquitaine. Le premier bénéficie d’une bourse d’études de l’Office Artistique de la Région (OARA) dans le cadre des commandes d’art public portées par Bordeaux Métropole, et la compagnie chorégraphique Auguste Bienvenue est implantée à Bordeaux. C’est aussi une histoire très liée à celle de la région, la traite négrière, qui constituera le point de départ de la création. Un « commerce » triangulaire qui trouvera une correspondance dans le parcours à trois qu’institue la création au travers d’une manière de raconter plus métaphorique que directe : trois médiums, des cultures et la jonction entre les trois comme signe d’un syncrétisme d’où émerge la création. 

Mesure[s] et mesures

C’est sur le « comptage » que se structure la performance commune des musiciennes et des musiciens, de la danseuse et des danseurs et celle que propose le texte. C’est sur lui que se règle la chorégraphie, c’est au fil des mesures que se fait l’ordonnancement de la composition musicale. C’est la base que retient le texte qui énonce « ce que disent les chiffres et ce qu’ils mesurent ». Ils forment la lente litanie égrenée qui associe le nombre et l’esclave : sa valeur marchande, le nombre d’esclaves accumulés dans les cales, la mortalité qui les frappe durant la traversée, leur disparition en tant qu’être humains et leur réduction à l’état de marchandise. Une mesure arithmétisée de l’être dont même les ombres comptent.

Phot. © Pascaline Larant

Phot. © Pascaline Larant

Une traversée libératoire

Ce sont des nombres premiers qu’hormis le « 2 », le texte déroule à l’infini, comme pour dire qu’au-delà des nombres, ceux qui sont derrière restent premiers. Sans jamais se vouloir figurative, la chorégraphie suggère les hommes assemblés comme du bétail, serrés les uns contre les autres, malmenés par la mer dans la cale du bateau, malades et parfois moribonds. Tout se passe comme si les gestes du quotidien, ou les non-gestes, se trouvaient transposés, le labeur quotidien, la douleur, la fatigue, la force de conserver, envers et contre tout, les traditions d’origine, les croyances, ce reste irréductible du foyer d’origine, du pays natal. Avec au bout du chemin la révolte parfois, et l’espoir.

Une géométrie essentielle

C’est aux quatre coins de la scène que sont disposés les quatre instruments. Frappés comme le piano, d’origine occidentale, ou le marimba africain, ce xylophone acclimaté en Amérique latine ; soufflé comme la clarinette ; frotté, parfois frappé comme le violoncelle, souvenir de cordes plus anciennes, ils forment le symbole du monde, l’ordre de l’univers, l’équilibre des contraires et l’unité. C’est à l’intérieur que les danseurs se déploient, explorant les mystères de la géométrie : les formes parfaites du cercle qui, avec le carré, fait dialoguer le ciel et la terre, et du triangle, sainte trinité. Formes primitives en même temps que parfaites selon le Bauhaus, formes ramenées à une essence, tout comme la ligne et le point, eux aussi présents dans le spectacle.

Phot. © Pascaline Larant

Phot. © Pascaline Larant

Un syncrétisme revendiqué

Une étrange magie se dégage de cet ensemble qui incite à rêver plutôt qu’il n’assène ses vérités. Une abstraction paradoxalement émouvante qui donne cependant des clés qui ouvrent sur le futur. Ce que révèlent ces artistes associés, dans la multiplicité de leurs disciplines et celle de leurs origines, dans l’investigation commune en même temps que singulière qu’ils font de cette exploration « triangulaire », c’est la force créatrice de l’hybridation, du faire ensemble aujourd’hui et maintenant. À l’heure où les oppositions raciales et communautaires se rigidifient et s’intensifient, où la question des reliquats du colonialisme prend parfois la forme agressive de règlements de comptes intercommunautaires, l’aventure menée par Mesure[s], qui regarde en avant sans négliger les leçons du passé, est une leçon salutaire en même temps qu’une belle réussite artistique.

Mesure[s]
S Direction artistique, conception, mise en scène Bienvenue Bazié et Auguste Ouédraogo à la chorégraphie, Elsa Gribinski à l’écriture et à la voix principale, Cédric Jeanneaud à la composition musicale S Sur une idée de Cédric Jeanneaud S Avec Bienvenue Bazié, Auguste Ouédraogo et Fatou Traoré (danse et voix), Elsa Gribinski (voix principale), Cédric Jeanneaud, Las Hermanas Caronni (Laura et Gianna), Wlendavim Zabsonré (musique et voix) S Régie générale et lumières Fabrice Barbotin S Regard extérieur/technique voix-diction Éric Chevance S Production Cie Auguste Bienvenue S Coproduction DRAC Nouvelle-Aquitaine, OARA, Opéra de Limoges, CCN Mille Plateaux La Rochelle, Théâtre des 4 Saisons Gradignan, Glob Théâtre Bordeaux S Aide à la résidence IDDAC, Ville d’Arès, Opéra national de Bordeaux

Les concepteurs du projet, qui compte actuellement 8 artistes (4 musiciennes et musiciens, 2 danseur et 1 danseuse et l’autrice-voix, recherchent une résidence pour mener le projet à son terme. Il pourrait se développer avec la collaboration d’un chœur ou d’un orchestre implantés dans la région de représentation.

Site www.auguste-bienvenue.com Tél. 06 67 32 43 49
E-mail administration@auguste-bienvenue.com et diffusion@auguste-bienvenue.com

 

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