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Arts-chipels.fr

Les Grands sensibles. Shakespeare sur le tapis et au tapis.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Faut-il vraiment rejouer les classiques ou ne vaut-il pas mieux y piocher ce qui nous intéresse et oublier le reste ? C’est clairement la seconde solution que choisit Elsa Granat dans un spectacle iconoclaste et plein d’ambition.

« Alors, on est venu voir le chaos ? » lance à la figure des spectateurs une actrice à l’avant-scène. Elle, elle est Lady Capulet, alias Elsa Granat, l'autrice. Elle vient nous expliquer qu’il y en a marre des versions compassées des classiques et, plus précisément, de Shakespeare. Ce qu’on va voir, c’est ce qu’on peut en retenir aujourd’hui. Et surtout pas dans la fidélité à l’œuvre.

De Roméo et Juliette aux Grands sensibles

Nous voilà plongés en plein cœur d’une pièce emblématique du maître du théâtre : Roméo et Juliette de Shakespeare. Seulement, les ados de la pièce, ils n’en peuvent plus de leurs parents qui s’agitent en tous sens sans que ça ait le moindre sens, justement. Les Capulet sont usés de trop d’années de mariage, Montaigu est un vieillard sénile et leurs enfants, sur les écrans placés de chaque côté de la scène, nous livrent en aparté leurs états d’âme. Un p’tit nouveau s’est invité avec sa copine : c’est Hamlet, avec Ophélie. Il regarde sa mère draguer outrageusement le Capulet en se répandant dans une agitation stérile. Hamlet cherche, comme il se doit, avec ses difficultés d’être, son père absent, tandis qu’Ophélie ne sait pas où elle en est. On est fixé. La pièce, c’est d’jeuns et/contre adultes, dans un monde kitschisé où Mozart fait une apparition avec la fraîcheur des amours de Papageno et de Papagena et les rapports conflictuels de Sarastro et de la Reine de la Nuit. Après, on met tout dans un même mixer et on agite bien, ce qu’Elsa Grant ne manque pas de faire avec beaucoup de drôlerie acide.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Un conflit de générations qui ne prend pas de gants

Ça slame chez les ados, ça se déchire chez les adultes, ça se balance des vérités à tout va avec une hargne à la mesure des incompréhensions. Chacun pousse à hue et à dia dans son registre en même temps que les personnages s’interrogent et nous interrogent sur leur existence au théâtre et les raisons de leur longévité. Pour Elsa Granat, il faut que nous ayons un esprit bien tordu pour avoir érigé en chef d’œuvre le suicide de deux adolescents que leurs parents n’arrivent pas à comprendre. Est-ce, comme l’avance l’autrice, parce que le spectateur espère toujours que ça va s’arranger ? que les parents vont enfin comprendre leurs enfants et œuvrer dans le bon sens ? Alors elle imagine que ça pourrait se résoudre et que, collectivement, on pourrait y arriver.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Des chœurs d’enfants pour imaginer un happy end

La pièce est traversée par la présence d’enfants charmants et espiègles qui, accompagnés de leur Mary Poppins et de son fumiste amoureux, intègrent un travail de chant fait avec les écoles de musique de Seine Saint-Denis. Ils apportent la note joyeuse et positive du « message » qu’Elsa Granat veut nous transmettre. Qu’il existe une solution, qui emprunte aux démarches de l’antipsychiatrie et aux méthodes pédagogiques de Maria Montessori qui visent l’épanouissement de l’enfant et le développement de son intelligence plutôt que le bourrage de crâne et les interdits en tout genre « pour leur bien ».

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Un prêche qui manque de légèreté

Le credo d’Elsa Granat est touchant et sympathique mais il n’est pas sûr qu’il soit convaincant, du moins dans le spectacle. Parce que les vœux pieux sont du domaine des contes, du « il était une fois » qui se terminerait par « et les enfants et les parents se réconcilièrent et avancèrent ensemble sur le chemin de la compréhension mutuelle ». N’en déplaise à l’autrice, nous sommes encore loin du compte-conte et la fin, vibrant appel au consensus, s’étire dans un plaidoyer qui, pour être sincère et juste, n’en est pas moins un peu lassant. Resserré – le spectacle dure deux heures trente – le « message » aurait eu un impact plus grand.

Il n’en demeure pas moins que cette manière de dépoussiérer les bases de notre culture en ne se contentant pas de lui mettre des habits neufs mais en repensant, avec toute l’insolence dont fait preuve Elsa Granat dans son dynamitage, ce que son contenu induit et révèle dans nos comportements est une entreprise de salubrité publique. Ça décoiffe et ça fait du bien…

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Les Grands Sensibles ou l’éducation des barbares. D’après Roméo et Juliette de Shakespeare

S Écriture et mise-en-scène Elsa Granat S Collaboration à la dramaturgie Laure Grisinger S Avec Lucas Bonnifait, Antony Cochin, Victor Hugo Dos Santos, Elsa Granat, Clara Guipont, Niels Herzhaft, Laurent Huon, Juliette Launay, Mahaut Leconte, Bernadette Le Saché, Hélène Rencurel S Chanteur et musicien Edo Sellier S Avec la participation de chœurs d’enfants de divers conservatoires du territoire et de 5 amateurs seniors S Assistante à la mise en scène Mathilde Waeber S Création sonore John M. Warts S Réalisation scénographique Suzanne Barbaud S Création lumière Lila Meynard S Création costumes Marion Moinet S Assistant costumes et scénographie Constant – Chaissai Polin S Construction du décor Alain Pinochet (Théâtre de l’Union) S Régisseur général et plateau Quentin Maudet S Régisseur son et vidéo Baudouin Rencurel S Chef de chœur Félix Benati S Accompagnement des artistes amateurs seniors Laure Grisinger S Coordination des chœurs d’enfants Tassia Martin, Clara Guipont, Agathe Perrault S Production Compagnie Tout Un Ciel S Coproduction Théâtre de l’Union - CDN du Limousin, Le Grand Parquet / Théâtre Paris Villette, Théâtre Gérard Philipe-CDN de Saint-Denis, CDN de Dijon, le NEST-CDN de Thionville, Théâtre de Cornouaille - Scène Nationale de Quimper S Soutiens Région Île-de-France, Théâtre des Quartiers d’Ivry, du Fonds d’Insertion pour Jeunes Comédiens de l’ESAD - PSPBB et la participation artistique du Jeune Théâtre National S La Compagnie Tout Un Ciel est conventionnée par la DRAC Île-de- France depuis 2021 S Elsa Granat est artiste associée au Théâtre des Ilets – CDN de Montluçon et au Théâtre de l’Union – CDN du Limousin jusqu’en 2024. Elle est nouvellement associée au TGP - CDN de Saint-Denis et au NEST- CDN de Thionville. Elle est membre de la maison d’artistes La Kabane S Durée estimée 2h30

Du 25 septembre au 6 octobre 2024, lun.-ven. 19h30, sam. 17h, dim. 15h, sf mar.
Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint Denis

TOURNÉE
Les 16 et 17 octobre 2024 - NEST – CDN de Thionville
Les 7 et 8 novembre 2024 - Théâtre de l’Union – CDN du Limousin
Du 26 au 30 novembre 2024- Théâtre Dijon Bourgogne
Les 4, 5 et 6 décembre 2024 - Théâtre de Cornouaille – SN de Quimper

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