17 Octobre 2024
Cette saisissante passion en gris et violet d’un monde qui a perdu l’humain et rejoue jusqu’au délire les étapes de sa propre mort a la force d’un coup de poing dans l’estomac du spectateur, balancé avec une virulence à la mesure de l’enjeu.
Gris c’est gris, y a plus que ça dans la vie des zombies marionnettiques à visage humain qui s’agitent sur le terrain de jeu de Katharsy, un ring de six mètres sur six apparu au moment où la grande ordonnatrice du jeu fait lever le dispositif mécanique impressionnant qui occupait le centre de la scène et commande le démarrage des hostilités. Alors qu’apparaissent en fond de scène des tableaux lumineux relatifs à la partie et aux scores obtenus par les deux équipes, une armée des ombres hagarde et hypnotique qu’on dirait sortie de la Nuit des morts-vivants est préparée par un factotum-Videur, qui parfait leur maquillage de cadavre. Ce sont eux que les deux joueurs, chanteurs par ailleurs, situés de part et d’autre du Ring, vont faire pénétrer dans l’arène pour se livrer à un jeu de massacre que le Videur nettoiera après chacune des manches.
Des marionnettes et des hommes
Alice Laloy mène, de spectacle en spectacle, une réflexion originale sur la marionnette humaine. Au lieu de confier à des manipulateurs le soin d’animer les figurines les plus diverses pour leur prêter vie, elle dessine les contours d’une société où les humains eux-mêmes sont manipulés au point de devenir marionnettes et où les marionnettes ne figurent plus que des ombres. Un monde déshumanisé où ceux qui ont, comme ici les deux joueurs qui s’affrontent par marionnettes interposées, encore figure humaine « colorée » ont été réduits à l’univers de leurs pulsions, qu’ils expriment sur le ring de manière brute, non policée, renvoyée à une violence sans faux-semblants. Le jeu dont ils sont les protagonistes sera le truchement par lequel cette violence s’extériorise sans filtre.
Une escalade dans la violence
C’est une lumière grise qui tombe sur ce ring animé par des ombres, accentuant la force brute qui émane de ce jeu dont chaque manche est rythmée par la tombée, depuis le dispositif présent au début du spectacle et relevé lorsque commence le jeu, d’éléments de mobilier de plus en plus massifs dont la chute violente souligne l’intensité croissante des affrontements. Luminaires, tables et chaises sont bientôt suivis par un fauteuil et même un lit qui s’écrasent au sol sans frein, animés par la seule force de leur gravité. Ils seront les accessoires de l’affrontement des deux équipes d’ombres qui se font face et dont on ne parvient pas, tant ils se ressemblent, à distinguer à laquelle des deux équipes ils appartiennent. Le comptage des manches effectué sur le tableau en fond de scène n’éclaire pas davantage le score de chacun. Battle et Fight sont, pour eux-mêmes, les deux mamelles du jeu.
Une limite au sans limite
Les deux joueurs, les excitant de la voix et du geste, poussent toujours plus loin dans l’excès leurs marionnettes. C’est, tendus à l’extrême, qu’ils invectivent ces figures de plus en plus agitées et hagardes. Les corps se heurtent, s’enroulent, se frottent, se télescopent. Ils se jettent à la figure les objets avec une hargne croissante. Les objets eux-mêmes semblent doués de vie propre pour faire obstacle aux déplacements des pions jetés dans l’arène. Les marionnettes humanoïdes s’emmêlent dedans, elles sont ligotées, corsetées, empêchées par les obstacles que la partie dresse sur leur chemin. Jetés à terre, se relevant pour retomber, hâves et poussés au-delà de leurs forces, les acrobates, danseuses, danseurs et contorsionnistes, dans une chorégraphie fascinante, engagent leur corps entier dans une débauche d’énergie aussi inutile qu’improductive jusqu’à ce que finalement, dans le trop, un déclic se fasse. Alors les visages marionnettiques s’animent pour devenir humains et refléter la rage qu’ils exerceront contre ceux qui les ont manipulés.
Katharsy - catharsis
À l’extérieur de l’aire de jeu, le personnage de la meneuse, dea ex machina de cette absurdité sans autre objet que l’exutoire de la violence à travers le jeu, est lui aussi englué dans un système dont il ne parvient pas à s’extraire. Femme glaise réduite aux ordres qu’elle aboie, incapable de s’arracher à la gangue qui l’immobilise presque complètement, c’est de la voix, sur le mode lyrique, débitant un sabir incompréhensible où se mêlent langues mortes et vivantes sans qu’on en perçoive le sens, qu’elle insuffle ses ordres aux joueurs situés de part et d’autre du ring, qui reprennent à leur compte ces ordres venus d’ailleurs. Dans le monde des jeux vidéo, il n’y a que des marionnettes, consentantes à des degrés divers à cette expression de la violence qui revêt un caractère purificateur, libératoire par la transposition qu’il engendre. Ce n’est qu’une fois tous les verrous sautés que l’univers entier du jeu explosera pour laisser entrer le chaos de la réalité. Sur le ring de Katharsy se sera jouée une partie qui engage la vie même…
Le Ring de Katharsy
S Conception et mise en scène Alice Laloy S Écriture et chorégraphie Alice Laloy en complicité avec l’ensemble de l’équipe artistique S Avec Coralie Arnoult, Lucille Chalopin, Alberto Diaz, Camille Guillaume, Dominique Joannon, Antoine Maitrias, Léonard Martin, Nilda Martinez, Antoine Mermet, Maxime Steffan et Marion Tassou S Assistanat et collaboration artistique Stéphanie Farison S Collaboration chorégraphique Stéphanie Chêne S Scénographie Jane Joyet S Recherche, dessin et développement des systèmes de lâchés Christian Hugel S Création lumière César Godefroy S Composition musicale Csaba Palotaï S Écriture sonique Géraldine Foucault S Recherche et développement des accessoires et objets Antonin Bouvret S Création costumes Alice Laloy, Maya-Lune Thieblemont & Anne Yarmola S Création vidéo Maud Guerche S Assistanat création vidéo Félix Farjas S Regard cascades Anis Messabis S Assistante-stagiaire mise en scène Salomé Baumgartner S Stagiaire costumes Esther Le Bellec S Régie générale Sylvain Liagre en alternance avec Baptiste Douaud S Régie plateau Léonard Martin S Régie lumière en tournée Elisa Millot S Régie son en tournée Géraldine Foucault en alternance avec Arthur Legouhy S Confection des décors Les Ateliers du Théâtre National de Strasbourg (TNS) S Coordination des projets artistiques Joanna Cochet S Production et diffusion Gabrielle Dupas S Administration Céline Amadis S Production La Compagnie s’Appelle Reviens S Coproductions T2G – CDN de Gennevilliers, Théâtre de L’Union – CDN du Limousin, Théâtre National populaire – CDN de Villeurbanne, Festival d’Automne à Paris, Théâtre National de Strasbourg, La Comédie de Clermont-Ferrand Scène Nationale, ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie, Marionnettissimo, Théâtre d’Orléans – Scène Nationale, Le Bateau Feu – Scène nationale Dunkerque, Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon, La Rose des Vents – Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq, Théâtre Olympia – CDN Tours, Malakoff Scène nationale S Avec le soutien de la SPEDIDAM et la SACD S Réalisé avec l’aide du ministère de la Culture La Compagnie est conventionnée DRAC et Région Hauts-de-France, Département du Nord et Communauté Urbaine de Dunkerque S Création 2024 S À partir de 12 ans S Durée 1h30
Du 9 au 19 octobre 2024, mar.-ven. 19h30, sam. 18h, dim. 15h30 (sf lun.)
Théâtre National Populaire – 8, place du Dr Lazare Goujon, 69100 Villeurbanne
www.tnp-villeurbanne.com
TOURNÉE
• Théâtre National Populaire – CDN Villeurbanne 9 au 19 octobre 2024
• Bateau Feu - Scène Nationale de Dunkerque 14 novembre 2024
• Théâtre National de Strasbourg 20 au 29 novembre 2024
• T2G Théâtre de Gennevilliers – Festival d’Automne Paris 5 au 16 décembre 2024
• La Rose des Vents – Scène Nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq 9 au 10 janvier 2025
• Théâtre Olympia - CDN Tours, l’Hectare-Territoires vendômois, Centre National de la Marionnette & l'université de Tours 26 février au 1er mars 2025
• Malakoff Scène Nationale dans le cadre du festival Marto 13 au 14 mars 2025
• Théâtre Orléans – Scène Nationale 20 au 21 mars 2025
• Théâtre de l’Union – CDN Limoges 3 au 4 avril 2025
• La Comédie de Clermont-Ferrand – Scène Nationale 9 au 10 avril 2025