7 Octobre 2024
Cette invraisemblable histoire de deux hommes sur un ponton flirte avec bonheur avec un non-sens non dépourvu de sens.
Un homme sur un ponton se tient, la corde au cou reliée à un gros bloc, sur le rebord. Sa vie est un désastre. Il est transparent. Il est un raté. Il n’a pas de raison d’être. Il a décidé de se suicider et se lance dans une logorrhée où se perçoit déjà l’hésitation de sauter. À côté de lui, un pêcheur en chapeau melon, queue de pie et petit gilet, pêche, imperturbable, au grand dam du candidat au suicide. Mais au bout de sa canne, il n’y a ni ligne ni hameçon. Le ton est donné. Entre l’apprenti-suicidaire et ce pêcheur à la tenue insolite et qui ne pêche rien, la navigation s’annonce plus que particulière.
Un comique des contrastes
L’un est pas très grand, un peu rond et volubile. C’est celui qui ne cesse de se persuader de sauter sans le faire. L’autre est élancé, froid et disert. Il n’a pas de ligne pour ne pas être ennuyé, dit-il, avec les poissons. Il est indisposé par l’agitation de son partenaire d’occasion et attend qu’il saute pour avoir la paix. Mais plus il met de distance, plus le suicidaire, incrédule devant son indifférence, se colle à lui et retrouve goût, d’une certaine manière, à la vie. Il se métamorphoseront, au fil du récit, en chasseur avec son chien hypocondriaque et pacifiste, en marin et son capitaine embarqués sur un radeau en pleine tempête portés à discuter lequel des deux mangera l’autre, avant de découvrir, finalement, quel rôle ils jouent l’un par rapport à l’autre. Car ils ne sont pas là par hasard. Leurs destins sont liés et il faudra qu’ils aillent au bout d’une série de situations aussi absurdes que cocasses pour comprendre ce qui les lie.
De l’art d’emberlificoter les affaires
Les mots se font écho les uns aux autres et se renvoient la balle, les glissements sémantiques sont légion, les proximités homophoniques et les associations d’idées affleurent dans un dialogue plein de saveur d’où émergent presque sans y toucher les termes d’injustice, de pouvoir et de dictatures de toutes espèces, où le choc pétrolier conduit comiquement à un suicide en étang. Une broderie au petit point autour d'un langage dont le sens s'échappe. Un vide abyssal dans lequel s’invite le théâtre. « Il n’est pas prévu dans mon texte que j’intervienne », répond avec agacement le Pêcheur à son acolyte, ce qui fait douter l’autre de sa réalité – s’il est un personnage de théâtre, se suicider n’a pas de sens puisqu’il ne va pas mourir et que l’écriture reste.
Nous voilà embarqués dans une situation très pirandellienne où on ne peut plus distinguer où est l’histoire et où elle n’est pas, si les personnages ont ou pas un degré de réalité et lequel, s'ils ne sont pas le pur produit d'un rêve de spectateur. Le ponton, qui se métamorphose, entre autres, en plancher de paquebot avant de se muer en radeau façon Méduse, devient quant à lui pont, passerelle entre des mondes factices, imaginaires. Il ne nous reste plus qu'à rire de cet être rien plein de reparties. Si l'on peut rire de tout, comme l'affirmait Pierre Desproges, on peut ici rire de sa mort. Mais la vie, n’est-ce pas déjà être mort ?
L’Homme et le Pêcheur
S Texte et dramaturgie Jean-Marc Catella, Ciro Cesarano et Fabio Gorgolini S Mise en scène Ciro Cesarano S Direction d’acteurs Fabio Gorgolini S Avec Ciro Cesarano et Paolo Crocco S Lumières Orazio Trotta S Décor Claude Pierson S Costumes Isabelle Deffin S Musique Matteo Gallus S Production Cie Teatro Picaro S Coproduction Reine blanche Productions S Soutiens Ville de Montreuil, Phenix Festival, Before le Off, CRL10 Espace Jemmapes Paris S Le texte de la pièce est édité aux Éditions Les Cygnes S Durée 1h15
Du 26 septembre au 2 novembre 2024, du mercredi au vendredi à 19h, le samedi à 18h
Théâtre de la Reine blanche – 2 bis, passage Ruelle, 75018 Paris www.reineblanche.com