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Arts-chipels.fr

Cette note qui commence au fond de ma gorge. Entre amour fou et liberté de choix.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Ce très beau et très puissant spectacle sur la difficulté d’être mêle récits d’exil, d’amour et de griefs dans un corps à corps avec un texte intense et tout en brisures.

Un jeune homme et une jeune fille se font face. Il vient d’Afghanistan, de Bamian où les talibans ont rayé des mémoires ces grands bouddhas de pierre que le monde admirait. Elle navigue entre milieux humanitaires et estudiantins. Aref et Bahia viennent sur le sol nu de la scène, encombré de faux jouets d’enfant de tissu cousus, traîner leur mal-être. Il parle d’exil et elle parle d’amour. Elle se bat, se débat, s’insurge car ce jour-là, il lui a annoncé que son amour pour elle était mort et qu’il allait partir, rejoindre les siens à Strasbourg, dans l’Est de la France. Tenter de vivre dans et avec la musique. Elle s’accroche, becs et ongles dehors, pour tenter de le retenir, usant un à un tous les arguments à sa disposition, des plus romantiques aux plus triviaux, de la colère à la supplication, du rappel de la rencontre qui les a laissés foudroyés au chantage aux sentiments.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Un lyrisme soutenu qui passe par deux langues

Derrière eux, deux mondes s’affrontent, deux langues se confrontent, « Deux cœurs à contretemps qui battent à contre-jour » entrent en dissonance. À la dambura, le luth traditionnel des contrées d’Asie centrale, ou aux tablas, parfois avec l’apport d’un harmonium qui exhale son long souffle plaintif, Aref exprime sa souffrance d’hazara, fier de son ascendance mongole, dépossédé de sa vie « par de faux étudiants / Des brutes à la main leste, l’acier dans le cœur », sa recherche d’une place qui lui appartiendrait en propre sans être le débiteur de personne. Il parle la langue de la musique qui le porte et porte son exil et son souvenir du pays perdu, Bahia celle de la passion amoureuse qui transcende les frontières et s’affranchit de la réalité. Elle lui oppose des quatrains en alexandrins, puis en décasyllabes, le langage par excellence de l’épopée et du lyrisme en même temps que le carcan qui l’enferme et dans lequel elle se débat, brisant parfois par des enjambements l’uniformité métrique du vers dans son expression d’un trop-plein de passion.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Un face-à-face entre théâtre et musique

Ils se font face, dressés l’un contre l’autre, luttant l’une pour son amour, l’autre pour son droit. L’écriture est tendue, sèche, nerveuse, cadencée, bandée comme un arc, emportée comme un torrent furieux. Les images affluent. D’un affrontement qui arase tout sur son passage et ne laisse pas indemne. Angèle Garnier, toute en déchirements, se lance comme une boxeuse sur le ring ; elle s’y engage à corps perdu, guerrière magnifique d’un combat qu’elle sait inutile, présenté ici en trois phases qui bousculent la chronologie dans un mouvement qui part du présent – la rupture – pour remonter au passé et envisager l’avenir. Esmatullah Alizadah, originaire, comme le personnage d’Aref, d’Afghanistan, lui oppose une résistance presque passive, une ferme douceur, comme une vision d’éternité hors de la violence du monde, une recherche d’apaisement d’après la catastrophe, cette immanence que la musique apporte et que la dambura exprime face à la violence de cette passion non partagée que lui oppose Bahia.

Construite en miroir par rapport au présent de la rupture, plongeant dans les racines pour conduire à l’après, la pièce ne prend pas de parti, n’assène pas de fin. Elle expose, mais avec un sentiment d’urgence vitale, un degré d’incandescence qui ne laisse pas indemne deux positions inconciliables : d’amour mourir ou de vivre à en mourir. À celui qui n’est plus rien et ne réclame rien d’autre qu’une petite place où « jouer », Bahia ne peut qu’opposer : « Tous les enfants le savent, qu’aimer est un enfer. »

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Cette note qui commence au fond de ma gorge
S Texte et mise en scène Fabrice Melquiot S Avec Esmatullah Alizadah, Angèle Garnier S Scénographie Raymond Sarti S Régie générale Marie Favier Production Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN S Avec le soutien du Théâtre Molière - Sète, scène nationale archipel de Thau S Avec la participation artistique du Jeune théâtre national Durée 45 min

TOURNÉE
Création au Festival Odyssées de Sartrouville en 2024
Théâtre de la Concorde à Paris (1, avenue Gabriel, Paris), du 15 au 26 octobre 2024,mar.-ven. à 14h30 et 19h, sam. à 19h
Théâtre de Sartrouville et des Yvelines - CDN (78), du 5 au 8 novembre 2024 • mar. 5 à 10h & 14h15 • jeu. 7 à 14h15 & 19h30 • ven. 8 à 14h15 & 20h30
Théâtre de Lorient - CDN (56), du 19 au 21 novembre 2024 • mar. 19  à 14h30 • mer. 20 à 20h • jeu. 21 à 14h30 & 20h
Théâtre Molière de Sète scène nationale Archipel de Thau, du 11 au 14 février 2025 en décentralisation • Sète, Théâtre Molière, mar. 11, scol. à 10h, tt public à 20h • Mèze, Salle Jeanne Oulié : mer. 12, scol. à 10h00, tt public à 20h • Marseillan, Théâtre Henri Maurin, jeu. 13, scol. à 10h & 14h30 • Loupian, Centre Culturel Nelson Mandela, ven. 14, scol. 10h et 14h30
Le Meta - CDN de Poitiers Aquitaine, les 13 et 14 mai 2025 (horaires à préciser)

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