22 Septembre 2024
Dimitri Chamblas, avec cette chorégraphie, nous invite à une expérience particulière, ni tout à fait une performance, ni tout à fait une chorégraphie. C’est cependant un vrai moment de partage, une vraie représentation, un spectacle étrange qui nous emmène dans une zone d’incertitude un peu déroutante.
Lorsque l’on arrive dans la salle un énorme ballon blanc suspendu noyé dans un brouillard blanc éclaire faiblement la scène. Au fur et à mesure quelques spectateurs et spectatrices sont invités à venir s’allonger sur la scène. Ils y resteront toute la première partie. Puis, regagneront leur place pour permettre aux interprètes de donner libre cours à leur évolutions.
takemehome n’a pas vraiment d’arc narratif, c’est Dimitri Chamblas lui-même qui le dit. Il décrit ce spectacle comme un déroulé horizontal qui nous met en attente de quelque chose qui n’arrive jamais, c’est En attendant Godot ou la vie tout simplement ! Contrairement à ce que je pensais Il n’y a pas d’improvisation, tout est guidé. La particularité du travail de Dimitri Chamblas dans cette chorégraphie, est qu’il dirige chaque interprète par des écritures différentes qui s’adaptent et singularisent chaque interprétation. Et le paradoxe de son travail est qu’il a écrit une histoire pour chaque scène, un fil narratif pour chaque interprète mais que rien n’en transparait vraiment sur scène. C’est comme un fil invisible seulement vu des danseurs et danseuses qui les guident mais qui parfois pour nous, public, nous semble complètement indéchiffrable et crée un coté un peu aléatoire.
La pièce est complétement l’inverse de l’uniformisation. Elle travaille l’identité et la nécessité des différences. Dimitri Chamblas a travaillé cette dualité d’être là, face au public, tout en se sentant « invisible », d’apparaître et de disparaitre sur la scène physiquement mais aussi conceptuellement. C’est une réflexion sur la solitude urbaine des grandes villes américaine où l’on peut être si solitaire au milieu d’une multitude. C’est aussi comme toujours avec Dimitri Chamblas une recherche sur le corps et la façon d’habiter son corps. « Je voulais créer un espace absurde, comme en retrait du monde, habité par des corps sans gravité qui n’ont plus de rapport au sol, à la chair. » dit-il dans un entretien avec le magazine Numéro.
C’est une danse brute, radicale qui ne laisse passer aucun superflu qui va jusqu’à la structure technique du mouvement sans fioriture ni artefact.
Réinvention du rapport entre musique et danse.
Dans takemehome, il collabore avec Kim Gordon, cofondatrice du groupe de rock Sonic Youth. Kim Gordon, n'est peut être pas vraiment très connue pour les moins de 20 ans et sûrement un peu plus, est une musicienne, artiste et styliste, connue pour avoir été la chanteuse et bassiste du groupe de rock Sonic Youth. Elle a également fondé des projets comme Free Kitten et Body/Head.
A eux deux, ils confient cinq guitares électriques et leurs ampli branchés à fond, aux danseurs et danseuses qui les utilisent comme une prolongation de leur corps et de leurs mouvements et non comme des instruments de musique. Moment véritablement punk et complètement déjanté mais qui fonctionne parfaitement car mettre des guitares dans les mains des danseurs et danseuses qui utilisent la guitare comme un objet partenaire sans l’intention de produire vraiment de la musique, crée un son et des harmoniques d’une autre manière, en rupture avec les codes usuels. C'est un autre rapport entre musique et danse, un peu inversé où c'est le mouvement qui créé le son et non le son qui accompagne le mouvement. C'est radical et inhabituel mais finalement très cohérent.
Un autre de ces questionnement est la position des spectateurs par rapport aux interprètes et l'expérience collective créée par la danse.
Dimitri Chamblas invite les spectateurs à une expérience singulière avant le début de la représentation. Les spectateurs peuvent choisir de venir une heure avant, et de participer avec la troupe à un workshop, une mise en pratique avec des éléments de la pièce, ce qui crée une continuité, une complicité qui permet de donner au spectacle une expérience complètement différente.
Cette posture est en parfaite adéquation avec ses positions sur la danse et la notion de spectacle qui est plutôt de créer des expériences inédites dans lesquelles chaque contributrice ou contributeur se sent à l’aise et en confiance et sans jugement quel que soit l'endroit où l'on se trouve, une salle de spectacle ou une prison de haute sécurité aux états unis par exemple avec laquelle il a travaillé un grand moment. C’est en fait changer le rapport à l’autre, le rapport au corps de l’autre. Cette posture, il l'a particulièrement utilisé dans le travail avec les prisonniers pour leur réapprendre à avoir confiance en eux et en l’autre par la redécouverte de leur corps, des mouvements du corps et les sensations créées. Réapprendre le vivre ensemble par les mouvements de son corps est pour Dimitri Chamblas, ce que permet la danse. C'est cette « transmutation » qu'il recherche et qu'il construit. La danse est comme un véhicule qui nous projette dans des contextes et des expériences variés avec des personnes très différentes.
Dans takemehome, il a réuni les meilleurs danseurs du monde parce qu’il désirait cette excellence. Mais, il travaille aussi avec des amateurs du monde entier, mais aussi avec des migrants et des prisonniers, tout dépend du projet et de l’expérience recherchée.
Un début de carrière précoce et des rencontres fondatrices.
Dimitri Chamblard a démarré sa carrière très tôt. A 17 ans, en 1993 à la Villa Gillet, il a créé « À bras-le-corps » le duo mythique avec Boris Charmatz, duo qu’ils continuent toujours de jouer ensemble tous les ans. Dimitri Chamblas, formé au CNSMD de Lyon et à l’école de l’Opéra de Paris a collaboré plus particulièrement avec les chorégraphes Mathilde Monnier, William Forsythe et Benjamin Millepied avec lequel il prépare un prochain spectacle. IL a développé dans le monde entier des projets pluridisciplinaires autour de diverses pratiques – danse, vidéo, arts plastiques, opéra, musique, littérature, mode… C’est ce qui l’intéresse, le borderline, les mélanges un peu étrange qui font souvent émerger des projets insolites. Le côté « buissonnier » est peut-être ce qui l’attire le plus.
Dimitri Chamblas toujours lors de cet Interview avec Numero déclare : « Pour moi, cette pièce met en exergue ce qu’est la danse : j’ai toujours pensé que c’est un élément complètement libre, qui parfois prend un corps ou des corps, et on constate que quelque chose de l’ordre de la danse se passe, que la danse “est venue”. D’autres fois, la danse “ne vient pas". » La question que l’on peut se poser après cette représentation est donc : la danse était-elle venue ? Indubitablement je répondrai oui.
Distribution
Chorégraphie : Dimitri Chamblas
Musique : Kim Gordon
Lumière : Yves Godin en collaboration avec Virginie Mira pour la conception du dispositif
Costumes : Dimitri Chamblas, Andrealisse Lopez
Régie générale : Jack McWeeny
Régie lumière : Iannis Japiot
Régie son : Dimitri Dedonder
Avec :Marion Barbeau, Marissa Brown, Eli Cohen, Bryana Fritz, Eva Galmel, François Malbranque, Jobel Medina, Salia Sanou, Kensaku Shinohara
Production & diffusion - Studio Dimitri Chamblas
Studio manager - Elodie Vitrano
Coordinatrice de production - Natalia Gongora
Coproduction - Charleroi danse - Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles ; Montpellier Danse dans le cadre de l’accueil en résidence à l’Agora, cité internationale de la danse, avec le soutien de la Fondation BNP Paribas ; Liquid Music Minneapolis ; Villa Albertine; The Sharon Disney Lund School of Dance California Institute of the Arts.
Avec le soutien de Dance Reflections by Van Cleef & Arpels.