29 Septembre 2024
Quand la musique de chambre de Schubert rassemble, trente ans après, deux ex- apprentis pianistes : souvenirs, souvenirs... Convoqués par un troisième larron, ils reprennent, en live, La Fantaisie en fa mineur, pièce à quatre mains. Un spectacle de Jean Boillot, écrit sur mesure pour les deux comédien.ne.s, par Alexandre Koutchevsky.
Entre biographie et fiction
Par un soir d’hiver, Aline et Elios se retrouvent à la gare de Troyes. Jean, leur camarade au Conservatoire de Nice, les a invités à renouer le trio amical qu’ils formaient, adolescents, avant d’abandonner leurs études musicales. Jean, harpiste devenu metteur en scène d’événements hors-norme, ne viendra pas à ce premier rendez-vous, une lettre leur sera remise de sa part, avec de nouvelles instructions : il demande à ses amis de reprendre La Fantaisie en fa mineur pour piano qu’ils ont laissée en chantier au moment de leur séparation et les invite à répéter le morceau sur un Steinway, au Théâtre de Vienne, patrie de Franz Schubert. En Autriche, une autre lettre les enjoint de se rendre à Nice, jouer la pièce à quatre mains, sur les ruines de la Villa Paradisio, vouée à la destruction et qui abrita le Conservatoire et leur jeunesse.
Alexandre Koutchevsky appuie son écriture sur la vie des artistes en jeu. Les deux acteurs portent en scène leur prénom de ville : Aline Le Berre et Élios Noël furent élèves de cet établissement niçois qui, en 2006, déménagea de la Villa Paradisio, transformée en logements de luxe... Jean Boillot, lui, a renoncé à la musique pour le théâtre, après 14 ans de harpe. Pour le metteur en scène : « La musique c’est pour la vie », et elle garde une place centrale dans son travail. Quatre mains est le second volet d’un projet qu’il cosigne avec Alexandre Koutchevsky : « L’Adolescence de l’art » ou comment l’art, chez les adolescents, est un élément structurant dans le passage vers l’âge adulte. La pièce se découpe en trois stations : Troyes, Vienne et Nice où Aline et Élios se retrouvent à un an de distance, téléguidés par les lettres de Jean, figure du metteur en scène démiurge. Celles-ci sont confiées pour lecture à trois spectateurs volontaires : chacun à son tour gagnera le plateau appelé par un signal lumineux.
Une leçon de musique en trois temps
Outre ces participants bénévoles, le public est sollicité par les acteurs, quand, d’un épisode à l’autre, sous forme de flash back, ils évoquent leurs années au Conservatoire. Ils reconstituent ainsi une classe d’harmonie, en posant à la salle des questions très techniques auxquelles il est difficile de répondre. Ils nous proposent aussi une dictée rythmique. Effet garanti. Mais à travers leurs souvenirs de solfège ou de pratique instrumentale, on mesure l’engagement, la discipline, les sacrifices voire les souffrances physiques et psychiques qu’exigent l’apprentissage de la musique classique. C’est un monde en soi, fait d’émulation et de concours, où il y a peu d’élus à l’arrivée.
Excellents interprètes, tant au piano que dans leur jeu théâtral, les acteurs nous font surtout pénétrer dans la musique à fleur de peau du compositeur, au fur et à mesure qu’ils décortiquent la partition, buttent sur des notes, analysent les différents mouvements de cette Fantaisie en fa mineur (D. 940, opus posthume 103), composée par Franz Schubert en 1828, soit l'année même de sa mort. Il n’a alors que 36 ans. Il dédie l’œuvre à l’une de ses élèves, la jeune comtesse Caroline Esterházy, dont il est secrètement amoureux. Cet amour sans espoir et la syphilis qui le consume se lisent dans le caractère tragique d’une musique où les envolées fougueuses et les silences parlent autant que les notes.
Une histoire d’amitié
La partition alterne un thème initial inquiet, fragile, porteur d’une infinie tristesse, qui reviendra en boucle, avec de brutaux crescendo forte. Aline Le Berre et Élios Noël décryptent, avec humour et sensibilité, cette musique à la fois nostalgique et puissante. En répétant ce quatre mains pour un concert final organisé par Jean, l’artisan invisible de cette aventure amicale fictive, les personnages renouent avec leur complicité d’antan, voire une amitié amoureuse diffuse. De Troyes à Nice en passant par Vienne, ils ressuscitent leur jeunesse commune à jamais enfuie : « Il a fallu 874 kilomètres pour que les trois viennent à Nice ! », plaisante Jean dans sa dernière lettre.
Il sera le témoin caché de l’échange intime qui s’instaure au fil des répétitions entre les deux interprètes, serrés sur le même tabouret devant un modeste Yamaha P 515. C’est un corps à corps sensuel où les mains se côtoient, se frôlent entre le « bas » et le « haut » du clavier, au gré des motifs. Ils dialoguent à travers la musique et, quand ils ne sont pas au clavier, se confient des secrets de leur enfance, longtemps tus, se disent leurs peurs et leurs chagrins d’adolescents. La musique aidant, une jolie relation se noue sur scène et avec le public, et nous écoutons avec bonheur les quelques mouvements de cette Fantaisie en fa mineur qui concluent Quatre Mains. Avec pour tout décor un tabouret et un piano numérique transportable, ce spectacle captivant a été conçu pour s’adapter à tout type de salle.
Quatre Mains
S Texte Alexandre Koutchevsky S Mise en scène Jean Boillot S Assistanat Stéphanie Schwartzbrod S Jeu et piano Aline Le Berre et Élios Noël S Composition musicale Franz Schubert S Lumières Ivan Mathis S Régie générale Perceval Sanchez S Direction de production Mireille Regler S Production La Spirale, compagnie conventionnée par le ministère de la Culture (DRAC Grand Est), par la Région Grand Est et le Conseil Départemental de la Moselle S Coproduction Espace 110 / Centre Culturel D’Illzach (Mulhouse), Le Canal / Théâtre du Pays de Redon S Avec le soutien du Centre des Bords de Mane S Durée 1h15 S Tout public, à partir de 14 ans
TOURNÉE
18 - 20 septembre 2024, Atelier du Plateau, 5 rue du Plateau, Paris 19e
5 novembre 2024 à 14h30 et 20h, Espace 110, Illzach (68)
11 mars 2025 à 20h, Théâtre de Source, Fontenay-aux-Roses (92)
2-4 avril 2025, Canal Théâtre, Redon (35)