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Arts-chipels.fr

Les Messagères : des Antigone à l’afghane.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Neuf comédiennes, réfugiées d’Afghanistan, transcendent, sous la direction de Jean Bellorini, la sombre tragédie de leur pays en un chœur qui, 2 500 ans après Sophocle, porte un message de courage et de résistance.

Repris au Théâtre national populaire de Villeurbanne, du 9 au 13 septembre 2024, le spectacle part ensuite en tournée.

L’Afghan Girls Theater Group à Lyon

Artistes et femmes, deux handicaps majeurs en Afghanistan. Elles ne peuvent plus sortir, travailler et encore moins jouer depuis que, fin juillet 2021, les Talibans ont repris tout le pays, jusqu’à Kaboul. Il ne restait que l’exil aux neuf comédiennes de la troupe.  Arrivées en France avec leur metteur en scène Naim Karimi, elles ont été accueillies à Villeurbanne par Joris Mathieu, directeur du Théâtre Nouvelle Génération (TNG) et Jean Bellorini, directeur du Théâtre national populaire (TNP), dans des appartements mis à disposition par la Ville. Les artistes disposent aujourd’hui d’espaces de répétition et, accompagnés par le TNP et le TGP, poursuivent leur parcours théâtral.

L’Afghan Girls Theater Group, né en 2015 à Kaboul, y a créé plusieurs spectacles à l’Institut français d’Afghanistan (IFA) : le Malentendu d’Albert Camus, Black Fears, Zombies, d’après plusieurs auteurs, ou Victims of War... Depuis leur arrivée, on a pu les voir dans Le poème est une épée, un montage de textes d’autrices afghanes réalisé par Estelle Dumortier, puis dans le Rêve perdu, au TNG – Centre dramatique national de Lyon, en collaboration avec Naim Karimi et Joris Mathieu. Pour Jean Bellorini, le choix d’adapter la pièce de Sophocle s’est imposé au terme d’improvisations : « Lors d’une séance, nous avons travaillé le prologue entre Ismène et Antigone. Tous les enjeux de la pièce sont contenus au creux de cette scène. Antigone, c’est l’histoire d’une femme qui dit non. Tout comme ces jeunes femmes, qui ont eu l’audace de fuir l’Afghanistan. »

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Un chœur de combattantes

L’adaptation de Mina Rahnamaei et Florence Guinard en dari se découpe en tableaux où, du chœur, émergent les figures mythiques de la tragédie : Antigone, Créon, Tirésias, Ismène, le messager, porteur de toutes les nouvelles. Cette pièce, bien connue, prend ici un sens particulier car elle nous renvoie à l’histoire que portent en elles ces comédiennes, dans leur langue à la fois rocailleuse et musicale. Elles s’appellent Hussnia, Freshta, Atifa, Sediqa, Shakila, Shegofa, Marzia, Sohila. Elles sont d’abord les exubérantes jeunes filles d’antan, vêtues d’amples robes, s’ébattant, insouciantes et rieuses, dans la vaste pièce d’eau installée au beau milieu du plateau nu. Cette élégante et sobre scénographie contraste avec les images que les medias nous montrent des ruines aux arides contreforts de l’Himalaya. Rien, dans ce prélude, ne semble présager les sombres événements qui s’annoncent quand, à la nuit, au lever d’une grosse lune ronde qui se mire dans la fontaine, Antigone confie à Ismène sa décision d’enterrer la dépouille de leur frère Etéocle, livrée sans sépulture aux bêtes sauvages par décret du roi Créon, leur oncle. Ismène tente en vain de la dissuader. On sait la suite : Créon condamne la rebelle à être enterrée vivante ; Hémon, fils du roi, plaide en vain la cause d’Antigone, sa fiancée, et se donne la mort, puis c’est l’épouse du tyran qui se suicide. Il ne restera à ce dernier que la folie.

Dans l’écrin gris des murs et du sol, l’eau où les personnages glissent comme des fantômes et les reflets de la lune déplacent la tragédie vers une fable poétique. Et quand la pluie tombe sur la fontaine, c’est comme si le ciel pleurait lui aussi la mort de l’héroïne. Malgré ce décor qui peut paraître sophistiqué, la mise en scène s’appuie sur la cohésion du groupe, uni autour de la cause d’Antigone. Un élan vital, une force de conviction émanent de ce corps collectif et d’un jeu distancié, sans lyrisme ni pathos. On sent le vécu derrière cette retenue.

Le personnage de Créon joue sur une note différente : incarnation d’un pouvoir inique et aveugle, dans sa robe jaune, il en devient un monarque presque dérisoire, en particulier dans les scènes avec le messager terrorisé, un rien comiques. Un roi Lear de pacotille, dont la folie est la revanche des opprimées. Ismène, restée seule et sans famille, aura le dernier mot en reprenant le flambeau allumé par sa sœur, pour des luttes à venir.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Maintenant les messagères prennent la parole. Seront-elles entendues ?

Un poème émouvant d’Atifa Azizpor (Ismène) clôt le spectacle. « Les Ismène abandonnées,/ Elles gardent l'espoir des printemps à venir./ Elles gardent l'espoir de revoir un jour la liberté s'élever parmi elles./ Il y a une chaîne sur la porte./ Derrière cette porte,/ Il y a des petites filles./ Les tyrans ont fermé cette porte./ Les Antigone ont été tuées à cause de leur trop grande audace./ Les Ismène sont toujours vivantes avec toutes leurs souffrances./ Elles espèrent chanter le chant de la liberté, [...] Seront-elles entendues ? »

L’émotion est au rendez-vous et nous pensons à toutes celles dont l’Afghan Girls Theater Group se fait le porte-voix.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Les Messagères d’après Antigone de Sophocle 
S Spectacle en dari, surtitré en français S Le texte qui ouvre le spectacle est issu de l’album de Martine Delerm Antigone peut-être (éd. Cipango). S Le texte final a été écrit par Atifa Azizpor, comédienne de l’Afghan Girls Theater Group S Avec l’Afghan Girls Theater Group Hussnia Ahmadi (le garde, chœur d’Antigone), Freshta Akbari (Antigone, chœur d’Antigone), Atifa Azizpor (Ismène, chœur d’Antigone), Sediqa Hussaini le coryphée, le messager, chœur d’Antigone), Shakila Ibrahimi (Hémon, le coryphée, chœur d’Antigone), Shegofa Ibrahimi (chœur d’Antigone), Marzia Jafari (Tirésias, chœur d’Antigone), Tahera Jafari (Eurydice, chœur d’Antigone), Sohila Sakhizada (Créon) S Mise en scène et lumières Jean Bellorini S Collaboration artistique Hélène Patarot, Mina Rahnamaei et Naim Karim S Création sonore Sébastien Trouvé S Adaptation Mina Rahnamaei S Traduction des surtitres Mina Rahnamaei et Florence Guinard S Construction des décors et confection des costumes Ateliers du TNP S Production Théâtre National Populaire S Avec l’aide exceptionnelle de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes – ministère de la Culture S Création le 28 juin 2023 au TNP Villeurbanne S Durée 1h45
TOURNÉE
Du 7 au 13 septembre 2024, Théâtre National Populaire, Villeurbanne
5 décembre 2024, Le Liberté, scène nationale, Toulon
1er février 2025, Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France
Du 4 au 13 avril 2025, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris

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