Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Festival de l’Hydre. Un turbin théâtral chaleureux dans les turbines à réinstaller du Moulin de l’Hydre.

Phot. © DR

Phot. © DR

Simon Falguières, la compagnie le K et l’association Les Bernards l’Hermite se sont installés voici deux ans dans un ancien moulin industriel encaissé dans une vallée normande. Ils proposent pour la deuxième fois, dans ce lieu de vie et de travail théâtral, un festival placé sous le double signe de la convivialité et de la création.

C’est à près de huit cent mètres qu’il faut garer son véhicule pour atteindre le Moulin de l’Hydre. On suit un chemin goudronné le long d’une vallée encaissée, à la frontière de l’Orne et du Calvados, pour atteindre ce lieu reculé où la nature est reine. Un écrin de verdure au milieu duquel se dresse un bel ensemble de bâtiments de pierre : une ancienne usine, de filature d’abord, puis d’emboutissage, construite au XIXe siècle, en un temps où l’on exploitait l’énergie des rivières pour alimenter de petites usines implantées localement, avant que la « rentabilité » à outrance développée par notre société les condamne économiquement. Une fermeture ici récente puisque l’usine reste en activité jusqu’à la fin des années 1980.

Un lieu, donc, chargé d’histoire pour la population locale, qui ne pouvait que répondre à la volonté de Simon Falguières et de ses amis d’en faire plus qu’un lieu de séjour et de répétitions : le symbole d’un engagement territorial et un champ d’expérimentation sociale alternative en même temps qu’un lieu de création. Avec, en ligne de mire, le projet d’y voir naître, dans les années à venir, un théâtre « en dur » indifférent aux intempéries, et déjà un lieu de résidence pour un théâtre en train de se faire et pour ceux qui le font, et un lieu d’hébergement et d’accueil pour des artistes en résidence. Une fabrique placée sous le signe de l’eau par son nom, l’Hydre, qui renvoie aussi bien à l’appellation grecque de l’eau qu’au monstre mythologique, ce serpent aquatique dont Héraclès trancha les têtes Un lieu chargé d’histoires réelles et mythiques en même temps que le lieu où les raconter.

Phot. © DR

Phot. © DR

Un projet qui plonge ses racines dans une démarche alternative

C’est alors qu’il fréquente encore les bancs de l’école que Simon Falguières attrape le virus du théâtre en suivant des répétitions de spectacle, avec une volonté très tôt affirmée de s’éloigner d’un certain théâtre institutionnel pour en faire une expérience de vie en même temps que de création. Un choix qui passe par la musique d’abord – le rock – et est intimement lié aux expériences de squats investis artistiquement dans les premières décennies des années 2000, comme par exemple au Jardin d’Alice, un lieu d’expérimentation culturelle et écologique installé à Montreuil, qui déménagera plus tard à Paris dans le 12e arrondissement. Des initiatives qui se situent dans le sillon creusé par la démarche de Luis Pasina, un artiste uruguayen qui réalise en Uruguay des œuvres d’art sur des terrains vagues ou dans des bidonvilles avant de s’installer à Paris et d’intervenir dans de nombreux squats. L’artiste prône un art global, conceptuel et nomade, à la fois pluriel et singulier, dans une osmose entre l’art et la vie, où l’utilisation d’éléments naturels offre matière à création. Cette démarche, qui articule l’individuel et le groupe, ces expériences déjà rôdées du collectif pour échapper à l’enfermement, le rapport à une préoccupation écologique qui refuse le gaspillage et privilégie la récup’ nourrissent la démarche d’implantation au Moulin de l’Hydre.

Phot. © Xavier Tesson

Phot. © Xavier Tesson

Un lieu d’habitation et de création

Le Moulin de l’Hydre coche en effet toutes les cases. Parce que des bâtiments d’habitation existent et qu’ils offrent au groupe des six fondateurs, qui se connaissent depuis plus de dix ans, la possibilité d’y vivre au quotidien. Parce que la multiplicité des espaces et leur aménagement possible, déjà en partie réalisé – l’un des membres fondateurs est architecte et deux d’entre eux sont des « bâtisseurs » –, offre l’opportunité d’accueillir, de mars à octobre des artistes en résidence – l’absence de chauffage interdit l’hiver –, une vingtaine de créateurs chaque année pour des résidences imaginées par modules d’une semaine dont une au plus long cours, telle celle de Pierre Bidard qui donnera lieu à un spectacle en 2025. Et parce que les locaux offrent des lieux de stockage et de répétition.

Une partie du plancher, démonté et restauré, a servi à l’aménagement des résidences. Les lieux, débarrassés des cuves qui l’encombraient, permettent aujourd’hui la récupération et l’entrepôt d’accessoires et de matériel de théâtre qui autrement auraient fini au rebut, de dons qui vont du matériel électrique aux accessoires de scène – chaise-fétiche du Théâtre d’Évreux, lustre hérité du Théâtre des Quartiers d’Ivry, rideaux venus de la Philharmonie – en même temps que les espaces d’un atelier de construction et de lieux de répétition. Une « fabrique » créatrice, qui reprend à son compte l’âme des lieux, en phase permanente de remaniement, où l’on envisage même de remettre en place des turbines pour produire de l’électricité hydraulique.

Simon Falguières introduisant le Festival. Phot. © DR

Simon Falguières introduisant le Festival. Phot. © DR

Territorialité : un ancrage fort

Faire revivre le lieu du Moulin qui parle encore à la mémoire des habitants des alentours – certains y ont travaillé autrefois et il résonne pour les autres de l’écho de souvenirs familiaux qui lui sont liés – constituait l’un des enjeux de l’implantation de la compagnie le K, dirigée par Simon Falguières. Ne pas faire du Moulin seulement le lieu de travail de la compagnie mais aussi l’inscrire dans son environnement, créer du collectif en en faisant le lieu d’une pulsation en résonance avec la région était une partie intégrante du projet. Pour revivifier la vie dans un contexte où la retraite de l’épicier du bourg – sa boutique abritait aussi un dépôt de pain – entraîne aujourd'hui, à l’initiative du maire, les habitants à assumer par roulement le fonctionnement de l’établissement.

C’est dans le même esprit que Molière et ses masques, la dernière création théâtrale de la compagnie, présentée lors du Festival de l’Hydre en septembre 2024, est imaginé pour être joué sur des tréteaux, en plein air et en itinérance, dans la région. La présentation du spectacle donnera lieu, pendant six jours, à une marche journalière de quatre heures le long de la vallée de l’Orne au terme de laquelle les tréteaux seront dressés pour une représentation. La dernière étape aboutira à la Comédie de Caen, partenaire du spectacle.

Phot. © DR

Phot. © DR

Le Festival de l’Hydre, un trait d’union avec son lieu d’implantation

Cette démarche trouve une autre concrétisation avec le Festival de l’Hydre, qui associe les habitants de la région au fonctionnement même du festival et en est à sa deuxième édition. Durant deux jours, soixante-dix bénévoles en assument la bonne marche, de l’accueil du public à la billetterie – la participation au Festival est laissée à l’appréciation des spectateurs –, à la buvette et à la cuisine – d’authentiques plats cuisinés et non l’habituelle restauration rapide de ce genre de manifestation –, sans compter les multiples modifications et déménagements occasionnés par l’installation des spectacles et les aléas météorologiques… Ce qui frappe, c’est la présence, au côté de l’habituel public des festivals de théâtre, d’une jeunesse nombreuse, attirée là par une manière de voir la culture dépoussiérée, autrement, sans « C » majuscule, plus ouverte dans ses formes et ses sujets, plus éclectique. Le public ne s’y trompe pas. Les « salles » sont pleines. On y vient en famille, on s’y retrouve, on y échange des nouvelles. Le plaisir est là, la curiosité de mise. Le public est ouvert, réceptif, partie prenante.

Eva Rami. Phot. © Xavier Tesson

Eva Rami. Phot. © Xavier Tesson

Un lieu pour tous les publics

La programmation, de son côté, joue la carte de la diversité et du populaire. Ainsi, le Festival 2024 offre, outre Molière et ses masques (qui fait l’objet d’un article séparé), écrit et mis en scène par Simon Falguières, une diversité de formes et de démarches en direction de différents types de publics. Alors qu’Eva Rami, qui s’anagramme dans Va aimer, se livre, dans un one-woman-show, Molière du meilleur seul.e-en-scène, à une savoureuse et humoristique évocation des tribulations d’un personnage féminin, Elsa, sur les chemins pleins d’obstacles et de chausse-trapes de la condition féminine et de sa libération, les Sillages de Quentin Beaufils et Léo Ricordel choisissent pour environnement sonore de leur spectacle de trampoline des enregistrements faits dans la région, avec des adultes et des enfants dans une école de Cerisy. Si le projet mériterait d’être affiné dans la coexistence et les correspondances entre le nous collectif de la vie comme elle vient, exprimé par les textes des interviews, et le duo d’acrobates musicalisé en live qui explore la sensation de la chute et du rebond, du séparément en même temps que du côte-à-côte, du différent et du « ensemble », la présence des enfants, des interviewés et de leurs proches, installés en cercle autour du trampoline, donnent un charme particulier à l'expérimentation. Ils réagissent avec vivacité au texte, à la performance et aux thèmes qui y sont développés : la solitude, le contact, l’amour, le temps qui passe, la mémoire…

Les instants de vie imprègneront aussi les portraits bruts et sans filtre des cinq jeunes gens immergés dans l’univers des images numériques d’Incroyable ! Vous ne devinerez jamais ce que va faire cet homme à 2 min 32. Une autre « culture », bien éloignée de l’héritage que nous ont légué nos parents… Ces tranches de vie emprunteront des chemins artistiques et littéraires avec Danube de Mathias Zakhar qui suit le parcours du fleuve, de sa source à son embouchure, croisant entre autres en Mitteleuropa Bach, Schiele, Nolde, Schiller, le germaniste Claudio Magris et la figure tragique du poète juif Paul Celan. Ses chemins d’errance, touchants et authentiques par endroits mais mal maîtrisés, mériteraient d’être resserrés et débarrassés de leurs scories, dans cette évocation qui rencontre la famille hongroise du narrateur comme la solution finale. Enfin, plus « classique » sera le concert de Marie Jocteur et Manon Rey où harpe, guitare, percussions, saxophone et voix déclineront l’amour sous toutes ses formes et dans toutes ses humeurs.

Quentin Beaufils et Léo Ricordel. Phot. © Xavier Tesson

Quentin Beaufils et Léo Ricordel. Phot. © Xavier Tesson

Une pérennisation à consolider

Si les « propriétaires » du Moulin sont ses six membres fondateurs, c’est une association, à laquelle le K apporte son concours, qui gère l’usine et les activités culturelles du lieu : les Bernards l’Hermite. Deux ans et demi de travaux, dont une toiture refaite, ont été nécessaires pour aménager la partie « moulin » qui abrite les résidences, avec le concours notamment de l’Europe et de la Région. 1,5 million d’euros seraient utiles, a minima, pour compléter l'aménagement du lieu, et deux millions à deux millions et demi une prévision plus juste. La création, par ailleurs, d’une salle de théâtre (comme à Bussang, dans les Vosges, par exemple), abritée des intempéries qui ont cette année encore perturbé le fonctionnement du Festival, nécessiterait de trouver un financement. La situation du Moulin, en plein cœur d’une zone rurale – la ville la plus proche, Flers, ne compte que 14 000 habitants et les villages environnants, Cerisy-Belle Étoile, Montsecret-Clairefougère ou Saint-Pierre d’Entremont ne dépassent pas 800 habitants pour le plus peuplé – est, malgré l’appui des instances locales, un frein, en dépit des déclarations officielles sur l’aide à la ruralité.

L’expérience de Bussang – un théâtre populaire qui fêtera l’an prochain le jubilé de ses 130 ans – montre que la réussite est possible. L’enthousiasme de Simon Falguières et de l’équipe de l’Hydre, le soutien apporté par toute la population, son bonheur d’être là – même sur un air de Chantons sous la pluie – et ses élus sont autant de gages d’un mélange réussi. La cuisine est bonne… Reste à alimenter le fourneau pour maintenir le feu…

La scène de Molière et ses masques. Phot. © DR

La scène de Molière et ses masques. Phot. © DR

Festival de l’Hydre
Festival organisé par Les Bernards l'Hermite et programmé par le K-Simon Falguières
Prochaine édition le premier week-end de septembre

Prix libre pour l'entrée – réservation lhydre.com
Molière et ses masques
S Texte, mise en scène, scénographie Simon Falguières S Avec Antonin Chalon, Louis de Villers, Anne Duverneuil, Charly Fournier, Victoire Goupil, Manon Rey S Construction des tréteaux Le Moulin de L’Hydre Alice Delarue, Léandre Gans S Création des musiques Simon Falguières, Manon Rey, Antonin Chalon, Charly Fournier S Création costumes Lucile Charvet. Sur le spectacle, voir notre article en suivant ce lien : http://www.arts-chipels.fr/2024/09/moliere-et-ses-masques.retrouver-l-essence-et-l-impact-d-un-theatre-populaire-itinerant.html 

TOURNÉE (en construction)
En itinérance autour du Moulin de l’Hydre (13 septembre 2024 Domfront, 15 septembre 2024 Saint-Pierre d’Entremont)
Du 23 au 28 septembre 2024 en itinérance avec Transversales à Verdun (Hononville, Stenay, Verdun, Dompcevrin)
– Tournée des collèges ornais sur la saison 24-25
– Tournée en itinérance entre le Moulin de l'Hydre et la Comédie de Caen au printemps 2025.

Va aimer
S De et avec Eva Rami S Regard dramaturgique Camille Boujot S Collaboration artistique Alice Carré et Emmanuel Besnault
TOURNÉE
– 21 septembre 2024 Théâtre Le Comoedia, Marmande (47)
-–à partir du 23 septembre Théâtre La Pépinière,Paris, les lundis à 21h
– 14 novembre Théâtre Ducourneau, Agen (47)
 – 15 novembre Palais de la culture, Puteaux (92)
– 23 novembre La Saison Sud-Hérault, Cruzy (34)
 – 26 novembre Théâtre du Thelle, Meru (60)
 – 30 novembre Centre Culturel Jean-Vilar, Champigny-sur-Marne (94)
– 5 décembre Théâtre d’Aurillac, Aurillac (15)
– 7 décembre Centre des Loisirs et Culture, Guilvinec (29)
 – 14 décembre Espace Culturel Mendi Zolan, Hendaye (64)
– 10 janvier 2025 Casino Grange Delux Théâtres, Le Locle (CH)
– 11 janvier Salle du Lignon, Vernier (CH)
– 14 janvier L’Aria, Cornebarrieu (31)
– 18 janvier Teatre de Sarrià, Barcelone (ES)
– 23 janvier Piano’cktail, Bouguenais (14)
– 24 janvier Théâtre L’Eclat, Pont-Audemer (27)
– 29 janvier Maison de la musique, Nanterre (92)
– 30 janvier Théâtre Le Dôme, Saumur (49)
– 4 février Théâtre Louis Jouvet, Rethel (08)
– 6 février L’échappée, Sorbiers (42)
– 7 février Théâtre Jacques Bodoin, Tournon-sur-Rhône (07)
– 8 février Centre Culturel Communal Charlie Chaplin, Vaulx-en-Velin (69)
– 6 mars Cresco, Saint-Mandé (94)
– 7 mars MJC Jacques Tati, Orsay (91)
– 13 mars Théâtre les 3 Pierrots, Saint-Cloud (92)
– 14 mars Théâtre du Cormier, Cormeilles-en-Parisis (49)
– 22 mars POC, Alfortville (94)

Danube
S Écriture et jeu Mathias Zakhar S Création Sonore Hippolyte Leblanc
TOURNÉE (en construction) : En itinérance à Nanterre du 27 janvier 2025 au 2 février 2025

Incroyable ! Vous ne devinerez jamais ce que va faire cette fille à 2min32
S Création Mélina Despretz S Collaboration et co-écriture Eliott Lerner S Direction et composition musicale Mathieu Husson S Réalisation vidéo Olivier Bonzom S Costumes Yamra S Scénographie Nush S Arts numériques Kaspar Ravel S Intervenantes chorégraphiques Chandra Grangean, Hope et Malka Amekpom-Zloto (Krump) S Interprètes Richard Deshogues, Maryne Lanaro, Lola Gutierrez, Aurélien Pawloff, Martin Van Eeckhoudt S Olivier Bonzom à la caméra plateau et Mathieu Husson au son live

Sillages
S Écriture, conception, mise en scène et interprétation Quentin Beaufils et Léo Ricordel S Musique live Zoe Kammarti
TOURNÉE (en construction) : 22 au 24 mai 2025 Théâtre Silvia Monfort, Paris

Moi aussi
S Marie Jocteur et Manon Rey
TOURNÉE : 20 septembre à Grenoble

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article