16 Juillet 2024
Du cirque pour les petits et les grands, et du matin au soir : les enfants s’envolent dans des ateliers de trapèze et, sous les pins ou les chapiteaux, dans la cour de l’école et sur la place du village, clowns, acrobates, jongleurs invitent à rire et frémir...
Quinze ans et tout son mordant
Ce bourg ardéchois de 1 200 habitants accueille depuis des décennies un festival d’été qui, programmé par ses directeurs successifs, a fait revivre le site exceptionnel d’un théâtre antique réaménagé petit à petit. En 2009, le Département en a confié la direction à la compagnie de clowns Les Nouveaux Nez, en la personne d’Alain Reynaud, directeur artistique, qui venait d’ouvrir La Cascade, Pôle national des Arts du Cirque, à Bourg-Saint-Andéol dans le Bas-Vivarais.
Une histoire de transmission et de territoire
Alain Reynaud, enfant du pays, avait entraîné ses amis clowns, réunis à la sortie du Centre national des Arts du Cirque (CNAC), en Ardèche. Ils se sont implantés dans la menuiserie paternelle, contre l’avis de beaucoup de professionnels. « Ce lieu est un ovni dans le paysage […], assure Alain Reynaud. Je rêvais d’une maison ouverte, carrefour des arts autour du clown. » Depuis, malgré les sceptiques, La Cascade s’est installée dans un ancien couvent, devenu le pensionnat de garçons Saint-Joseph, fermé neuf ans plus tôt. Avec assez d’espace pour accueillir bureaux et cinquante compagnies en résidence par an. Et une salle de spectacles de 180 places pour sorties de résidence et créations. Le Pôle cirque mène des actions sur tout le territoire avec notamment les festivals d’Alba-la-Romaine et des Préalables, des actions culturelles dans les écoles et les E.P.H.A.D. et une formation de clown. Mais en même temps, il diffuse hors les murs ses propres créations et celle de ses résidents. Dernièrement, un espace d’entraînement pour les artistes a été aménagé pour accueillir de jeunes circassiens sortant des écoles. Certains d’entre eux ont élu domicile autour du Pôle. « Une histoire humaine et artistique autour du personnage du clown, un lien à la transmission et au quotidien de l’artiste, au territoire et à ses habitants, inspirateurs de toute cette ouverture… », dit Alain Reynaud.
Un festival populaire dédié aux arts du cirque
Non content d’investir les ruines bucoliques, le Festival s’égaye dans huit espaces, du cœur du village à une vaste prairie ombragée au bord de l’eau et aux contreforts d’un pic rocheux… « On prend les lieux comme ils sont, avec le moins d’éclairages et de technique possibles, dit Marie-O. Roux, la secrétaire générale. Les spectateurs peuvent déambuler d’un lieu à l’autre à la découverte d’Alba-la-Romaine. Chaque année, ils sont de plus en plus nombreux, venus, pour les deux tiers, des environs. »
Qui dit festival, dit aussi fête, et à l’heure des spectacles, on se presse au QG, Le Carbunica (du nom d’un cépage local cité par Pline l’Ancien), avec ses bistrots, ses ginguettes, son marchand de glace. On y paye en carbus, jetons du cru (1 carbu = 1€30).
Les quelque 170 bénévoles, engagés pour l’occasion (parmi quelque mille demandes) s’affairent du parking à l’accueil et à la billetterie, en passant par les buvettes et l’entrée des spectacles. Une gestion compliquée pour organiser les plannings de 25 équivalents temps pleins. Sans eux, ce festival ne pourrait exister et ils viennent en appui d’une équipe de 60 professionnels mobilisés pour une quinzaine de spectacles pendant une semaine, du matin au soir.
Il y en a pour tout le monde.
Pour le visiteur qui voudrait suivre le rythme de ces journées, il y a matière, depuis les petites formes du matin jusqu’au grand format dans le théâtre antique au coucher du soleil. Et deux spectacles gratuits par jour, à midi et à 18 heures… Les couche-tard peuvent assister aux concerts, à 23 heures. Quant aux lève-tôt, des ateliers et des stages de cirque et d’expression artistique leur sont proposés : enfants, adolescents et adultes s’initient aux échasses, au trapèze, au mini-volant, à la danse, au hula-hoop... Les flâneurs auront droit à des siestes musicales (en lien avec le Festival Cordes en Balade), et les curieux découvriront, au musée archéologique départemental, des vestiges d’Alba-la-Romaine, longtemps oubliée sous les vignes, une ville au rayonnement attesté dans les écrits anciens. Cette année, Alain Reynaud ne présente pas de spectacle et offre les nombreux lieux du festival à « des compagnies historiques et des jeunes, dans tous les styles, nous ne défendons pas une mono-esthétique». De quoi faire le plein d’émotion, d’énergie et de bonne humeur, et, par les temps qui courent, sentir la solidarité qui unit tous ces artistes.
Underfoot. Six pieds sous terre
17 heures, au Carbunica, centre névralgique du festival. Dans un petit enclos, la Keep Company s’intéresse aux cycles de la nature. L’Américaine Abby Neuberger et l’Italien Luca Bernini font une entrée solennelle en frac : ils célèbrent leurs noces par quelques figures acrobatiques avant que leur lit nuptial ne devienne leur dernière demeure. Ils y reposent, à la manière des gisants de la statuaire royale. Les voici aussitôt ensevelis par une maîtresse de cérémonie appelant, en musique, le public à couvrir leur tombeau de fleurs... De leurs dépouilles naîtra une chenille géante : elle rampe et frétille puis se scinde en un duo de papillons aux ébats suggestifs... Dans ce jeu de métamorphoses un peu laborieux, et parfois vulgaire, les deux artistes rompus au main à main et aux claquettes nous invitent à une réflexion philosophique.
League & Legend place la barre très haut
18 heures : représentation gratuite en plein champ. Les gradins et les prés débordent de spectateurs enthousiastes devant les parodies sportives de la compagnie belge 15 feet 6. Chronomètre en marche, les quatre acrobates se lancent dans la compétition : course à pied, cyclisme, équitation, saut, ping-pong, tennis, golf... Tout en cabriolant ou en grimpant au mât chinois, ils bricolent des agrès à partir de barres russes et de ruban adhésif : 15 Feet 6 (15 pieds 6, ou 473 cm), est la longueur de la perche flexible, un agrès de cirque pour voltigeurs. Ils se font des farces, se disputent le micro, mais finalement à tous les coups, ils gagnent et les rires saluent leur performance multisport.
Salto. Les défis de la haute voltige
Avant la tombée de la nuit, au théâtre antique, 11 acrobates, éclairés par le soleil couchant, envahissent la scène. Ils se présentent brièvement, selon leur origine et leur spécialité. La troupe compte 5 nationalités dont certains binationaux : pour eux, un pied de nez au R. N. ! Après quelques pirouettes, un défi est lancé par le meneur de jeu : rester en l’air pendant dix minutes. Un challenge qui invite les interprètes, chanteuse et musicien inclus, à user d’imagination et de stratégie tout en se coordonnant avec minutie. Entre le trampoline et la bascule, d’une plateforme à l’autre, un mouvement perpétuel s’instaure : on grimpe puis l’on s’envole en toute confiance en ceux et celles qui vous réceptionnent. Toujours plus haut, toujours plus complexes, les figures se croisent dans un jeu d’affrontements et de collaborations. Sous la houlette du Franco-Colombien Edward Aleman, les artistes tissent entre eux un spectacle choral. Entre les doubles et triples saltos avant, arrière ou vrillés, pour reprendre leur souffle, ils mêlent leurs voix aux accents de la guitare électrique, du violon et de la musique techno et, à travers leurs histoires personnelles, répondent à un autre défi : celui de l’actualité brûlante, qui vient de frapper tout particulièrement les terres ardéchoises.
Les Fauves. Les forcenés de la jongle
La nuit est tombée. Sous les étoiles, nous visitons la ménagerie du cirque Eo Ea, installée autour de la piste, restée exceptionnellement à ciel ouvert, car le montage du chapiteau-bulle gonflable de la compagnie nécessite 94 m3 d’eau, inenvisageable en Sud Ardèche au mois de juillet. Solène Garnier, dont les compositions accompagnent le spectacle, nous prodigue instructions et commentaires sur ce show en deux temps, dans un espace hors norme. «Plus que jamais, les spectacles de jonglage ont besoin de se détacher des formes existantes, telles que la boîte noire ou la piste de cirque », affirme la compagnie Ea Eo qui a créé Fauves à l’Espace-Cirque d’Antony en 2022.
La chanteuse et musicienne chauffe l’ambiance pour une déambulation de quarante minutes, d’une cellule à l’autre, où chacun des cinq jongleurs se livre à un numéro solitaire. Éric Longequel évolue sous l’eau dans un aquarium en jouant avec des objets flottants bizarres. Dans une cage de verre, Neta Oren jongle à perdre haleine sur un dance floor, avec ses balles blanches, au rythme infernal d’un rap impérieux, diffusé dans notre casque. Plus loin, Emilia Taurisano, gracieuse, fait rebondir ses balles d’un pied à l’autre, suspendue à un fil telle une araignée. Elle ouvrira aussi de petites boules transparentes d’où jaillissent confettis et plumes. Johan Swartvagher, lui, nous attire à l’extérieur et, surgi des buissons, lance en maugréant tout haut branchages et massues contre le ciel étoilé. Pendant ce temps, au centre de la piste, Sylvain Julien, bras et visages bandés, fait tourner son hula-hoop comme un forcené, corps machine qui rappelle le Lucky d’En attendant Godot. Il continuera de le faire lorsque, en seconde partie du spectacle, les fauves au grand complet le rejoignent, devant le public rassemblé sur les gradins. Les jongleurs se déchaînent pour une équipée sauvage et poétique où chacun joue en boucle, sous les ordres de Johan Swartvagher, le Monsieur loyal de la troupe. Une pluie de confettis viendra bientôt clore ces deux fois quarante minutes. Comme les animaux de cirque, les artistes sont sous l’emprise d’une passion aiguë et dressés à la performance, espérant atteindre le « meilleur jonglage ». Une critique humoristique de cette course au surpassement de soi.
Trois clowns : du blues au burn out
10 heures le lendemain matin, après un violent orage qui a ravagé les vignobles alentour. Au pied du village, au-delà de l’Escoutaye, cours d’eau capricieux au régime cévenol, une petite scène est installée au lieu-dit La Roche, où se dresse un énorme rocher de basalte. Les trois clowns entrent en piste, sur une musique de cirque désuète, en costumes d’un autre âge. Monsieur Lô, le Blanc, et les Augustes Marcel et Airbus se montrent au bout du rouleau : « En toute coquetterie, nous pensons que 55 ans passés, c’est un bon âge. Nous chérissons nos essoufflements et notre fatigue, leurs manifestations sont matière à jouer. » Ne nous fions pas à leur allure poussiéreuse. Ils ne sont pas en peine de facéties, dérapages, coups fourrés quand ils partent pour un hommage aux clowns d’antan, immortalisés par Tristan Rémy dans Entrées clownesques (1962) : un répertoire de quelque cent cinquante numéros constitués au fil du temps par tous les comiques (bouffons, grotesques, clowns, mimes, pitres, burlesques...). Alexandre Demay, Daniel Péan et Sylvain Granjon ne sont jamais à court de coups fourrés, veuleries, gloutonneries, gags pitoyables... Mais ils savent aussi jongler, cascader, sauter. En vieux routiers de la piste, ils manient à merveille l’art du second degré en jouant des ficelles du métier : ils les revisitent, les détournent ... Un délice d’intelligence et de poésie ; dommage que la fin du spectacle tourne court.
La Cascade, 9 av. Marc Pradelle Bourg-Saint-Andeol T. 04 75 54 46 33
Le Festival d’Alba : Carbunica – Salle polyvalente – 145 Saint-Martin, Alba-la-Romaine T. 04 75 90 44 16
Underfoot
S De et avec Luca Bernini et Abby Neuberger S Regard extérieur Roberto Magro S Costumes Magali Castellan S Musique originale Marco Baranzano S Chorégraphie claquettes Roser Font S Scénographie Paul Alphonse S Régie Catherine Machault S Production et diffusion Clélia de Biasi
League & Legend
S Distribution S Artistes Mateo Girón (ES), Niko Miettinen (FI), Richard Fox (BE/GB) S Mise en scène Jasper D’Hondt (BE) S Production Tropic Sound, Circus vzw & Le Patineur S Coproduction MiramirO
Tournée : du 18 au 21 juillet 2024 Munich (Allemagne) ; 31 juillet Port-Saint-Louis-du-Rhône ; 2 et 3 août Thonon-les-Bains ; 6 août Pornichet ; 9 août Boulleret ; 11 août Flers
Salto
S Conception Edward Aleman S Mise en scène Edward Aleman et Sophie Colleu S Auteur et dramaturge Ronan Chéneau S Collaboration à la chorégraphie Pierre Bolo S Composition musicale Alexandre Bellando S Scénographie Thomas Cartron S Costumes Marie Meyer S Direction technique : Laurent Lecoq S Création lumière Zoé Dada S Distribution Edward Aleman, Alexandre Bellando, Birta Benonysdottir, Célia Casagrande-Pouchet, Fanny Hugo, Hicham Id Said, Jimmy Lozano, Mohamed Nahhas, Gianna Sutterlet, Daniel Torralbo- Perez, Amaia Valle S Production et Diffusion Florent Bourgetel
Tournée : Du 30 sept. au 15 oct. 2024 L’Azimut - Antony
Les Fauves
S Direction artistique Eric Longequel et Johan Swartvagher S Jongleurs & jongleuses Eric Longequel, Neta Oren, Sylvain Julien, Johan Swartvagher, Emilia Taurisano S Composition & musique live Solène Garnier S Direction technique Bernie Bonin S Création lumière Jules Guérin avec la participation de Paul Deschamps S Régie lumière Jules Guérin S Régie son Erwan Sautereau S Regard extérieur Mathilde Roy, Bram Dobbelaere S Assistante à la mise en scène Casseline Gilet S Bande son ménagerie Neta (interprétation & co-écriture), Ramo (instrument) S Mixage & production additionnelle Cinna Peyghamy S Oreille extérieure, mastering chapiteau David Maillard S Costumes Alma Lomax S Conception & fabrication aquarium Florian Wenger S Construction ménageries Thomas Petrucci (dance floor), Wilfrid Swartvagher (Souvenir)
Trois clowns
S Écrit, mis en scène et interprété par Laurent Barboux, Lionel Becimol, Alexandre Demay S Lumières Gilles Cornier S Costumes Nathalie Tomasina S Constructions et création sonore Lionel Becimol S Partenaires Le Samovar, la ville d’Avallon, le Château de Monthelon, Animakt, Aire de Cirque, Jonglissimo, Les Barbarins Fourchus, le théâtre d’Auxerre, Les Zaccros d’ma rue.
Tournée : 31 juillet 2024 Fontenay-le-Comte (85), 1er et 2 août Nalliers (85)