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Arts-chipels.fr

Outsider – il était une fois 4 équilibristes et 21 danseurs et danseuses qui se sont rencontrés tout là-haut, dans les airs !

Outsider – il était une fois 4 équilibristes et 21 danseurs et danseuses qui se sont rencontrés tout là-haut, dans les airs !

Un fond de scène lumineux qui changera de couleur au fur et à mesure du spectacle, éclaire la scène, traversée par des fils. Un premier danseur apparait, gracile et fragile en ombre chinoise, puis un autre et encore un autre pour avoir enfin toute la troupe sur scène. Cavalcades, diagonales, effervescences et acrobaties jalonnent cette première partie sur la musique effrénée de Julius Eastman. On a un vrai sentiment d’urgence, de course folle, de précipitation dans cette première partie. Les interprètes enchainent des portés incroyables qui n’ont rien à envier à l’acrobatie. C’est rythmé, foisonnant, pulsatif au rythme répétitif de la musique de Julius Eastman.

Puis le calme revient, le silence se fait et comme par magie les quatre équilibristes avancent lentement sur leur fil tendu dans l’espace à des hauteurs différentes. On retient son souffle, on suit pas à pas l’avancée sur le fil de ces funambules on dit désormais « Highliners » en bon français. Les mouvements sont plus fragiles, plus délicats à la limite du chancelant. On passe de la précision des mouvements d’une foule effrénée à la délicatesse éphémère d’un flocon de neige. Cet espace scénique soudain libéré décale notre regard et nous ouvre des horizons différents comme ce sentiment de flottement, cette vision de la fragilité, cette possibilité de tomber que nous n’abordons jamais dans ces spectacles de danse où tout est toujours bien calé et réglé au millimètre. Cette dissonance entre déséquilibre assumé et aplomb tourmenté crée une harmonie éphémère et plutôt subversive qui nous questionne et moi me réjouit.

Outsider – il était une fois 4 équilibristes et 21 danseurs et danseuses qui se sont rencontrés tout là-haut, dans les airs !

Et pour revenir au spectacle, après cette partie « filandreuse » et aérienne, les danseuses et danseurs reviennent petit à petit mais les mouvements ont intégré cette fragilité. Le rythme est différent. Les déplacements ne se font plus seulement sur « terre » mais intègrent l’entièreté de l’espace scénique dans les 3 dimensions. Les danseuses s’élèvent à la rencontre des équilibristes. Elles sont propulsées toujours plus hauts par leurs comparses pour rejoindre les funambules qui les accueillent au final du haut de leur fils.

La foule, la nuée d’étourneaux, base de la chorégraphie

Rachid Ouramdane décrit sa création comme une évocation des nuées d’étourneaux qui animent le ciel de nos villes. Ces « nuages vivants » composés d’une multitude d’oiseaux montent et descendent, tournent et retournent sans jamais s’entrechoquer ni se télescoper. Cette « magie » du cheminement en collectif est une incroyable leçon d’attention à l’autre et à son environnement. Sur scène les interprètes enchainent les diagonales, les rondes et les figurent de groupe entremêlés de mouvements désynchronisés qui suivent le rythme des pianos avec toujours au final un sentiment d’accordance et d’harmonie.

Outsider – il était une fois 4 équilibristes et 21 danseurs et danseuses qui se sont rencontrés tout là-haut, dans les airs !

La pièce questionne le point limite que peut dépasser un danseur ou un sportif.
C’est une chorégraphie qui contrairement à beaucoup d’autres met en scène le risque de chute et de la ligne brisée. C’était un pari risqué de mêler des sportifs de l’extrême fragilité à des danseurs et danseuses lancés à pleine vitesse dans des mouvements de groupe, de vouloir interagir sur deux mondes distincts en les interconnectant. En agissant ainsi le résultat est la démultiplication des possibilités des uns et des autres par le croisement de leurs personnalités et de leurs spécificités et l’exploration d’un nouveau champs des possibles qui enrichit la palette de chacun et repousse leurs limites respectives.

C’est donc aussi une quête pour échapper à sa prédestination. Est-ce le rêve d’un danseur ou d’une danseuse de sauter si haut qu’iel va s’envoler ? Est-ce le désir profond d’un funambule de pouvoir danser sur son fil ?  Au final, chacun et chacune à avancer un peu plus loin et la rencontre à eu lieu pour notre plus grand plaisir.

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Le clair-obscur ou théâtre d’ombre comme imaginaire.
La scénographie de Sylvain Giraudeau, alliée aux lumières de Stéphane Graillot crée un univers très graphique en jouant sur les contre-jours et les clair-obscur. Un immense fond de scène lumineux et des artistes en contre-jour nous entrainent dans un tableau de Miro avec la série des grands bleus par exemple ou chez Kandinsky avec ses compositions.
Les interprètes se découpent en noir sur le fond coloré ou blanc et ce contraste accentue la précision de leurs mouvements en reflétant également leur fragilité. Le rythme effréné de la chorégraphie contraste et met en évidence la sobriété épurée de cette mise en scène.

Julius Eatsman, figure marginale et marginalisé de la scène minimaliste new-yorkaise.
Julius Eastman est un compositeur, pianiste, chanteur et danseur africain-américain du courant minimaliste. Les titres de ses œuvres ont souvent un aspect politiquement provocateur comme Evil Nigger ou Gay Guerrilla. Il était engagé politiquement et poète solitaire au destin tragique. En 1974, Julius Eastman est nommé aux Grammy Awards pour son interprétation de Eight Songs for a Mad King, de Peter Maxwell Davies. Il perd son poste à l'université de Buffalo après un scandale au cours d’une performance – conférence où il assumera son homosexualité, ce qui heurte toute la société bien-pensante de l’époque. Mais il se consacre à la composition et après avoir collaboré une première fois avec Meredith Monk en 1981, en tant qu'interprète sur son album Dolmen Music, Julius Eastman l’accompagne aux claviers sur Turtle Dreams deux ans plus tard. Mais, pendant l’hiver 1981-82, il fut expulsé de son appartement par la police, qui détruisit la plupart de ses biens, dont des partitions et des enregistrements. Il fut retrouvé mort en 1990, dans les rues de Buffalo, après des années de vagabondage. Ce n'est qu'au cours des années 2010 que son travail est redécouvert.

Outsider – il était une fois 4 équilibristes et 21 danseurs et danseuses qui se sont rencontrés tout là-haut, dans les airs !

Une vision du collectif et du vivre ensemble remis en question aujourd’hui
Rachid Ouramdane, dans son interview, évoque l’importance du collectif, et la transformation de la vulnérabilité en force. Il souligne également comment ses créations célèbrent l’harmonie et la solidarité. Ainsi, avec ses mots « Il y a toujours en creux l’urgence de croire en un collectif fondé sur le respect, l’accueil à ceux qui nous sont différents. » Rachid Ouramdame nous replonge dans notre contexte d’aujourd’hui et la montée de l’extrême droite et des idées et comportements racistes et discriminatoires.
Nous sommes le 26 juin et en ces temps troublés ce discours apaisant et solidaire fait énormément de bien. C’est ensemble que nous pourrons avancer et progresser. C’est la diversité qui créé la richesse et l’harmonie. Et c’est par le collectif que nous pourrons trouver des solutions aux énormes problèmes environnementaux mais aussi hélas politiques qui nous attendent.  Rachid Ouramdame est porteur de cet espoir que tout est encore possible parce que nous croyons au collectif, à l’entre-aide et à la solidarité. Pour cette belle leçon de rapprochement des différences je n’ai qu’un mot : merci !

Distribution :
 

Chorégraphie Rachid Ouramdane
Scénographie Sylvain Giraudeau
Costumes Gwladys Duthil
Lumières Stéphane Graillot
Assistante chorégraphique Mayalen Otondo
Musique Julius Eastman (Evil nigger et Gay guerilla)
Intervenants Hamza Benlabied, Airelle Caen, Clotaire Fouchereau
Les danseuses et danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève
Yumi Aizawa, Jared Brown, Adelson Carlos, Anna Cenzuales, Zoé Charpentier, Quintin Cianci, Oscar Comesaña Salgueiro, Diana Dias Duarte, Armando Gonzalez Besa, Zoe Hollinshead, Julio León Torres, Mason Kelly, Ricardo Macedo, Emilie Meeus, Léo Merrien, Stefanie Noll, Juan Perez Cardona, Luca Scaduto, Sara Shigenari, Geoffrey Van Dyck, Nahuel Vega, Madeline Wong
Highliners Nathan Paulin, Tania Monier, Louise Lenoble, Daniel Laruelle
Enregistrement musical Sub Rosa avec les interprètes Melaine Dalibert, Stéphane Ginsburgh, Nicolas Horvath, Wilhem Latchoumia
Création mondiale mai 2024 – Ballet du Grand Théâtre de Genève
Enregistrement musical : Grand Théâtre de Genève, représentation du 4 Mai 2024
Sous la direction de Stéphane Ginsburgh
Pianistes : Adrián Fernández García, Pilar Huerta Gómez, Lucie Madurell, Luca Moschini

Coproduction Chaillot – Théâtre national de la Danse - La Villette

 

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