21 Juin 2024
La pièce impertinente et facétieuse de Nicolas Gogol, écrite dans le contexte de la Russie tsariste, conserve un plaisant parfum d’actualité qui en redouble la saveur.
C’est le branle-bas de combat dans le Landerneau russe d’une petite ville de province. Une indiscrétion annonce la venue incognito d’un fonctionnaire d’État. C’est la panique dans ce petit milieu où la prévarication règne. Le Gouverneur-bourgmestre ponctionne les marchands, la Juge est corrompue, la directrice de l’hôpital-curatrice des œuvres de charité affame ses pensionnaires pour se sucrer, chacun tire parti de sa position de notable fonctionnaire pour toucher des pots de vin en liquide ou en nature. L’arrivée d’un représentant du pouvoir central, c’est le risque que toutes ces petites combines apparaissent au grand jour et qu’une punition s’ensuive. Justement, il y a en ville, à l’auberge, un jeune homme dont personne ne sait pourquoi il est là – en fait, il a perdu tout son avoir aux cartes et reste coincé là, faute de moyens, avec une note d’auberge impayée et conséquente. Voici nos notables convaincus que ce jeune homme venu de Saint-Pétersbourg est le fonctionnaire annoncé.
Un quiproquo initial aux conséquences savoureuses
Commence alors un ballet aussi savoureux que drôle pour le circonvenir. Le gouverneur l’installe chez lui, où le nouvel arrivant s’empresse de courtiser tout ce qui porte jupon dans la famille. Chacun lui rend une petite visite pleine d’obséquiosité, espérant se gagner ses faveurs, non sans se répandre en médisances sur les autres notables et sans se transformer en délateur qui dit pis que pendre de ses collègues. Bref ce jeune homme léger et mauvais payeur se retrouve au cœur d’une corruption généralisée dont il va faire son miel, tirant parti des attentes de chacun. Et lorsque le pot aux roses sera découvert, il sera déjà loin, après avoir ponctionné chacun d’une somme rondelette…
Un traitement caricatural sur un thème à l’humour grinçant
La légèreté est à l’ordre du jour de cette plaisante comédie qui n’en dit pas moins la pourriture d’une société où la corruption règne. La mise en scène met l’accent sur la comédie sociale, transformant les personnages en pantins sans épaisseur, en marionnettes clownesques au visage blanchi et au maquillage outrancier. Il suffira que les femmes apposent sur le rouge très artificiel de leurs pommettes quelques paillettes et ajoutent quelques colifichets à leur tenue pour se métamorphoser en poupées avides de séduire le nouveau venu qui fleure bon la capitale. Les personnages en émoi tourbillonnent comme des toupies affolées, les femmes perchent leurs voix dans l’hystérie ou le désir de plaire.
Une généralisation qui sort la pièce de son contexte
La répartition des rôles s’écarte de la version d’origine qui est ramenée à une partition à neuf actrices et acteurs. Des femmes assument les rôles du juge et du curateur des œuvres de charité. Les costumes ne suggèrent pas une époque précise mais plutôt le statut de celui qui les porte. Dans cet assortiment où dominent le noir et le blanc, le bourgmestre se présente en redingote et haut de forme, le/la juge en col de fourrure suggérant son enrichissement. Un chapeau à la Diafoirus coiffe la patronne de l’hôpital-hospice, qui ajoute à son cou ceinturé d’une fraise un bardage de bijoux qui en dit long sur ce qu’elle fait de l’argent qui lui est confié. Le responsable indiscret des postes, qui lit le courrier qui ne lui est pas destiné, porte sur son chapeau des lettres qu’il s’est sans doute mises de côté. Quant au serviteur du jeune homme, il arbore un short plutôt insolite dans le cadre. L’impossibilité de rattacher les costumes à une époque précise renvoie à une intrigue de tous les temps.
Un comique de situation dans une mise en scène astucieuse
Pour évoquer les changements de lieu tels que l’auberge ou le domicile du bourgmestre, il suffit de quelques coussins qui habillent astucieusement une banquette de diverses manières pour se transporter ailleurs. La banquette est trop petite pour que les personnages y prennent place, ce qui donne lieu à des situations cocasses, qui viennent ajouter le comique de situation à la drôlerie du quiproquo initial. Le jeune gandin devenu pique-assiette joue un double jeu savoureux avec la mère et la fille en leur présence conjointe. À la frange du vaudeville se dessine une comédie cruelle où nul n’est épargné.
Inventive, la proposition de cette jeune compagnie est joueuse, amusante. On regrettera cependant que ces jeunes gens pressés ne prennent pas davantage de temps pour poser leur voix et laisser entendre le texte. Leur élocution très rapide, le timbre trop haut de leurs hystéries dessert le parti pris farcesque qui règne sur la pièce. Si l’ambition du propos est là, il leur reste à intégrer la différence entre vitesse et précipitation. Affaire de mûrissement d’un spectacle qui reste cependant très divertissant.
Le Revizor de Nicolas Gogol
S Adaptation et mise en scène Théo Riera S Avec Marie Cornudet, Sophie Ellaouzi, Baptiste Foulon, Edgar Gougeon, Grégoire Huet, Corentin Jaouen, Mathieu Lysé, Geneviève Mahé, Anaëlle Malka et Théo Riera S Production Compagnie Les Loubards S À partir de 7 ans S Durée 1h25
À Paris, le 23 juin à 14h45, au Théâtre de Belleville (16 passage Piver)
À Avignon, du 3 au 21 juillet à 14h35, Espace Alya