26 Juin 2024
Destinée aux adolescents mais pas que, cette pièce pleine d’un humour aussi rageur, ravageur que caustique est une réjouissante leçon de vie sur le refrain de « y a-t-il un moyen de s’en sortir quand le monde s’effondre autour de nous ? »
Ambiance palmier et chaise longue, villégiature, îles ensoleillées et farniente dans la plus pure tradition de la publicité proposée par les agences de voyage. Un homme et une femme, lunettes de soleil au nez et boisson à la bouche se prélassent dans cette atmosphère paradisiaque. Ils sont brusquement interpellés par une adolescente qui crie sa colère. Son école part à vau-l’eau, le monde va mal et elle le dénonce avec une énergie vengeresse. Le directeur, cossard – c’est l’homme qui fainéante sur sa chaise longue –, cherche un moyen de désamorcer son mécontentement. Il n’a qu’à faire croire à la démocratie, à l’écoute de la vox populi. Il va organiser des élections étudiantes à l’occasion d’une Semaine du futur. Elle n’a qu’à se porter candidate pour prendre la présidence du comité étudiant.
Deux jeunes gens au cœur de la faillite de la civilisation et de la catastrophe écologique
Jeanne, l'adolescente, s’insurge contre un système en panne, la cafétéria où les lasagnes sont sans fromage, les profs en burnout, une éducation où les élèves sont infantilisés et maintenus en état d’imbécillité et surtout contre la pub déversée dans les toilettes qui fait faussement croire que consommer est la condition d’acceptation de soi. Alors elle la vandalise. Elle est la revendication incarnée. Lui, Olivier, on lui a donné en cadeau une planète Terre en train de brûler. Un monde à plusieurs vitesses où certains enfants travaillent et ont faim tandis que lui, sans vergogne, mange pour les autres. Son horizon, c’est le réchauffement climatique, la disparition des ressources, les migrations forcées, le capitalisme insolent. Dans ce monde d’affreux, sales et méchants, de gloutons et d’ivrognes, une libraire sort du lot : elle lui propose de voler une Encyclopédie du savoir inutile. C’est dans cette veine bisounours qu’il candidatera aussi au conseil étudiant. Un troisième candidat se profile. Sa formule, c’est le clientélisme : des pizzas gratuites pour tous…
Du microcosme scolaire au macrocosme planétaire
L’école, c’est le monde en raccourci, en miniature. Et ils n’y vont pas avec le dos de la cuiller, les ados qui en dressent férocement un portrait apocalyptique. Ils en tracent à grands coups d’exagérations et d’outrances – à peine trop marquées – une satire virulente et sans complaisance dans laquelle stupidité, mensonge, corruption, injustice et violence composent les ingrédients du « globe funeste » dans lequel nous évoluons. Ils en soulignent les absurdités comme celle qui, aux États-Unis, interdit aux moins de seize ans l’achat d’alcool mais leur autorise celle de fusils. Dans cette société où « ceux qui salissent ne sont pas ceux qui essuient », la manipulation de groupe crée un écran de fumée devant les aspirations individuelles, le libre-arbitre est en berne. Sur l’autoroute de la vie, on va droit dans le mur, constatent les ados, et le futur leur fait peur.
Une mise en scène pleine d’inventivité
Ce paysage dévasté, il apparaît sous les dehors de la farce. Tandis qu’au centre, les personnages des adultes – directeur de l’école, parents, patron – font semblant de ne rien voir en poursuivant leur rêve de beau fixe et de vacances dans leur espace protégé, faussement rieur, c’est une piscine de bulles noires comme la pollution qui entoure l’îlot dans lequel ils sont réfugiés. C’est dans ce marigot que se prélasse le troisième candidat, partie prenante du système, dans cette soupe mazouteuse que se noient les personnages. Plus tard s’élèvera au fond de la scène un gonflable aux couleurs rougeoyantes qui enfle de plus en plus pour symboliser la planète en feu. Le jeu règne en maître dans la mise en scène qui ne vise pas le naturalisme mais un décalage dans le grotesque qui fait apparaître toutes les absurdités.
Résiste !
Le Poids des fourmis est la troisième version de cette virulente dénonciation d’un monde qui marche sur la tête. Si elle se place sur le terrain de la révolte contre cette société du chacun pour soi et du no future qui court à sa perte, elle pose aussi la question du « que faire ? » Plusieurs pistes sont explorées dont l’une pose la question de savoir si l’on peut combattre un système de l’intérieur : c’est la règle proposée aux ados par cette course à la présidence du conseil étudiant, déjà vérolée à l’origine par les adultes qui n’ont créé cette instance que pour désamorcer la protestation. Jeanne et Olivier représentent des alternatives du combat à mener, l’une dans la désobéissance et l’action coup de poing, l’autre dans la réponse par la poésie, mais ni l’une ni l’autre ne constituent la solution. Face au nihilisme qui pourrait en découler, la pièce propose une autre possibilité. Et si l’entraide et la solidarité permettaient de rester debout ? Une fourmi seule dans son coin est peu de chose. Mais toutes les fourmis ensemble, cela fait poids. C'est, avec un savoureux soupçon d'accent québécois, un message que les ados, porteurs du futur, devraient entendre, tout autant que les adultes…
Le Poids des fourmis
S Texte David Paquet S Mise en scène Philippe Cyr S Avec Nathalie Claude, Gaétan Nadeau, Élisabeth Smith, Gabriel Szabo S Direction de production Emanuelle Kirouac-Sanche S Direction technique à la création Mélissa Perron S Assistance Vanessa Beaupré S Scénographie Odile Gamache S Costumes Étienne René-Contant S Éclairages Cédric Delorme-Bouchard S Conception sonore Christophe Lamarche-Ledoux S Direction technique et régie en tournée Antoine Breton, Rébecca Brouillard S Codirection artistique Mario Borges, Joachim Tanguay S Récipiendaire du prix littéraire du Gouverneur général - Théâtre – 2022 S Durée 2h, trajet en navette inclus S Tout public, dès 13 ans
Du 4 au 21 juillet 2024, 10h à la Patinoire, 84000 Avignon. RV Navette à 9h45 au théâtre
Théâtre de la Manufacture (2, rue des Écoles, Avignon)
Tournée 2024 - 2025
18 mars 2025 Dieppe – Scène Nationale
27 et 28 mars 2025 Foix – L’Estive Scène Nationale
2 et 3 avril 2025 Avignon – Opéra via le Totem
10, 11 et 12 avril 2025 Genève – Am Stram Gram - Festival Viva
24 avril 2025 Langres – Théâtre
29 avril 2025 Lille - Le Grand Bleu – Festival Youth Is Great