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Arts-chipels.fr

L'Amour vainqueur. Une opérette de poche pour enfants.

© Alain Fonteray

© Alain Fonteray

Olivier Py reprend sa création du Festival d’Avignon 2019, inspirée d’un conte des frères Grimm. Destinée au jeune public, mais pas que, la pièce trouve une deuxième vie dans l’écrin du Châtelet. 

Un conte noir haut en couleurs

Parce qu’elle refuse, par amour pour un prince, d’obéir à son père et d’épouser le vieux roi du pays ennemi, la princesse est enfermée dans une tour et la guerre déclarée. Délivrée par le jardinier, elle découvre un monde ravagé. Plus de nature, plus d'abeilles ni d'oiseaux, ni de prince. Errant parmi les ruines avec le jardinier, à la recherche de son amour, la demoiselle et son compagnon vivent d’expédients. Le prince, défiguré lors de la bataille et manipulé par un général qui vise le pouvoir, se croit déshonoré et, comme pénitence, devra épouser la femme la plus laide et pauvre du royaume : la Fille de Vaisselle. Mais après bien des péripéties, tout est bien qui finit bien.

Les contes de Grimm n’étaient pas destinés aux enfants. Récits jalonnés d’épreuves que les personnages réussissent à franchir, ils racontent des combats entre le bien et le mal et sont teintés de merveilleux chrétien et païen. Ce n’est que plus tard qu’on en tirera des versions édulcorées et moralisatrices.

Olivier Py propose un voyage initiatique à travers un monde de violences, pour trouver le salut. Son traitement cru n’épargne pas le jeune public : les méchants, jeu grotesque, maquillage outré et verbe menaçant, sont de vrais salauds, mais les forces du bien (le jardinier) et la candeur des amoureux l’emportent.

Un système de toiles peintes en fond de scène et de rideaux colorés joue sur une symbolique chromatique : rouge pour la guerre, noir pour la dévastation et la misère, vert pour la paix et blanc pour l’amour. « Je suis l’éclat de rouge au milieu de ce vert », chante le général va-t-en guerre. « Mon cœur est aussi noir que les yeux d'un corbeau», se désespère la princesse au milieu des ruines... Et les amoureux seront réunis, à la fin, sous une pluie de paillettes dorées. On retrouve ce monde coloré dans l’édition de L’Amour vainqueur, avec des dessins un peu enfantins, réalisés par Olivier Py au stylo Bic 4 couleurs, pendant l’élaboration du spectacle.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Une boîte à jouer

Pierre-André Weitz réalise les scénographies et costumes d’Olivier Py depuis 1989 : il conçoit les changements de décor comme « une dramaturgie, une chorégraphie de l’espace ». Un castelet dominant la scène cadre le jeu des interprètes, proche de la marionnette : le général et la fille de vaisselle font dans le style comique troupier ou Guignol ; la princesse est une héroïne conventionnelle pure et candide, dans sa robe de tulle blanc ; le prince se déplace d’un pied léger, puis se traîne lamentablement, un superbe masque sur son visage défiguré ; le jardinier vit la tête dans les nuages à l’écoute des fleurs, des oiseaux et des abeilles – il est la « bonne fée » du conte. Les costumes permettent des travestissements car ici, comme dans Demoiselle Maleen, les personnages changent de sexe au cours de l’histoire. Cette esthétique minimaliste vise à l’efficacité d’un théâtre de tréteaux et en garde le caractère artisanal.

© Alain Fonteray

© Alain Fonteray

Une forme classique pour un propos contemporain

« Javais envie d’un théâtre chanté. L’opérette est la matrice de tout ce que l’on aime ici, au Châtelet », dit Olivier Py. Rien de désuet dans son opérette miniature, écrite en alexandrins blancs (qui ne riment pas), sans « e » muet à la rime ou à l’hémistiche, pour la fluidité du texte. Rien d’empesé dans cette langue poétique : les mots parlés ou chantés coulent avec naturel, et l’oreille s’habitue à cette prosodie.

Le texte est parsemé d’allusions à l’histoire contemporaine et à l’actualité récente, que les enfants ne percevront peut-être pas, comme ce fameux « Nous traversons la rue pour trouver du travail », emprunté à Emmanuel Macron et prononcé dans les décombres d’une ville. La pièce lorgne aussi du côté de l’écologie, quand le jardin verdoyant se transforme en forêt calcinée par le truchement des toiles peintes.

© Alain Fonteray

© Alain Fonteray

Un quatuor tout terrain

L’opérette sollicite des artistes à la fois chanteurs, musiciens et comédiens. Ils sont ici particulièrement véloces : à quatre, ils jouent six rôles, et de surcroit s’avèrent des musiciens hors-pair. Ils intègrent à leur jeu d’acteur leurs instruments, placés devant le castelet. Clémentine Bourgoin, princesse dans le style des comédies musicales hollywoodiennes, tient le violoncelle ; Flannan Obé, jardinier rêveur à la Jacques Tati, se met au tambour, à la flûte et au piano, chasse gardée, en principe, d’Antoni Sykopoulos. Ce dernier excelle dans les rôles de méchant : roi buté et général cruel. Pierre Lebon, tour à tour prince romantique puis Fille de vaisselle, lui disputera aussi l’instrument. Les scènes parlées, rapides, succèdent aux chansons, courtes. La musique d’Olivier Py, dans les arrangements d’Antoni Sykopoulos, ne cherche pas à créer des tubes, mais à habiller les paroles. Les arias, faciles à chanter, évitent ornements et  artifices, ce qui donne aux artistes une grande liberté pour la performance théâtrale.

© Thomas Amouroux

© Thomas Amouroux

L’Amour vainqueur

S Texte, mise en scène et musique Olivier Py S Avec Antoni Sykopoulos (Pianiste, Le général, Le roi), Pierre Lebon (Le prince, La fille de vaisselle), Clémentine Bourgoin (Violoncelle, La Princesse), Flannan Obé (Le jardinier) S Scénographie, costumes, maquillage Pierre-André Weitz S Lumière Bertrand Killy S Arrangements musicaux Antoni Sykopoulos S Construction décor Ateliers du Festival d’Avignon S Confection costumes Ateliers de l’Opéra de Limoges S Production originale du Festival d’Avignon, en coproduction avec l’Opéra de Limoges, l’Opéra de Lausanne, la Scène nationale du Sud-Aquitain (Bayonne), le Théâtre Georges-Leygues (Villeneuve-sur-Lot) S Production Théâtre du Châtelet S L’Amour vainqueur de Olivier Py est publié aux éditions Actes Sud-Papiers S Durée 1h

Théâtre du Châtelet, du 8 au 13 juin 2024

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