24 Mai 2024
Le spectacle d’Élise Vigneron, qui comporte des moments magnifiques, peine cependant à mener de bout en bout le récit d’effacement de l’enfance que propose le texte éponyme de Virginia Woolf.
Sur le plateau vide, cinq comédiens-manipulateurs viennent d’apparaître. Ils extraient d’une armoire des marionnettes de hauteur humaine. Les traits de leurs visages sont réalistes. Ils rappellent peut-être l’autrice et les membres de son entourage, qui ont donné naissance aux personnages. Pourtant, elles ne sont que des succédanés de personnages, des ombres de glace à la fois matérielles et évanescentes, fantômes translucides dont les membres, la tête et le buste articulés sont manipulés à vue par les marionnettistes qui portent leur texte.
Le roman d’une enfance disparue
Le « roman » de Virginia Woolf, pour autant qu’on puisse parler de « roman » dans la suite de monologues qui le forment, est une dérive poétique dans la veine du Portrait de l’artiste en jeune homme de James Joyce. Un roman d’apprentissage et le récit d’une enfance qui s’efface. Dans le spectacle, cinq enfants se regardent et regardent les autres au cours d’une journée où l’on pourrait reconnaître l’espace d’une vie. L’aube tremble encore quand le récit commence. La nuit tombera quand la pièce prendra fin. Les cinq personnages – ils sont six dans le texte de Virginia Woolf – sont comme des variations qui, rassemblées, parlent d’une voix chorale. Il y a là Bernard, le conteur, pour qui la littérature et la phrase ont leur importance ; Rhoda, qui refuse les compromis ; Susan qui fuit la ville ; Jinny dont la vision du monde correspond à sa beauté physique ; Louis, un étranger dans lequel certains critiques ont cru reconnaître T. S. Eliot, à la poursuite du succès. Tous ont en commun un absent, un personnage imaginaire que les rassemble : Percival dont la mythologie renvoie au roman arthurien, le garçon élevé au plus profond de la forêt avant de partir à la quête du Graal, le héros presque divinisé par eux, condamné à disparaître quand s’effacent les vertiges de l’enfance.
Une dramaturgie de la disparition
Ce temps suspendu entre ciel, terre et mer, en suspension dans le creux des vagues, est celui des métamorphoses. Elles vont toucher successivement les personnages qui se présentent, chacun à son tour, sur le devant de la scène. Symboles de leurs enfances qui s’enfuient, les marionnettes de glace fondent progressivement et se disloquent, les unes après les autres. L’une d’elles, plus empressée que les autres d’atteindre l’autre rive, s’approche, comme Icare, trop près du soleil – ici des projecteurs – et les filets d’eau qui s’écoulent d’elle tandis qu’elle se défait ont le caractère poignant et poétique d’une vie qui fuit, de cette disparition programmée de l’avancée de l’âge. Lorsque la pièce arrivera à son terme, les jambes ne seront plus qu’articulations métalliques, les poitrines auront chuté à terre à grand bruit de glace brisée, les visages auront perdu leurs traits et seront devenus méconnaissables. Ainsi l’effacement sera consommé.
Une poétique dans un grand bain qui prend aussi partiellement l’eau
Dans ce monde d’artifices où le poids glacé des marionnettes le dispute à l’état d’apesanteur de leurs évolutions dans l’eau, on se laisse prendre à cette lente disparition programmée, qui voit les figures se déliter, devenir fantômes, souvenirs d’un temps qui disparaît. Cependant, au-delà de l’élément spectaculaire qui allie l’effacement présent dans le texte et une matérialisation physique à travers la fonte des personnages, le spectacle pèche par où il excelle : le caractère spectaculaire de ces marionnettes qui perdent leur statut de personnages a pour corollaire une certaine lourdeur et raideur de la manipulation due à leur poids et aux difficultés pour les mouvoir avec les fils qui commandent leurs mouvements. La construction sans action, ni interaction ni dialogues renforce l’aspect très statique de la représentation. Ce chœur de voix porté sur le devant de la scène par les acteurs personnages en même temps que leur marionnette engendre à la longue une certaine monotonie que le relais de voix d’enfants et de paysages sonores musicalisés ne suffit pas à rompre. Enfin, l’image du caractère éphémère de l’existence humaine offerte par les marionnettes masque en partie la qualité poétique du texte et fait de ce voyage expérimental un parcours conceptuel qui perd en partie sa charge émotionnelle.
Les Vagues d'après Les Vagues de Virginia Woolf traduit par Cécile Wajsbrot (éd. Le bruit du temps chez Broché)
S Mise en scène Élise Vigneron S Avec Loïc Carcassès (Louis), Thomas Cordeiro (Bernard), Zoé Lizot (Susan), Chloée Sanchez (Rhoda), Azusa Takeuchi (Jinny) S Manipulation scénique Vincent Debuire S Dramaturgie et adaptation Marion Stoufflet S Direction d’acteur Stéphanie Farison S Regard extérieur Sarah Lascar S Création sonore Géraldine Foucault, Thibault Perriard S Création lumières César Godefroy S Assistanat à la mise en scène Maxime Contrepois, Sayeh Sirvani S Régie générale et plateau Max Potiron ou Marion Piry S Régie son Alice Le Moigne S Construction des marionnettes Arnaud Louski-Pane assisté de Vincent Debuire, Ninon Larroque, Alma Roccella S Fabrication des marionnettes de glace Vincent Debuire, Louna Roizes S Construction d’objets animés Vincent Debuire, Élise Vigneron S Scénographie Élise Vigneron S Scénographie, construction Vincent Gadras S Costumes marionnettes Maya-Lune Thieblemont S Costumes comédiens Juliette Coulon S Production Théâtre de l’Entrouvert S Coproduction Théâtre Gymnase-Bernardines – Marseille, La Comète – scène nationale de Châlons-en-Champagne, du Pôle Arts de la scène – Friche la Belle de Mai – Marseille, le Théâtre de Châtillon, Le Manège – scène nationale de Reims, le Nordland Visual Theatre – Norvège, le Théâtre Joliette – scène conventionnée art et création expressions et écritures contemporaines – Marseille, Réseau Traverses, Aix-en-Provence – l’Espace Jéliote – centre national de la marionnette d’Oloron-Sainte-Marie, Le Cratère – scène nationale d’Alès, La Halle aux grains – scène nationale de Blois, le Théâtre national de Nice, Le PIVO – scène conventionnée art en territoire – Eaubonne, Le Théâtre à la Coque – centre national de la marionnette d’Hennebont, L’Odyssée – scène conventionnée de Périgueux, le Théâtre du Bois de l’Aune – Aix-en-Provence, La Garance, scène nationale de Cavaillon S Avec le soutien de la DGCA – ministère de la Culture, de la DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, de la région Sud, du conseil départemental du Vaucluse, de la ville d’Apt, de l’Adami, de la Spedidam, de l’Espace Périphérique – Paris – La Villette, Le Tas de Sable – Ches panses vertes – centre national de la Marionnette en préparation – Rivery, du Théâtre des Quatre Saisons – scène conventionnée d’intérêt national art et création – Gradignan, de l’Institut international de la Marionnette, du Centre dramatique des villages du Haut Vaucluse – scène conventionnée – Valréas, du Théâtre La Passerelle – scène nationale de Gap – Alpes du Sud, du Vélo Théâtre – années n+1 – scène conventionnée pour le théâtre d’objet et le croisement des arts et des sciences – Apt; en coréalisation avec le Théâtre de la Tempête S Le Théâtre de la Tempête est subventionné par le ministère de la Culture, la région Ile-de-France et soutenu par la ville de Paris S Spectacle créé en octobre 2023 S Remerciements à Laura Chemla, Perle Duvignacq, Héloïse Marsal, Cyril Cottet, Jan Erik Skarby, Tim Pieter Lucassen, Jeanne Bruc, Margaux Sahut, Lena Sipili, Gérard Vivien, Solveig de Reydet de Vulpillières, Line Ramel, Jean Yves Courcoux, Fanny Soriano et Erwan Keravec S Durée 1h
Du 16 au 26 mai 2024, du mardi au samedi 20 h dimanche 16 h
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie – Route du Champ-de-Manœuvre 75012 Paris
TOURNÉE
Mfest, Amiens (80) - 10 et 11 octobre 2024
Les Salins, Martigues (13) - 8 novembre 2024
Théâtre la Passerelle à Gap (05) (attente confirmation) - 15 novembre 2024
Scène 55, Mougins (06) - 19 novembre 2024
Théâtre de Nice (06) - 22 et 23 novembre 2024
Théâtre du Bois de l’Aune - Aix-en-Provence (13) -27 et 28 novembre 2024
Tournées USA (Chicago, NY Festival Under the radar) - Du 6 au 31 janvier 2025
CDN l’Union, Limoges (87) - 25, 26 et 27 mars 2025
Stamsund Festival Theater, Norvège (attente confirmation) - 27 et 28 mai 2025
Tournée Norvège - Juin 2025